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EAN : 9782072743139
384 pages
Gallimard (28/03/2019)
3.49/5   794 notes
Résumé :
"Sept fois ils se sont dit oui. Dans des consulats obscurs, des mairies de quartier, des grandes cathédrales ou des chapelles du bout du monde. Tantôt pieds nus, tantôt en grand équipage. Il leur est même arrivé d'oublier les alliances. Sept fois, ils se sont engagés. Et six fois, l'éloignement, la séparation, le divorce... Edgar et Ludmilla... Le mariage sans fin d'un aventurier charmeur, un brin escroc, et d'une exilée un peu "perchée", devenue une sublime cantatr... >Voir plus
Que lire après Les sept mariages d'Edgar et LudmillaVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (148) Voir plus Ajouter une critique
3,49

sur 794 notes
Une fois de plus, lire Jean-Christophe Rufin a été un régal ! Avec Les sept mariages d'Edgar et Ludmilla, il a réussi à écrire un conte extraordinaire et profondément réaliste.
À partir du voyage de quatre jeunes gens en URSS, en 1958, à bord d'une Marly de la marque Simca, voiture luxueuse pour l'époque, l'auteur qui laisse s'exprimer un narrateur lui ressemblant beaucoup, présente d'emblée Edgar. Énergique et séducteur, il vient de Chaumont. Né de père inconnu, élevé par une mère travaillant dur sur les marchés, Edgar était garçon de courses chez un notaire.
Dans un village d'Ukraine, un attroupement au pied d'un arbre stoppe leur périple. Malgré l'hostilité de leur guide touristique imposé, un commissaire du peuple, ils assistent à un spectacle étonnant : une jeune fille est nue en haut d'un arbre ! Lorsqu'elle descend, elle croise le regard d'Edgar qui n'aura qu'un seul but au retour en France : aller chercher celle-ci, prénommée Ludmilla.
L'histoire, j'en conviens, débute de façon spectaculaire et, tout au long de son récit, le narrateur saura bien expliquer les faits les plus curieux, les plus étonnants. C'est dont l'année suivante, en 1959, qu'a lieu le premier mariage afin de permettre à cette jeune ukrainienne qui faisait partie des koulaks, la catégorie sociale la plus méprisée de la population soviétique, de quitter son pays pour venir vivre en France.
L'histoire est bien lancée et ne va pas manquer de rebondissements car les deux amants doivent d'abord apprendre à se connaître et affronter beaucoup d'obstacles.
Présentant son roman comme une enquête réalisée par un homme qui vit avec Ingrid, la fille d'Edgar et Ludmilla, le narrateur a donc connu ses deux héros alors qu'ils étaient très âgés. Il les a interrogés, a effectué de nombreuses recherches, visité les lieux où ils ont vécu afin de pouvoir écrire cette histoire extraordinaire.
Edgar tente de gagner de l'argent, monte des affaires, échoue, repart, prend d'énormes risques, connaît un succès foudroyant et une dégringolade spectaculaire avant de refaire surface. Au travers de ces expériences heureuses ou malheureuses, j'ai traversé toute une époque, celle nommée Les Trente Glorieuses (1946 – 1975), j'ai croisé des gens célèbres et ressenti toute l'inanité des gloires factices, politiques, médiatiques ou financières.
De son côté, Ludmilla affirme par hasard ses talents de chanteuse, s'impose, prend sa chance et entame une carrière lyrique. Dans ce monde d'agents, de chargés de communication, de rôles attribués au dernier moment, il faut avoir des relations. Elle n'hésite pas à se former, à travailler dur et, si elle finit par réussir, la voilà devenue une diva, avec tous les défauts inhérents à ce statut complètement artificiel. À cause de sa carrière à l'opéra, de ses tournées, elle se coupe de sa fille, Ingrid, qui préfère son père… quand il est là.
