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EAN : 9782081495005
288 pages
Editions Arthaud (31/08/2022)
3.62/5   17 notes
Résumé :
"Nous autres, enfants de l'Europe des riches, qui a produit Auschwitz, nous qui passons pour des êtres civilisés, vivant dans une paix apparente depuis plus de soixante-dix ans, nous pensions être sortis de tout cela. Et aujourd'hui que le monde en est réduit au sauve-qui-peut, aujourd'hui que la grande fuite a commencé, nous sommes encore tout imprégnés du sentiment déraisonnable d'être étrangers aux désastres qui nous environnent".
Face à tant de violence d... >Voir plus
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" Tiens, une pelote blanche, toute sale, oubliée sous un platane. le signe de mon voyage, d'un fil déroulé par-dessus les fleuves, les montagnes, les villages et les plaines. Un fil sans fin qui surmonte les distances et noue des relations en franchissant les murs, les barbelés, les frontières. Qu'ont-ils fait d'autre, les moines de Benoît, que de planter des lieux de prière et de labeur dans les espaces les plus incultes d'Europe pour tisser ensuite entre eux un solide réseau de fils ? Revoici, derrière la laine, le monde pastoral et paysan d'où tout est né au VIe siècle après Jésus-Christ, dans une identité "

Paolo Rumiz nous propose cette fois, de suivre le fil de son chemin, ce fil invisible qu'il tisse de monastères en monastères, ce fil qui les relie les uns aux autres.
14 étapes, chiffre choisi au hasard ? Qui dit 14 pense aux 14 stations du chemin de croix.
Mais, c'est dans un tout autre voyage que nous suivons l'auteur. Un voyage au travers d'une Europe des monastères, une Europe des sens, dont voici les 14 destinations
Le bonheur du périmètre, Praglia, Vénétie ;
Houblon et encens, Sankt Ottilien, Allemagne ;
La patience de la pelote, Viboldone, Lombardie ;
Le trille de Dieu, Muri-Gries, Tyrol du Sud ;
La machine à lumière, Marienberg, Tyrol du Sud ;
La pharmacie de l'âme, Saint-Gall, Suisse ;
Piano et murmures, Cîteaux, France ;
Le démon de midi, Saint-Wandrille, France ;
Hirondelles et alambics, Orval, Belgique ;
La Wunderkammer, Altötting, Allemagne ;
Un prélude à l'Om, Niederalteich, Allemagne ;
La horde et les steppes, Pannonhalma, Hongrie ;
La Symphonie, Camerino, Marches ;
Le fil infini, San Giorgio Maggiore, Vénétie.

Le voyage est un changement, et a toujours été porteur d'un profond processus de purification intérieure. Un chemin de l'âme qui en élargissant le périmètre de la connaissance nous aide à dépasser nos limites.

Et donc, tel un nouveau Prométhée qui défie les interdits imposés par les Dieux afin de donner aux hommes une lueur de connaissance, Paolo Rumiz se met en route et, partant des Apennins, traverse Amatrice et les lieux du tremblement de terre du 24 août 2016, à la rencontre de ces villes devenues et restées fantômes - " éventrées, béantes de manière obscène sur l'intimité des demeures. " - et arrivé à Norcia, il se retrouve face à la statue de Saint Benoît : "Ce fut alors que je vis la statue, illuminée a giorno au centre de la place. Elle représentait un homme à la barbe vénérable et à l'ample robe de moine, qui levait son bras droit comme pour indiquer quelque chose à mi-chemin entre le ciel et la terre. Elle était intacte au milieu de la destruction et l'on pouvait lire : « Saint Benoît, patron de l'Europe ». J'en eus le coeur serré. Jusqu'alors, je n'avais pas pensé un seul instant au saint et à son rapport avec Norcia – Nursie pour les Français –, avec le tremblement de terre, avec la terre nourricière du continent auquel j'appartenais. Que disait-il, ce saint qui nous bénissait, au milieu des débris de tout un monde ? "
Que représentait ce saint bénisseur, abandonné parmi les décombres du monde ? s'interroge Rumiz , devant la statue située au centre de la place.

Et c'est là que l'auteur, dans une sorte d'épiphanie, dans le sens d'une manifestation sensible d'une présence divine à l'humanité , se rend compte de l'énorme portée de l'oeuvre bénédictine capable de sauver l'Europe tout en relançant la civilisation, alors que ce territoire était, à ce moment-là, en équilibre comme au bord d'un gouffre, dans un monde qui a survécu la chute de l'Empire romain et donc en proie à la peur et dévastée par de violents raids barbares. "les semences de la reconstruction avaient été plantées au plus mauvais moment qui fût pour notre monde, dans un Occident caractérisé par la violence, les migrations massives, les guerres, l'anarchie, la ruine urbaine, les banqueroutes. Quelque chose qui ressemblait vaguement à ce que nous connaissons aujourd'hui.c

Et désormais - réfléchit Rumiz - cette même Europe avait replongé dans le Moyen Âge et, pour retrouver ses racines spirituelles, il lui fallait repasser encore une fois par une saison de ruines
« Si Benoît avait réussi à reconstruire l'Europe malgré les décombres, il fallait faire revivre le souvenir de cet équilibre si laborieusement retrouvé » – écrit Rumiz – « parce que l'Europe renaquit trois fois de ces montagnes : d'abord avec Rome, puis avec le monachisme et enfin avec la Renaissance ; le temps était donc venu de retrouver ce formidable élan de reconstruction ».

