Une fois de plus, lire
Jean-Christophe Rufin a été un régal ! Avec
Les sept mariages d'Edgar et Ludmilla, il a réussi à écrire un conte extraordinaire et profondément réaliste.
À partir du voyage de quatre jeunes gens en URSS, en 1958, à bord d'une Marly de la marque Simca, voiture luxueuse pour l'époque, l'auteur qui laisse s'exprimer un narrateur lui ressemblant beaucoup, présente d'emblée Edgar. Énergique et séducteur, il vient de
Chaumont. Né de père inconnu, élevé par une mère travaillant dur sur les marchés, Edgar était garçon de courses chez un notaire.
Dans un village d'Ukraine, un attroupement au pied d'un arbre stoppe leur périple. Malgré l'hostilité de leur guide touristique imposé, un commissaire du peuple, ils assistent à un spectacle étonnant : une jeune fille est nue en haut d'un arbre ! Lorsqu'elle descend, elle croise le regard d'Edgar qui n'aura qu'un seul but au retour en
France : aller chercher celle-ci, prénommée Ludmilla.
L'histoire, j'en conviens, débute de façon spectaculaire et, tout au long de son récit, le narrateur saura bien expliquer les faits les plus curieux, les plus étonnants. C'est dont l'année suivante, en 1959, qu'a lieu le premier mariage afin de permettre à cette jeune ukrainienne qui faisait partie des koulaks, la catégorie sociale la plus méprisée de la population soviétique, de quitter son pays pour venir vivre en
France.
L'histoire est bien lancée et ne va pas manquer de rebondissements car les deux amants doivent d'abord apprendre à se connaître et affronter beaucoup d'obstacles.
Présentant son roman comme une enquête réalisée par un homme qui vit avec Ingrid, la fille d'Edgar et Ludmilla, le narrateur a donc connu ses deux héros alors qu'ils étaient très âgés. Il les a interrogés, a effectué de nombreuses recherches, visité les lieux où ils ont vécu afin de pouvoir écrire cette histoire extraordinaire.
Edgar tente de gagner de l'argent, monte des affaires, échoue, repart, prend d'énormes risques, connaît un succès foudroyant et une dégringolade spectaculaire avant de refaire surface. Au travers de ces expériences heureuses ou malheureuses, j'ai traversé toute une époque, celle nommée Les Trente Glorieuses (1946 – 1975), j'ai croisé des gens célèbres et ressenti toute l'inanité des gloires factices, politiques, médiatiques ou financières.
De son côté, Ludmilla affirme par hasard ses talents de chanteuse, s'impose, prend sa chance et entame une carrière lyrique. Dans ce monde d'agents, de chargés de communication, de rôles attribués au dernier moment, il faut avoir des relations. Elle n'hésite pas à se former, à travailler dur et, si elle finit par réussir, la voilà devenue une diva, avec tous les défauts inhérents à ce statut complètement artificiel. À cause de sa carrière à l'opéra, de ses tournées, elle se coupe de sa fille, Ingrid, qui préfère son père… quand il est là.
Je passe sous silence les circonstances des mariages et des divorces successifs pour ne rien divulgâcher mais je reste admiratif devant le talent de l'auteur rendant cette histoire crédible et, au final, passionnante. Tout cela est empreint d'une philosophie de la vie pleine de justesse malgré le caractère exceptionnel des expériences vécues par Edgar et Ludmilla.
Au final, j'ai beaucoup apprécié l'invitation de ces gamins venus en car du village ukrainien de Ludmilla et son attitude envers eux alors que l'âge a fait son oeuvre sur elle et sur Edgar. Comme l'indique
Jean-Christophe Rufin dans la postface, il s'est inspiré en partie de sa propre vie.
Malgré moi, dès qu'il y avait mariage, je me demandais quel serait le motif du prochain divorce puis comment il sera possible que les deux héros se remarient… Alors, même si certains épisodes paraissent incroyables, voire loufoques, ce qu'il décrit est parfaitement décrypté.
Lien :
http://notre-jardin-des-livr..