Je passe sous silence les circonstances des mariages et des divorces successifs pour ne rien divulgâcher mais je reste admiratif devant le talent de l'auteur rendant cette histoire crédible et, au final, passionnante. Tout cela est empreint d'une philosophie de la vie pleine de justesse malgré le caractère exceptionnel des expériences vécues par Edgar et Ludmilla.
Au final, j'ai beaucoup apprécié l'invitation de ces gamins venus en car du village ukrainien de Ludmilla et son attitude envers eux alors que l'âge a fait son oeuvre sur elle et sur Edgar. Comme l'indique Jean-Christophe Rufin dans la postface, il s'est inspiré en partie de sa propre vie.
Malgré moi, dès qu'il y avait mariage, je me demandais quel serait le motif du prochain divorce puis comment il sera possible que les deux héros se remarient… Alors, même si certains épisodes paraissent incroyables, voire loufoques, ce qu'il décrit est parfaitement décrypté.

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C'est en 1958 que nous faisons connaissance avec Edgar. Il est l'un des quatre voyageurs qui, à bord d'une Marly couleur crème et rouge, tentent de se rendre à Moscou, depuis Paris. Un cinquième passager, "un guide touristique", qu'ils s'étaient engagés à transporter, les rejoint à la frontière.
Arrivés dans un village d'Ukraine où une agitation inhabituelle règne, le guide sent un danger et fait stopper la voiture et ils descendent. Sur la place centrale, un chêne, et à dix mètres du sol, sur une haute branche, est assise une femme complètement nue sur laquelle la foule a les yeux fixés. "Une voix d'homme retentit parmi les assistants : - Ludmilla !" Quand enfin, la fille est ramenée à terre, son regard se fiche sur Edgar, regard auquel il répond "en offrant ses yeux grands ouverts. Il les écarquillait comme on écarte les bras, pour qu'elle vienne s'y blottir, s'y réfugier."
C'est un Edgar bouleversé qui doit abandonner la jeune fille à la populace et rentrer à Paris. Il n'a plus qu'une idée en tête : retrouver et y ramener Ludmilla. Il repart donc en 1959 avec l'Orient-express. Après maintes difficultés, ils obtiendront l'autorisation de se marier, à Kiev, lors d'une brève cérémonie qui " se déroula dans une salle aux murs jaunâtres, mal éclairée par une fenêtre dont les carreaux étaient en verre dépoli, comme s'il eut fallu cacher aux regards indiscrets une scène impudique."
Voilà comment advint la rencontre et le premier mariage d'Edgar et Ludmilla ! Notre jeune couple s'installe à Paris. La barrière de la langue et les difficultés à communiquer liées à l'époque vont bientôt construire un mur de silence qui les conduira à se séparer. Il y aura ensuite d'autres mariages et d'autres divorces, six en tout, étalés sur un demi-siècle. Ils auront une fille Ingrid en 1975 qui deviendra en 2000, la femme du narrateur qui, à ce titre justement fera ainsi la connaissance des parents. Edgar, aventurier et charmeur se débrouille dans le milieu des affaires et Ludmilla parvient à faire une belle carrière de cantatrice. Ils connaitront des hauts et des bas, tantôt riches, tantôt ruinés.
C'est à la fois un roman sur l'intimité d'un couple, une saga amoureuse mouvementée qui démarre en Russie pour aller en Amérique puis du Maroc jusqu'à l'Afrique du Sud et une fresque sociale couvrant les quatre dernières décennies du XXe siècle.
Le voyage en URSS en 1958-59, au début du roman, très rocambolesque, décrit à merveille, d'abord les difficultés pour se rendre là-bas, puis la prise en charge, et une fois sur place, la difficulté pour ne pas dire l'impossibilité de se déplacer librement et enfin la vie dans les villages.
Jean-Christophe Rufin, en nous racontant la vie de ce couple, montre bien les difficultés et les contraintes que peuvent vivre deux êtres qui s'aiment, sur la durée. Les personnes changent, la société change et il faut beaucoup d'énergie, parfois de renoncement pour résister.
