Citations sur Aux frontières de l'Europe (47)
C'est lors des attentes que l'on rencontre le monde.
(...) A Cuba, je me rappelle avoir pris en auto-stop une maman et deux petits enfants qui attendaient depuis six heures, abrités du soleil sous un pont. Quand je lui ai dit que sa patience m'émerveillait, elle m'a répondu : "Si je n'avais pas attendu, je ne t'aurais pas rencontré." p 73
Quand je vais en ville, dit Vitaly dans un sourire, les gens me font tellement horreur qu'il m'est facile de me sentir solidaire d'un renne. Ou disons plutôt de me sentir renne, ni plus ni moins.
Quelquefois, je me dis que celui qui a franchi de nombreuses frontières est aussi plus prêt à mourir. Il craint moins l'inconnu qu'un sédentaire.
A Trieste, entre les Alpes et la Méditerranée, il n'y a rien, et même les faits les plus menus témoignent de cette contiguïté insensée. Dans une rue à deux pas du centre, une vieille dame a adopté un mignon petit chien qui fouillait parmi les ordures et ce n'est qu'au bout de quelques mois qu'elle s'est rendu compte qu'il s'agissait d'un loup.
Un chevreuil, descendu au plus noir de la nuit et terrifié par la circulation matinale, ne trouva pas d'autre moyen de s'enfuir que de plonger dans la mer en plein centre-ville....
c'est ici que bat le coeur, à des centaines de km au-delà de l'ex-rideau de fer, entre les bouleaux et les grands fleuves méandreux, dans une terra incognita faite de périphéries oubliées
Avant la frontière lituanienne, les flèches du sanctuaire catholique d’Aglona... Nous approchons de la Pologne, terre de Woytila, et le Vatican fait déjà figure de gigantesque agence de voyage, de multinationale du pèlerinage, avec des filiales dans le monde entier. (...) Je n’ai jamais aimé les religions triomphantes, je préfère celle des minorités et des perdants, les catacombes, les périphéries, les avant-postes, où les hiérarchies ne vont pas fourrer leur nez et d’où les luttes de pouvoir sont absentes. c’est peut-être pour cela que j’ai mieux entendu Dieu dans la synagogue abandonnée de Luzda que devant les marbres vaguement funéraires d’Aglona. p 215
Et si l'Europe n'était qu'un mirage impossible à atteindre, comme disait Gombrowicz, justement pour ceux qui s'efforcent de la trouver en venant d'Orient ? Et si c'était un lent devenir, un épaississement progressif des ethnies vers les terres du couchant, au-delà duquel il n'y a plus que l'océan infini ?
C'est l'histoire de Rita et de Volodia, deux vieux Russes pris au piège en Lettonie par le jeu des frontières mouvantes, une histoire inimaginable d'Européens oubliés, passagers de troisième classe, cachés comme une honte dans les dernières voitures du train de luxe communautaire.
... On voyage bien mieux en demandant aux gens, et peut-être le voyage parfait serait-il celui qu'on ferait à l'aveuglette, sans même avoir une carte. Se borner à partir, en montant dans le premier train qui s'en va dans la bonne direction.
L'Italie s'entête à faire semblant de ne jamais avoir été fasciste et d'avoir gagné la guerre. Et pourtant , elle l'a été fasciste , et pas qu'un peu ; et elle a perdu la guerre, justement dans ma région.... Je vous en prie ne me parlez pas , des "braves gens d'Italie" , parce que moi j'habite à Trieste que Mussolini a proclamé les lois raciales contre les juifs , et ce choix infâme a eu son prélude une vingtaine d'années auparavant , avec l'écrasement politique , économique et linguistique de la vaste communauté slovène. Je sais que pendant la guerre , il n'y eut pas seulement des camps d'extermination nazis , mais aussi des camps de concentration dirigés par le parti fasciste , avec des milliers de morts de faim et de froid.