Avec cette pensée en tête, une mission, presque une magnifique obsession, Rumiz commence son long voyage pour retrouver « le fil » de la spiritualité perdue, se déroulant le long d'un chemin qui relie les monastères bénédictins ; des espaces où la haute politique est toujours en vigueur, entendue comme une sage gestion des relations humaines ; une politique fondée sur des valeurs fortes, capable de combattre le langage de la peur, de parler aux autres, de redonner espoir aux plus petits et de redécouvrir ce qu'est et ce qui fait une communauté.

Un long cheminement spirituel dans lequel, tout en allant de l'Italie à l'Europe dans des territoires totalement différents les uns des autres en termes de langue, de culture et de traditions, Rumiz retrouve quelques socles communs à tous les monastères visités : l'accueil, l'écoute de l'autre, la solidarité , respect de la nature, espoir ; mais aussi la consécration pour la Règle, la discipline, les temps de prière, les rituels, l'importance de la Culture et du Savoir.

Et il est merveilleux de se laisser emporter par la lecture de ces pages et de se retrouver dans ces lieux sacrés, encore immergés dans une nature primaire ; des espaces où le vent « peigne les champs », et où la terre est « travaillée » de telle manière qu'il est presque impossible de distinguer entre le travail de la nature et celui de l'homme. Où rien n'est désinvolte, et où tout a été choisi dans le but de rendre la vie de l'homme douce tout en préservant la nature, dans un parfait équilibre entre l'eau et la terre. On se perd dans la magie de la vie qui se révèle dans les forêts et les potagers, dans le chant joyeux des moineaux et des rossignols, parmi les chênes et les acacias, dans l'immensité du ciel étoilé.

Et comme en proie à un enchantement, nous suivons les pérégrinations de notre « guide » et lisons, ravis, ses écrits dont l'empreinte est une pure poésie capable d'envoûter le lecteur, ainsi que la musique du joueur de flûte de Hamelin.
« le vieux monastère dort dans les brumes hivernales, navire ancré dans la plaine devant le dernier des monts Euganéens. Au-delà des murailles du périmètre, un coq chante le lever du jour, comme s'il fouillait l'obscurité de son bec, et son chant pénètre dans le labyrinthe des cloîtres, dans les cryptes, les magasins, la bibliothèque. Il fait froid. Je suis un long couloir, jusqu'au moment où le bruit de pas des moines se rendant à l'office des matines rompt le silence."

Une musique à laquelle la vie intérieure des abbayes fait office de contralto, composée d'« autres sons » comme les laudes, les vêpres et les complies, les chaussons des moines, les chants grégoriens amplifiés par l'acoustique savante des églises ; tout un monde où le "silence spirituel" et la présence du "sacré" alternent avec les savoir-faire manuels quotidiens et ancestraux.

Une véritable « arche » où résonne le bruit sourd de la houe qui s'enfonce dans la terre, tandis qu'à l'abri de hautes fenêtres des mains maigres se consacrent à la restauration de précieux manuscrits ; il y a ceux qui surveillent le vin dans les barriques tandis que d'autres sélectionnent les herbes médicinales, ceux qui se consacrent à l'étude de la liturgie tandis que d'autres préparent les ruches pour le printemps prochain ou s'occupent de recevoir les invités. Et nous nous sentons presque saisis par une poussée soudaine, par le désir de fermer le livre et de partir, nous aussi, vers ces mondes pour pouvoir vivre cette expérience, retrouver nous-mêmes, notre âme, notre spiritualité perdue.

"À Viboldone, le sacré, que l'on pourrait croire annihilé à force d'être cerné par la machine de la consommation, vous foudroie dès que l'on pénètre dans la nef médiévale couverte de fresques de l'époque de Giotto. On est à bord d'un canot de sauvetage, on se sent accueilli" écrit Rumiz -
"Mais qu'est-ce que la vie, après tout, sinon un long fil de laine qui traverse les mers, les fleuves, les montagnes et les frontières ?" – demande, et nous demande, l'auteur marchant d'abbaye en abbaye à la recherche du fil blanc de la route.