Dans ce roman, l'auteur flirte avec l'autofiction puisqu'il a connu plusieurs divorces et autant de mariages avec la même femme.
J'apprécie beaucoup cet auteur, mais je dois avouer que pour ce dernier roman, j'ai connu un peu de lassitude au cours de sa lecture. Cette succession de mariages et de divorces, notamment à partir du troisième divorce me faisant un peu penser à des caprices d'enfants gâtés, à des caprices de stars.
Le début et la fin resteront pour moi les meilleurs moments de ce périple.

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Quelle étrange odyssée que ces sept mariages d'Edgar et Ludmilla. Une traversée qui débute en Ukraine où Edgar tombera fou amoureux d'une jeune femme nue plantée dans un arbre et huée par les villageois. Depuis ce jour, Edgar et Ludmilla enchaîneront la vie sous toutes ses couleurs. de la misère des débuts aux richesses de la réussite par la suite. Ce couple se séparera pour de multiples raisons, mais souvent par amour. Par amour pour l'autre, et pour l'amour de ce même autre, ils se retrouveront pour la sempiternelle valse d'amour.

Ce roman est très étrange, me laisse un chouïa sceptique car dépenser autant d'énergie à divorcer pour se remarier autant de fois, autant dire qu'il m'a semblé courir dans la vasque du gâchis et de ces nouveaux couples contemporains qui se séparent pour un oui ou pour un non. Un côté assez répétitif donc et gênant pour peu qu'on accorde du sens au lien du mariage. D'autre part, le couple Edgar et Ludmilla ne m'a pas semblé très attachant. L'auteur passe beaucoup de temps à énumérer leurs frasques, leurs ascensions et descentes mais s'attarde à mon sens très peu sur leurs sentiments, émotions et lien amoureux, ce qui aurait pu donner une magnifique fresque sentimentale.

Je termine donc ce roman sur un avis mitigé, avec cette impression que l'auteur s'est égaré sur une piste trop transparente pour adhérer entièrement à cette histoire rocambolesque du je t'aime moi non plus.
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Edgar effectue un voyage en URSS avec des amis. Il prend des photos en vue de présenter un reportage à Paris match.
Pendant leur périple, ils rencontrent , dans un village, une jeune fille nue dans un arbre. Elle subit la risée des gens et elle est finalement recouverte d'un sac de jute. Et voilà Ludmilla et Edgar se regardent, se sourient. Edgar viendra la rechercher et ils se marieront.
Ils vivent à Paris. Ludmilla apprend son métier de diva en chantant avec des religieuses. Edgar construit une fortune sommaire en vendant des livres de collection.
C'est le début de bon nombre d'aventures car ces deux amoureux se marieront sept fois et divorceront 6 fois : logique!
J'ai admiré le calme dans lequel se déroulaient les divorces qui n'étaient en fait décidés que pour établir une certaine liberté, une certaine distance entre les deux amoureux. J'ai trouvé Ludmilla plus amoureuse qu'Edgar et surtout très détachée matériellement. J'ai éprouvé beaucoup de sympathie pour elle.
Le narrateur se fait passer pour le mari de leur fille Ingrid et celui qui a recueilli les confidences d'Edgar et Ludmilla. Ne croyons pas trop l'auteur, j'ai préféré croire à la richesse de son imagination.
Lors de l'émission de "La grande librairie", il a avoué s'être marié trois fois avec la même femme et de ces évènements est partie l'idée de concevoir ce roman magnifiquement écrit avec une imagination, une écriture et un style merveilleux.
Il faut dire que je n'avais jamais lu l'auteur. C'est une découverte pour moi.
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Le mariage est une vie dans la vie*

En imaginant le couple formé par Edgar et Ludmilla, Jean-Christophe Rufin nous offre d'une traversée des années soixante à nos jours, doublée d'une réflexion sur la vie de couple. Une joyeuse épopée, un opéra tragi-comique, un vrai régal!

