Le silence d'Isra est paradoxalement une voix, la voix d'une femme descendante d'immigrés palestiniens, qui par ce livre, a voulu faire entendre la voix de toutes ces femmes, réduites au silence.
Ce livre nous conte des histoires de femmes, toutes palestiniennes, même si elles vivent à Brooklyn. Il y a Isra, jeune palestinienne arrivée à la suite de son mariage, perdue dans un pays et au milieu de gens qu'elle ne connait pas. Il y a Farida, sa belle-mère, qui perpétue la tradition. Il y a Sarah fille de Farida qui n'accepte pas le destin qu'on lui propose, mais aura-t-elle le choix. Il y a enfin Deya fille ainée d'Isra qui cherche sa voie (voix). Leur histoire est racontée sur deux époques : la première décrit le début du mariage d'Isra, son désespoir qui augmente au fur et à mesure qu'elle engendre des filles, la seconde se situe à l'adolescence de Deya quand elle cherche à la fois à échapper à un mariage arrangé comme le veut la tradition et à comprendre ce qui est arrivé à sa mère.
Le livre se passe à Brooklyn, dans les années 1990 et au-delà. Il pourrait se passer dans n'importe quel pays musulman conservateur (j'ai malheureusement tendance à penser que de nos jours, ceci est un pléonasme). C'est une des choses qui m'ont le plus marqué dans ce livre, le fait que ces femmes vivant dans un pays qui a symbolisé une terre d'espoir pour des millions d'émigrants au cours des siècles y vivent comme elles vivaient en Palestine, dans le même enfermement au milieu de leurs familles. Comment ces familles ont-elles réussi à maintenir la tradition, même si quelques brèches apparaissent ici et là : l'une des raisons, c'est que les femmes sont les premières à vouloir le faire, à ne pas laisser leurs filles envisager une vie différente. C'est une réalité qui m'avait déjà frappée dans le magnifique : Que sur toi se lamente le Tigre.
L'auteure décrit avec beaucoup de force la difficulté de ces femmes à faire des choix différents, et le sort funeste souvent réservé à celles qui osent. Être une femme est une malédiction, n'enfanter que des filles est un tort, qui vaudra à Isra de perdre le peu de considération que son mari et sa belle-famille avaient pour elle, de subir les coups, l'asservissement.
Et pourtant, au milieu de cet univers fermé, un moyen d'évasion existe, partagé par Isra, Sarah et Deya : la lecture. Les livres qui leur ouvrent des horizons qu'elles n'ont pas le droit de connaitre. Ce roman rend aussi hommage aux livres.
Une lecture forte, qui remue, malgré quelques pages parfois redondantes, un style parfois un peu maladroit. Peu importe, j'ai été fascinée, révoltée, emportée. Quatre cent pages dévorées en moins d'une journée (mais quelques heures de la nuit).