La culture dominante actuelle ridiculise la dimension spirituelle en éteignant notre boussole intérieure et en emportant nos repères ; et c'est encore Rumiz qui nous rappelle "s'il y a une chose que nous avons perdue, c'est l'écoute. Nous sommes seuls, nous avons peur."[...] la peur, ça suffit comme ça, et aussi la politique fondée sur la peur, parce que c'est là que l'agressivité a ses racines.

Dans le Tyrol, l'auteur retrouve "Byzance, mais sans sa raideur hiératique, le mysticisme oriental préchrétien, l'ascétisme de Pythagore, la vocation judaïque des Esséniens, la spiritualité platonique, la solitude érémitique des prophètes Élie et Jean-Baptiste, le désert des ermites coptes. Autant de choses qui nous viennent d'Orient. le temple de Jérusalem regardait dans cette direction, puis les chrétiens imitèrent les juifs, et dans les églises ils substituèrent la direction est-ouest à la direction nord-sud des principaux édifices de l'Empire romain. Ils le firent même si bien qu'aujourd'hui, pour dire « chercher la direction », nous utilisons le verbe « s'orienter ». Mais il est paradoxal de constater que cette merveille n'est restée intacte que parce qu'à l'époque baroque, les murs furent blanchis à la chaux et l'endroit dégradé au rang de colombarium ou fosse commune pour les cercueils des moines. Face à un pareil massacre, on se demande si la perception magique du sacré n'est pas morte au XVIIe siècle et si la foi n'a pas été remplacée tout bonnement par la théâtralité."

L' écrivain nous raconte quelle fut la grandeur des bénédictins d'avoir compris la dimension plurielle de notre monde ; réalisant que le christianisme occidental ne se développerait qu'à travers les différences, qu'elles soient culturelles, politiques, juridiques ou linguistiques.
Et c'est précisément cette pensée éclairée qui a donné naissance à un impressionnant réseau d'abbayes économiquement autosuffisantes mais étroitement communicantes. Un système qui a changé l'Europe et civilisé ses espaces les plus sauvages.

« L' Europe » – poursuit Rumiz – « est avant tout un espace millénaire de migrations et il est temps de crier haut et fort combien notre union représente un obstacle fort à l'absolutisme, aux mafias, aux intégrismes et aux économies de vol qui pillent la planète. Se séparer serait donc une pure folie. C'est justement le fait que nous ayons été le terminus des peuples migrants qui doit nous pousser à dénouer d'autres écheveaux en tendant d'autres fils, dans un geste d'amour et de désobéissance civile ».

Après la lecture de ce livre, empli d'exhortations, de poésie, de vie primaire, de règles et de spiritualité, il nous semble que nous avons fait un long parcours de « formation » en compagnie de l'auteur ; un chemin au bout duquel la régénération fait son chemin, tandis que nous entendons encore les échos des voyageurs rencontrés en chemin, la voix calme du Père Anselme qui nous parle de la beauté de la création, le chant des rossignols, la parfum de pain chaud et ce profond sentiment de paix; et en même temps nous sommes envahis par la perplexité à l'idée de devoir abandonner ces pages.

Et si vous vouliez une autre démonstration sur cette quête de sens, à chacun d'y voir sa définition, voici un passage des plus poétiques :
"Vent, murmure, grondement, litanie, voilà ce qui rend votre voyage unique. Voilà la pelote qui renoue les fils et relie Jérusalem à mes monastères. Je ferme les yeux pour mieux écouter. Voici le haut plateau d'Anatolie, la nuit qui tombe, la contrée qui se tait, les portails du ciel immense qui s'ouvrent en grand. Je sens que la perception du sacré se dilate et rappelle d'autres sons. le lent goutte‑à-goutte dans le silence des souterrains de la Biblioteca Ambrosiana à Milan, où prie un Charles Borromée magnifiquement vêtu, tout seul dans l'obscurité, devant un sépulcre. le cri des hirondelles sur le Tigre, avec vue sur la Mésopotamie constellée de lumières. Les laudes vespérales des moines sur l'île de San Giorgio à Venise, une voix qui cherche l'Orient et s'éteint dans la lagune.
Je réentends tout. La cloche de Saint-Marc, qui appelle les muezzins de Constantinople. le choeur des Ukrainiennes, des Russes et des Roumaines en Italie, réunies dans la crypte de San Nicola, tandis que des escadrilles d'hirondelles emplissent de cris le ciel de Bari dans une lumière aveuglante. Les lamentations de la gaida macédonienne, qui vous appelle comme à la bataille, ouvrent la route aux amanedes, chansons déchirantes d'une Grèce perdue, d'Éphèse et de Smyrne. Et puis l'orage sur le mont Athos…, le chant des Thraces après le sacrifice du taureau, la danse des hommes étreignant les icônes, l'invocation d'un Konstantinos, saint, guerrier, empereur. le tonnerre planétaire des minarets, à l'heure de la prière du soir, à Istanbul ; une vague arrivant de l'Asie annihile le chant des Grecs, à qui il est interdit de sonner les cloches."