Voilà sans doute l'un des meilleurs romans de l'année! S'agissant de l'oeuvre du président du jury du Prix Orange du Livre 2019 – dont j'ai la chance de faire partie pour cette édition – je vois déjà les sourires de connivence et les soupçons de favoritisme au coin des lèvres des «incorruptibles». du coup, je me dois de mettre les choses au point d'emblée. Je n'ai fait la connaissance de Jean-Christophe Rufin que lors de notre rencontre – éphémère – en mars dernier et c'est par curiosité que j'ai lu ce roman, sans pression d'aucune sorte. J'avoue toutefois que j'aurais été peiné qu'il ne me plaise pas, tant l'homme m'a paru sympathique et bien loin des préciosités auxquelles on entend quelquefois résumer les académiciens.
Sympathique, à l'image d'Edgar, sorte de prolongement romanesque de l'auteur qui s'est essayé lui aussi aux remariages avec la même femme. Une expérience qu'il a pu mettre à profit en imaginant cette extravagante traversée du siècle et en y joignant une bonne dose de romanesque.
Je me prends même à l'imaginer suivant les préceptes oulipiens en s'imposant la contrainte des sept mariages, histoire de pimenter une histoire qui ne manque pas de sel. le défi – parfaitement relevé – consistant alors à trouver une logique à cette succession d'épousailles et de divorces.
Comme le tout s'accompagne d'une bonne dose de dérision, voire d'autodérision, on se régale, et ce dès cet avertissement introductif: «Avant de commencer ce périple, je voudrais vous adresser une discrète mise en garde: ne prenez pas tout cela trop au sérieux. Dans le récit de moments qui ont pu être tragiques comme dans l'évocation d'une gloire et d'un luxe qui pourront paraître écrasants, il ne faut jamais oublier que Ludmilla et Edgar se sont d'abord beaucoup amusés. Si je devais tirer une conclusion de leur vie, et il est singulier de le faire avant de la raconter, je dirais que malgré les chutes et les épreuves, indépendamment des succès et de la gloire éphémère, ce fut d'abord, et peut-être seulement, un voyage enchanté dans leur siècle. Il faut voir leur existence comme une sorte de parcours mozartien, aussi peu sérieux qu'on peut l'être quand on est convaincu que la vie est une tragédie. Et qu'il faut la jouer en riant.»
Après un débat sans fin, l'idée est émise d'aller voir en URSS comment on vit de l'autre côté du rideau de fer. Paul et Nicole, Edgar et Soizic prennent un matin le volant de leur superbe Marly pour une expédition qui leur réservera bien des surprises, à commencer par cette femme nue réfugiée dans un arbre dans un village d'Ukraine et dont Edgar va tomber éperdument amoureux. le mariage étant la seule solution pour qu'elle puisse l'accompagner en France, une première union est scellée. Mais Edgar se rend vite compte qu'en vendant des livres en porte à porte, il ne peut offrir à son épouse la belle vie dont il rêve et préfère lui rendre sa liberté. Un divorce par amour en quelque sorte.
Et une preuve supplémentaire que les crises peuvent être salutaires parce qu'elles contraignent à agir pour s'en sortir. Edgar se lance dans la vente de livres anciens et s'enrichit en suivant les vente aux enchères pour le compte de bibliophiles, Ludmilla suit des cours de chant.
Il suit sa voie, elle suit sa voix. Ils finissent par se retrouver, par se remarier. Pour de bon, du moins le croient-ils. Mais alors que Ludmilla commence une carrière qui en fera une cantatrice renommée, les ennuis s'accumulent pour Edgar, accusé de malversations et qui ne veut pas entraîner Ludmilla dans sa chute. Un second divorce devrait la préserver…
Rassurez-vous, je m'arrête là pour vous laisser le plaisir de découvrir les épisodes suivants qui vont faire d'Edgar une sorte de Bernard Tapie, qui après avoir monté une chaîne d'hôtels aux activités très rentables s'est lancé dans le BTP, a monté une équipe cycliste avant de se lancer sur le terrain du luxe et des médias et de Ludmilla une diva, notamment après avoir été consacrée à Hollywood. Dans ce tourbillon, ils vont se retrouver comme des aimants, tantôt attirés et tantôt repoussés.
Dans la position du témoin, de l'enquêteur qui entend en savoir davantage sur les raisons qui ont motivé mariages et divorces, le narrateur s'amuse et nous fait partager cette extraordinaire traversée du siècle. Jean-Christophe Rufin est indéniablement au meilleur de sa forme!

*Honoré de Balzac, Physiologie du mariage (1829).

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critiques presse (7)
LaLibreBelgique
05 juin 2019
Si le couple des autres a, pour ceux qui l’observent, une part de mystère, le couple à mariages répétés entre mêmes partenaires est souvent une énigme. C’est pourtant de ce couple étrange, mais qui ne lui est pas tout à fait étranger, que parle Jean-Christophe Rufin dans son dernier livre.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
De vraies montagnes russes émotionnelles qui nous seront racontées par quelqu’un qui les a bien connus et qui, de ce fait, pourra aussi s’étendre sur l’étonnante carrière que chacun aura de son côté. Un très divertissant roman.
Lire la critique sur le site : LeJournaldeQuebec
LaLibreBelgique
25 avril 2019
Jean-Christophe Rufin chante la durée de l’amour au-delà des aléas de la vie et des fractures du parcours.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
LeFigaro
25 avril 2019
L’écrivain couvert de prix s’amuse avec l’histoire tragique et joyeuse d’un couple hors du commun.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Liberation
23 avril 2019
Le titre lui-même a le charme de ceux des contes de l’enfance qui « spoilent » un peu le sujet. Mais la saga promise séduit. L’auteur s’est manifestement amusé à jouer le joyeux conteur, à choyer ses personnages lunatiques et à aiguiser ses fins de chapitres à rebond.
Lire la critique sur le site : Liberation
LeSoir
15 avril 2019
Roman romanesque en diable, Les sept mariages d’Edgar et Ludmilla nous entraîne dans le tourbillon de la vie.
Lire la critique sur le site : LeSoir
LaCroix
29 mars 2019
Un jeune Français parcourt l’URSS des années 1950, tombe amoureux d’une Ukrainienne, l’entraînant dans un tourbillon d’amour-passion.
Lire la critique sur le site : LaCroix
Citations et extraits (130) Voir plus Ajouter une citation
INCIPIT
Ils étaient quatre, deux filles et deux garçons, à rouler dans une Marly couleur crème et rouge pour relier Paris à Moscou. Cette voiture était en 1958 l’image même de la modernité. Elle rompait avec le vieux modèle de la « Traction » Citroën et entendait rivaliser avec les américaines. Simca, le constructeur, l’avait offerte pour cette expédition, séduit par l’idée de faire admirer sa production dernier cri aux foules soviétiques.
Je ne sais pas si vous avez déjà vu une Marly? Pour les besoins de ce récit, je suis allé admirer le modèle de la collection Schlumpf, à Mulhouse. C’est une espèce de grosse baignoire de tôle, au ras du bitume, tout en longueur et en chromes, pas le véhicule idéal pour affronter de mauvaises routes. Or, en cette fin du mois d’avril, dans une Europe de l’Est à peine remise de la guerre et occupée par les Russes, les ornières creusées par les camions et les chars étaient profondes. Le gel formait de véritables rails dans la boue et la Marly avait souvent bien du mal à s’en extraire.