Mais c'est précisément lorsque nous atteignons la dernière ligne que le désir de recommencer prend le dessus, nous amenant à retracer les étapes de ce voyage pour nous replonger dans ce monde, réabsorber ses principes et ses idéaux, les faire nôtres et les transmettre à les autres.
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« L'Europe fout le camp » vitupère interminablement Paolo Rumiz. Pourtant, il est impossible de comprendre avec lui les raisons et la nature même de la soi-disant débandade du continent. L'écrivain voyageur semble peu maitre de son sujet et c'est le seul ressentiment d'un homme du siècle dernier qui s'étale sans fin tout au long de ces interminables pages. L'illumination bénédictine, les brouillonnes et répétitives envolées lyriques ne peuvent en aucun cas faire office de système explicatif.


Rien d'étonnant, le journaliste vedette de « La Repubblica » défend mordicus le tout pour l'Europe, quoi qu'il en coûte, l'Europe pour l'Europe. Sans surprise, il défend l'internationalisme abstrait au prétexte qu'ils aurait permis de maintenir une paix apparente depuis plus de plus de soixante-dix ans. le qualificatif « apparent » est d'ailleurs emprunté à Paolo Rumiz lui-même. le reporter en ex-Yougoslavie, en Ukraine, aux « frontières du continent » ne peut en effet ignorer ni le rôle de l'Europe dans les conflits, ni les détestables politiques migratoires de l'Union. « Cependant, si on veut bien l'écouter et contre toute attente, L'esprit du continent est pour lui le naufragé sauvé, le dialogue, la rencontre. Jamais, le deuxième millénaire, pense-t-il, n'a produit une plus haute expression symphonique d'une communauté de nations que l'Europe unie, malgré tous ses défauts. » Comprenne qui pourra. Mais il fait ici, il est vrai, référence, pas à l'Union existante, mais à l'antienne européenne des institutions enfin réformées. « Il voudrait, nous dit-il, hurler que l'Union est en train de tomber dans un piège tendu par d'autres [contre] le dernier bastion de la démocratie. Contre l'Europe des règles, de la pitié et de l'hospitalité, qui résiste à l'annihilation de l'homme. » Là encore, Paolo Rumiz ne manque pas de nous surprendre. Il semble dresser le rempart d'une Europe non démocratique, d'une Europe impuissante à endiguer les extrêmes et parangon de la politique sécuritaire aux frontières de l'espace Schengen, contre les montées de l'intolérance et de l'exclusion. La souveraineté populaire pourtant ne fait sens depuis toujours que dans un périmètre d'une communauté nécessairement bornée. Les communautés religieuses, dont il est tant question dans « le Fil sans fin », sont de ce point de vue d'excellents exemples. « Dans chaque monastère, nous dit l'auteur, la règle impose à l'abbé d'écouter tout le monde avant de prendre la moindre décision. Un régime parlementaire parfait, ajoute-t-il, placé sous le signe de l'anti-centralisme. » L'Europe actuelle, nous semble-t-il, n'est pas une identité en soi, elle n'est que le produit de composition des effets de blocs hégémoniques de divers pays européens pour sanctuariser les principes néolibéraux à un niveau définitivement hors de portée de la vox populi. L'internationalisme abstrait de l'auteur pactisant avec le néolibéralisme sous prétexte d'accomplir le dépassement post national, avec ses effets d'éloignement et de déshumanisation, est aujourd'hui le meilleur soutient des nationalistes les plus étroits. Ces derniers sont en effet, croyons-nous, les produits de la désespérante dépression austéritaire et de la scandaleuse dépossession de la souveraineté, c'est-à-dire l'expression même de la politique européenne présente.