Qui parmi les quatre voyageurs avait pris l’initiative de cette expédition ? Paul, vingt-trois ans, le plus âgé du groupe, revendiquait volontiers la paternité du voyage. Mais il y mettait plus ou moins de force en fonction des circonstances. Lorsque tout allait mal, qu’ils étaient obligés de pousser la voiture, de marcher des heures pour trouver le carburant qui les dépannerait ou lorsque les averses détrempaient leur campement et les faisaient patauger dans des flaques glacées dès le réveil, Paul ne semblait plus trop pressé de prendre à son compte un tel calvaire. Mais dès que le soleil revenait, faisait verdir les champs, dès que des portions asphaltées permettaient de rouler à vive allure, les fenêtres ouvertes, en chantant tous les quatre, il recommençait à se vanter d’avoir conçu ce projet fou.
En vérité, c’était plutôt à Nicole, sa compagne, que revenait le mérite – ou l’imprudence – de cette aventure. Fille d’un ouvrier typographe de Rouen, elle avait été élevée dans le culte de l’URSS. Son père parlait avec tendresse de la « Patrie des Travailleurs » et il avait pleuré, cinq ans plus tôt, la mort de Staline. À Paris où elle était venue suivre des études de médecine, Nicole mettait un point d’honneur à défendre les idées de sa famille, malgré les sarcasmes des jeunes bourgeois qu’elle côtoyait. Elle était l’amie de Paul depuis un an. Otage de l’amour, ce fils de notaire parisien, étudiant en droit et destiné à succéder un jour à son père, était tout sauf un révolutionnaire. Il subissait sans protester les plaidoyers communistes de sa compagne. Il avait compris qu’elle vivait un douloureux dilemme : plus elle s’éloignait de son milieu, plus elle avait besoin d’en défendre les valeurs. Parfois cependant, en entendant son amie lui décrire les charmes de la Révolution bolchevique, il ne pouvait s’empêcher d’exprimer des doutes. Nicole protestait. La discussion devenait violente et sans issue car personne ne voulait renoncer à ses certitudes. Un beau jour, Nicole proposa de trancher ce débat: «Et si on allait voir sur place, en URSS, ce qu’il en est?»
Lancée d’abord comme un défi, l’idée d’un voyage en Union soviétique avait occupé toute l’activité de Paul et de Nicole ces derniers mois. Il leur avait fallu avant tout régler l’épineuse question des visas. Le pays était en pleine déstalinisation. Sous la direction de Khrouchtchev, il s’engageait dans une confrontation planétaire avec les États-Unis. Montrer que le socialisme pouvait apporter le bien-être aux masses, ce qui, à l’époque, voulait dire leur fournir une machine à laver, une voiture et un téléviseur, faisait partie de la stratégie de communication du nouveau pouvoir. Des journalistes occidentaux étaient invités à témoigner ; ils étaient strictement encadrés et conduits dans des villes, pour y voir ce qu’on avait décidé de leur présenter. Quel que fût leur talent, ces professionnels restaient suspects aux yeux des opinions occidentales. Faire témoigner des jeunes, leur laisser traverser le pays, pouvait constituer un extraordinaire coup de pub pour le régime communiste. À condition, bien sûr, que les jeunes en question offrent des garanties et viennent dans un esprit « constructif ». Paul et Nicole constituaient, chacun à sa manière, des profils rassurants pour les autorités soviétiques. Le général de Gaulle, en cette année 1958, revenait au pouvoir. Son scepticisme à l’égard de l’Alliance atlantique était apprécié à Moscou. Par un oncle du côté maternel qui était député gaulliste, Paul se fit recommander auprès de l’ambassadeur de l’URSS à Paris. Les références impeccablement communistes de la famille de Nicole lui permirent par ailleurs d’actionner un réseau de camarades à même, sinon de convaincre les autorités soviétiques, du moins de les rassurer. Les visas furent finalement accordés mais les jeunes gens prirent l’engagement de soumettre leurs textes avant toute publication au ministère de l’Information à Moscou. Ils acceptaient aussi d’être accompagnés dans leur parcours en territoire soviétique par un commissaire politique, pudiquement dénommé « guide touristique ». Enfin, ils s’engageaient à obtenir le soutien d’un grand magazine populaire, afin de donner à leur témoignage – contractuellement positif – un large retentissement.