Ce qui peut être reproché à Paolo Rumiz dans son livre, c'est de ne jamais lier son discours sur l'Europe et les difficultés de l'Union à rien de fondamental, de ne pas apercevoir les conséquences de son positionnement, de s'en tenir à un humaniste déclamatoire sans suite et à des positions morales surplombantes. L'auteur parait tantôt ne pas voir, tantôt ne vouloir rien dire quand bien même il a un peu vu. Il s'agit sans doute pour lui de parler haut pour ne rien dévoiler, d'échapper au réel en se laissant plonger dans le monde enchanté des songes où l'on est dispensé de poser la question des causes comme des conditions de possibilité de ce qu'on veut pour l'Europe avec la certitude ainsi que rien ne sera modifié. C'est sans doute le dévoilement qui lui est insupportable et qui, au-delà de l'argumentation, lui pose problème. Nous ne saurons donc jamais ce qui à ses yeux rendrait son sens à la Communauté, ferait reculer le racisme et la xénophobie, disparaître « le problème » des migrants. Paolo Rumiz est plus disert cependant quant à ses motivations propres à défendre le tout pour l'Europe, quoi qu'il en coûte, l'Europe pour l'Europe. Il veut maintenir un rapport de force avec le restant du monde. Il parait croire encore à l'ignoble rengaine du peuple européen abandonné à la sélection naturelle et au choc des civilisations. Il dessine ainsi la carte de l'Europe encerclée : « Au Nord, les flatteries de Poutine. A l'est le foyer jamais éteint des Balkans et de l'Ukraine, les barbelés, les nationalismes ethniques, les objectifs de la Chine. A l'Ouest, les taxes de Trump, l'automutilation du Brexit, la Catalogne. Au sud, la mer des naufragés, l'islamisme violent, les dictatures, la guerre, les bombardements de civiles. » « Je voudrais hurler, dit-il, que l'Union est en train de tomber dans un piège tendu par d'autres. Par une coalitions allant de Zuckerberg au Kremlin et englobant les ennemis du pape François. » Et un peu plus loin, il ajoute à propos de deux abbayes (Pannonhalma et Montecassino) : « de même que la seconde a subi la destruction par les Sarrasins puis par les forces alliées combattant les Allemands, la première a vécu pour sa part l'invasion turque et l'invasion soviétique. Mais par rapport à Montecassino, il y a quelque chose de plus : le syndrome du Limes, de la frontière. L'ancrage de la foi vécu comme pourrait le vivre une sentinelle, contre les hordes arrivant de l'Orient. » Nous tournons quelques pages et il est question cette fois d'un officier hongrois interrogé par des journalistes : « (…) prise du soupçon – parfaitement fondé – que les « invasions barbares » pourraient recommencer, une journaliste autrichienne a demandé : « Mais maintenant qui contrôlera les arrivants ? » » Il serait aisé de multiplier à l'infini les citations sur « les fondements de la culture chrétienne devenus délictueux » (p.18), sur « les pays anciennement communiste de l'Union qui dicteront l'ordre du jour politique. » (p.138), sur le terrorisme djihadiste qui se frotte les mains : « Grand et miséricordieux Allah, que pourrais-tu demander de plus ? » (p.196), sur « la civitas de plus en plus menacée par l'invasion du matérialisme. » (p.219), sur « la puissance allemande qui a évité la révolution mais produit une guerre mondiale » (p.222), sur la centralité des Apennins où « Nulle part ailleurs la perception du christianisme ne coïncide aussi parfaitement avec la topographie et la géologie » (p.256), etc.


Mais Paolo Rumiz, avec « le Fil sans fin », rêve surtout d'un retour aux origines d'un monachisme fantasmé. le journaliste vedette a eu une illumination à la vue de la statue de Saint Benoît, patron de l'Europe : « [Elle lui] disait que l'Europe se portait bien mal (…) qu'à la chute de l'empire romain, c'était justement l'ordre des moines qui avait sauvé l'Europe (…) que les semences de la reconstruction avaient été plantées au plus mauvais moment qui fût pour notre monde, dans un occident caractérisé par la violence, les migrations massives, les guerres, l'anarchie, la ruine urbaine, les banqueroutes. Quelque chose qui ressemblait vaguement à ce que nous connaissons aujourd'hui. » Et il s'esbaudit trois cent pages durant sur « ce que dit la règle qui scande les heures et les répartit méticuleusement entre la prière et l'ouvrage accompli (…) ora et labora, prie et travaille. ». Il croit dur comme fer que « [les moines] étaient parvenus à sauver l'Europe sans armes, par la seule force de leur foi. » Allant d'une abbaye à l'autre, il fantasme un retour vers un état social, politique d'un moyen-âge de pacotille. Il semble méconnaitre complètement les attitudes mentales de cette époque et leur incidence sur la vie monacale. Qu'elles sont-elles ? Ce monde féodal était tout entier dominé par l'habitude du pillage et par les nécessités de l'oblation. Une intense circulation de dons et de contre-dons, de prestations cérémonielles et sacralisées, parcourait d'un bout à l'autre le corps social tout entier ; ces offrandes procuraient aux hommes les avantages qui leur paraissaient les plus précieux, la faveur des forces obscures qui leur semblaient régir l'univers. Dans cette société toute redevance, toute prestation que le paysan ne pouvait différer devait être compensée par les largesses de ceux qui les recevaient. Nul riche ne pouvait alors fermer sa porte aux solliciteurs, renvoyer les affamés. Les moines organisaient, comme les autres nantis, un service de la « porte » dont le rôle était de normaliser cette redistribution parmi les pauvres. Cet office de redistribution, que circonscrivaient avec soin les règlements économiques des établissements monastiques, certes jouait un rôle non négligeable mais il demeurait cependant secondaire en regard d'une exigence primordiale, celle de célébrer dans le luxe le plus éclatant l'office divin. Si les communautés de moines imposaient, par une exigence de rigueur acétique, le travail manuel à leurs membres, il était véritablement effectif que pour ceux qui, recrutés parmi les rustres, ne pouvaient participer pleinement à l'office liturgique. le labeur et la condition matérielle de ces « convers » étaient semblables à ceux des paysans. Un grand nombre des moines cependant étaient de purs consommateurs. Voilà en premier lieu, rapidement, ce qui en était de la soi-disant générosité et du travail du moine dont on nous rabat les oreilles. L'Europe de ce temps-là était fascinée par les souvenirs de la civilisation antique, dont les formes matérielles n'avaient pas été entièrement détruites et dont elle s'efforçait de réemployer, tant bien que mal, très localement, les débris. Parmi les propagateurs du modèle romain les moines jouaient un rôle considérable mais dispersé. Et si « (…) l'Europe n'avait pas encore de frontière nationales », c'est qu'elle en était empêchée par le fief, la principauté… Voilà en second lieu, tout aussi succinctement, qui renseigne les motivations bénédictines de pacification et d'élargissement. Il semble donc que les illuminations réactionnaires de Paolo Rumiz ne se vérifient ni dans le passé, ni même dans le présent de ses nombreuses visites tant chaque abbaye aujourd'hui parait marquée par son caractère national et son repli sur soi. Les tentatives tout à fait marginales et soporifiques de l'auteur de constituer des isolats dans un environnement entièrement matériel ; de modifier localement les modes de vie alors que les individus sont entièrement tournés vers eux-mêmes, nous le savons, sont vouées à l'échec. Les réformistes ignorants généralement l'apprennent à leurs dépens mais toujours un peu tard.
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Paul Rumiz, correspondant de guerre en Afghanistan et dans les Balkans pour la "Reppublica", puis grand voyageur à l'écoute de l'Europe, en particulier sur ses pourtours orientaux (en vélo, en bateau, en Topolino et surtout à pied) a fait entendre dans ses récits la voix du journaliste et celle du voyageur : instructives pour qui veut comprendre l'identité de notre bout de continent appelé "Union Européenne".
Après l'avoir découvert et apprécié pour son ouvrage "Appia", j'ai voulu lire son dernier ouvrage "Le fil sans fin" plus ambitieux et plus complexe aussi : au fil des chemins parcourus, une réflexion parfois mystique sur l'Europe et son devenir.
Le début de son périple à pied, dans les Abruzzes depuis les Monts Sybillins jusqu'à Norcia après le catastrophique tremblement de terre de 2016 : ses descriptions d'un pays, de ses paysages, de son histoire dans une langue belle et pure à l'image du pays. Pour le connaître, je dirais que c'est un lieu où l'esprit s'élève : on s'y sent plus près du ciel… ou des étoiles. L'arrivée dans le village dévasté de Norcia est saisissante , il se trouve face à une statue épargnée par le séisme « Ce fut alors que je vis la statue… qui levait son bras droit comme pour indiquer quelque chose à mi-chemin entre le Ciel et la Terre. Elle était intacte au milieu de la destruction et l'on pouvait y lire, Saint Benoît, saint patron de l'Europe» Et cette statue tournée vers l'Europe lui dit qu'il se trouvait peut être devant les ruines d'une grandiose idée politique gangrènée par le repli sur soi, le populisme et le consumérisme poussé à l'extrême. Deux guerres mondiales n'auront elles pas suffi, en faudrait il une troisième pour qu'elle retrouve ses idéaux?