L’autre fille de l’expédition était une certaine Soizic. Elle avait quitté sa Bretagne natale pour suivre à la Chaussée-d’Antin une formation courte de dactylo. C’était une grande rousse plutôt futile qui n’avait jamais beaucoup aimé les études. Passionnée par la mode, le cinéma, les boîtes de nuit, elle avait vu dans cette idée de croisière automobile une occasion de s’amuser. La perspective de se faire prendre en photo à son avantage et de se trouver un jour dans les pages d’un grand magazine – Paris-Match était partenaire de l’aventure – l’excitait beaucoup. Son flirt du moment lui avait proposé ce voyage. Elle le connaissait depuis peu, mais en était tombée très amoureuse. C’était Edgar, le quatrième membre de l’expédition.
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– Le premier, un mariage blanc. Ou tout comme: l’URSS, pas de visa, pas de papiers... 
– Bref, éluda Edgar. 
– Le deuxième, un mariage d'opérette. La Rolls rose, le frac et, derrière, l’escroquerie et presque la prison. 
Elle jeta un petit coup d’œil dans la direction d'Edgar. Leurs yeux riaient mais il baissa le nez. 
– Le troisième, un mariage de convenances. 
Ingrid avait redressé la tête d’un coup. Mieux valait ne pas en dire plus, sauf à la rendre indirectement responsable de ce troisième mariage, ce qu’elle contestait avec vigueur. Ludmilla glissa sur cet épisode et passa vite au suivant. 
– Le quatrième, un mariage pour les médias, Paris-Match, Point de vue, strass et paillettes. 
Ingrid se détendit. 
– Le cinquième, conclut lugubrement Edgar, un mariage d’exil.
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On peut dire qu’ils étaient bleus, en amande, que la pupille y était si noire qu’elle semblait la bouche d’un canon, d’où partaient d’invisibles et meurtriers projectiles quand elle dévisageait quelqu’un ; on n’a rien révélé pour autant de leur charme. Ils étaient l’expression du ciel et du moment, gris d’acier ce jour-là. (page 26)
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Ludmilla s'essaya à la prière. Elle fut d'abord rassurée de voir que, dans cet environnement, elle était l'égale des autres puisque le latin, langue presque inconnue de tous, servait de véhicule à l'oraison. Cependant, elle sentit vite un malaise. Le mystère de la religion était déjà très épais pour elle, pourquoi le rendre encore plus impénétrable en imposant, dans les relations avec cette invisible divinité, l'usage d'une langue dont on ne comprenait pas le sens ?
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Chez beaucoup d’hommes, et c’était le cas d’Edgar, l’amour se déploie en profondeur mais sans s’imposer à la conscience. En d’autres termes, ils n’y pensent pas. Le sentiment concerne une couche profonde de leur être où il s’enracine solidement. Mais en surface, ils restent libres d’emplir leur quotidien de sujets futiles comme l’ambition, le goût du luxe ou la recherche d’aventures sexuelles.
Que la jalousie survienne, et l’amour enfoui réapparaît, balayant tout, ôtant sa valeur à ce qui avait indûment occupé sa place.
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Rencontre avec Jean-Christophe Rufin à l'occasion de la parution de son roman D'or et de jungle aux éditions Calmann Lévy


Jean-Christophe Rufin est médecin. Il fut l'un des pionniers du mouvement humanitaire et, à ce titre, a parcouru de nombreux pays en crise. Il a exercé des fonctions diplomatiques (attaché de coopération au Brésil, ambassadeur de France au Sénégal et en Gambie). Romancier, il est l'auteur d'une vingtaine d'ouvrages qui ont tous conquis un large public en France et à l'étranger: Rouge Brésil (prix Goncourt 2001), Immortelle randonnée, le Tour du monde du roi Zibeline, ainsi que la série des aventures d'Aurel le consul… Il est membre de l'Académie française depuis 2008.
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28/02/2024 - Réalisation et mise en ondes Radio Radio, RR+, Radio TER
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