C'est là que commence la deuxième partie du "fil sans fin", plus longue et moins consensuelle.
Partant de la règle bénédictine érigée par saint Benoît : modération, écoute, solidarité, hospitalité et même démocratie au sein de chaque communauté et, porté par un véritable élan mystique, Paul Rumiz part à travers l'Europe à la rencontre de ces hommes de bonne volonté qui, dans leurs abbayes, mettent en pratique les règles de leur ordre. Des rencontres souvent passionnantes et instructives et Paul Rumiz croit sincèrement en leur exemple qui a traversé les siècles pour aider au renouveau de notre communauté à la dérive.
J'ai alors eu bien du mal à suivre l'auteur dans ses conclusions: en pratique d'abord, son modèle basé sur la vie en petites communautés me semble inapplicable à un ensemble de 28 pays comptant plus de 400 millions d'habitants. Et surtout, tous les ordres religieux, bénédictins compris, sont restés au sein de "la Sainte Eglise Catholique et Apostolique", coupable au fil des siècles, de tant de méfaits que je ne pourrai jamais cautionner quelque projet que ce soit prétendant, même honnêtement, s'en inspirer.
Conclusion: ce récit mérite d'être lu pour suivre la quête de son auteur, il est instructif et porte à la réflexion même si l'on ne partage ses conclusions, l'écriture est belle, sans fioritures. Merci à Babélio et aux Edition Arthaud pour cet envoi.
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Paolo Rumiz est un auteur réputé, doté d'une aura de grand européen et grand voyageur, qui confronte érudition et travail de terrain pour construire des livres importants. C'est l'idée de lui que je me faisais sans avoir lu un seul de ses livres. C'est pourquoi j'ai sollicité l'envoi de son dernier ouvrage à la Masse critique non-fiction et je remercie Babelio et les éditions Arthaud de me l'avoir offert.
Il est sous-titré " Itinéraire spirituel pour la renaissance de l'Europe." Rumiz part en effet du constat incontestable que l'Europe va mal : il revient à plusieurs reprises sur le scandale des migrants repoussés aux frontières, les tragiques noyades de ceux qui n'arrivent pas jusqu'aux côtes, les souffrances incessantes pour ceux qui survivent. le déclin de l'Europe ce sont aussi les nationalismes galopant un peu partout, les dérives d'une économie qui écrase de plus en plus les plus faibles et le matérialisme consumériste qui remplace tout idéal, toutes valeurs.
J'ai été tout d'abord charmée par la plume vraiment belle de Rumiz, ses descriptions des hommes comme des paysages. Tout au long du livre, j'ai apprécié de nombreux passages, leur puissance évocatrice qui témoigne du profond et sincère amour de Rumiz pour l'Europe et ses habitants.
J'ai été déconcertée lorsque j'ai compris que la recherche de solutions, de nouveaux souffles pour les Européens prenait la forme d'un voyage d'abbaye en abbaye, en Italie, Allemagne, France, Belgique, Hongrie et Suisse.
Il est indispensable d'approfondir sa connaissance de l'Histoire pour comprendre le monde d'aujourd'hui. Et les valeurs des Bénédictins, Cisterciens ou Trappistes sont honorables et sans doute inspirantes à certains égards. Rumiz sait faire partager son enthousiasme pour la règle de Saint Benoit, l'hospitalité des frères, la beauté des cantiques et des architectures.
Mais est-il suffisant de visiter des abbayes, uniquement des abbayes pour espérer retrouver des valeurs et des idéaux plus généreux à offrir au peuple européen ? Pour ma part, je n'en suis pas convaincue et malgré toute ma bonne volonté et mes a priori favorables, il me semble que fonder l'Europe uniquement sur des "racines chrétiennes" est pour le moins restrictif. Sans nier ces racines-là, elles peuvent aussi bien venir des Lumières par exemple. Rumiz écrit comme si le christianisme avait inventé seul l'Europe et la liberté. Il ne dit pas que si tel était le cas, il serait donc aussi à l'origine des maux actuels. Et qu'une refondation devrait aller s'inspirer ailleurs.
Ces hautes valeurs (chrétiennes et autres) qui ont inspiré les plus belles oeuvres ont pu aussi malheureusement être instrumentalisées pour commettre les pires atrocités. Rumiz les évoque, en Europe, au vingtième siècle. Il dénonce aussi les atrocités d'aujourd'hui : Srebrenica, l'Ukraine, le drame des migrants... C'est admirable quand si peu de voix qui comptent s'en émeuvent, malheureusement.
Mais ses tentatives de réponse ne m'ont pas convaincue. À un moment, à Bruxelles, il évoque les jeunes qui manifestent pour le climat : j'aurais rêvé d'un ouvrage qui relie L Histoire et le présent, les héritages et les points de vue (et actions) des jeunes générations impliquées. Ce n'est pas ce livre-là. C'est un livre qui a sa beauté néanmoins, un ouvrage pieux et sincère. J'en retiens des portraits expressifs et généreux à tous les chapitres, de saines révoltes, des réflexions sur la musique, le silence, l'écoute et l'hospitalité, des moments suspendus, une quête de liens et de sens.
Je lirai donc ses précédents, ceux qui ont fait sa renommée. Peut-être ce dernier est-il mineur dans sa bibliographie.
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Durant l'été 2016, un tremblement de terre dévastateur a eu pour épicentre les Apennins entre l'Ombrie et les Marches, dans l'Italie centrale, dont les séquelles sont encore bien visibles. Norcia, la ville natale de Saint Benoît, saint patron de l'Europe et fondateur de l'ordre monastique des Bénédictins, a été particulièrement frappée par le séisme. En avril 2017, en randonnant parmi ses monts nommés d'après la Sibylle, Paolo Rumiz s'inquiète de l'état de l'Europe, de sa balkanisation à l'échelle continentale dont le dernier épigone en date est le Brexit, de sa déshumanisation concrétisée par le refoulement des migrants, des menaces qui pèsent sur ses démocraties, notamment depuis le cheval de Troie que représentent certains régimes d'anciens membres du Pacte de Varsovie, de son système économique prédateur de l'environnement et du bonheur des humains. Ainsi, devant la statue intacte du saint, il est saisi par la pensée que lors de la chute de l'Empire romain, c'est bien le monachisme bénédictin qui sauva l'Occident de dangers bien plus graves encore – de la violence généralisée, de migrations belliqueuses, de dégradations urbaines, de banqueroutes – et qui créa une vision de l'Europe et un réseau territorial touffu grâce à une Règle fondée sur la prière, le travail (« ora et labora »), mais aussi sur l'écoute, l'accueil, le silence et l'exemple. Qu'y a-t-il d'encore actuel dans la Règle bénédictine ? Peut-on y puiser quelques réflexions pour faire face à la déliquescence contemporaine de l'Europe ? Afin de répondre à ces questions, il se met en route vers des monastères bénédictins « de l'Atlantique au Danube », pour recueillir le témoignage de leurs abbés et abbesses.
La description de ces lieux – quatorze font l'objet de chapitres spécifiques dans le livre, mais d'autres sont survolés en quelques lignes – qui sont très différents les uns des autres autant par les paysages qui les entourent que par le caractère propre de chacun, étant donné que le réseau bénédictin se caractérise par l'autonomie et la décentralisation radicales, les propos recueillis, et surtout les digressions innombrables qui font la prose de Rumiz forment le matériau de cet ouvrage. Les endroits sont splendides, les rencontres imprévues, les silences s'alternent aux paroles murmurées, aux chants et autres musiques sacrées et profanes, les bières abbatiales et autres nutriments conventuels abondent, pourtant l'inquiétude de l'auteur domine dans ces pages davantage que dans tout autre livre de lui. le discours politique sur l'Europe et sur les migrations, depuis l'Italie, a certainement des tons plus alarmés, je dirais même plus tragiques que ceux que nous avons l'habitude d'entendre en France ; le christianisme et en particulier les « racines chrétiennes de l'Europe » ont aussi, clairement, des connotations voire une signification totalement différentes, à la fois plus consensuelles et plus militantes (ce qui peut paraître paradoxal)... de même, les paroles des religieux, bien que mises en contexte autant que possible par Rumiz, y compris celles d'un curé hongrois qui portaient les relents fétides de son gouvernement actuel, révèlent à l'évidence les traces de la diversité des perspectives d'un point à l'autre du Continent. Cela est toujours intéressant à relever entre les lignes. le pessimisme vainc et le ton est par conséquent, souvent, davantage que celui de l'observation, celui de l'admonestation.
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Citations et extraits (22) Voir plus Ajouter une citation
Les valeurs fondatrices de cette époque, m’écrit encore Antonio, ne sont pas mortes : « Seulement, il est devenu difficile de les entendre dans ce vacarme. » Mais s’il en est ainsi, alors il faut des hommes capables de réhumaniser la vitesse, de redonner un sens aux paroles, aux syllabes, aux métaphores, au chant. Les écrivains, par-dessus tout, vont devoir faire en sorte que « ce flux constant de nouvelles, d’informations, d’opinions, de paroles ne perde pas en route son fardeau le plus précieux : le sentiment de l’humain ». 
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Quand je regarde ces montagnes lunaires, en équilibre entre deux mers, il me paraît évident que mon Europe, dont les confins ne sont clairement définis que du côté atlantique, a toujours été le terminus des nations de l’Orient, des peuples impétueux, chargés d’énergie vitale, qui l’ont combattue, mais l’ont aussi vécue et rendue fertile. Était né de tout cela un paysage unique au monde, à l’échelle humaine, avec une densité inimaginable d’ermitages, d’abbayes, de temples et de toponymes liés au sacré. Un espace à travers lequel on pouvait aisément « cheminer », où depuis chaque village, on pouvait voir d’autres villages, formant une topographie intime de clochers. 
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Les minutes s'ajoutent les unes aux autres dans une spirale de retards à la chaîne, les trains s'accumulent et créent un gigantesque bouchon dans les Apennins, la foule du sous-sol, peureuse, ondoie d'impatience, mais sans jamais se transformer en onde de choc. Et pendant ce temps, les forces de l'ordre braquent l'immigré. C'est une parfait radiographie du pays. L'Italie est rançonnée par les mafieux et par des armées de fraudeurs, désertifiée par la grande distribution, dévorée par l'incurie, gouvernée par les talk-shows, mise à sac par les banques, assommée par les taxes et les impôts en tous genres, massacrée par la bureaucratie, mais sa seule et unique obsession est le migrant. Nous avons été expropriés du sens des institutions et des droits du travail, spoliés de notre avenir et de notre mémoire nationale, pris en otage par sept gérontocraties et confréries de bons à rien bien en cour, mais nous nous en prenons aux faibles plutôt que de nous révolter contre cette caste pour lui arracher le pouvoir...
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Les moines ont posé sur la commode de ma petite cellule une édition de poche de la règle de saint Benoît. Un petit livre gris qui m’invite à vérifier où, dans ses trois cents pages, réparties entre soixante-treize chapitres, peut se loger le secret de cette prodigieuse aventure. J’y ai déjà lu des enseignements admirables : l’autorité exercée à travers l’écoute ; l’élection démocratique de l’abbé ; le prestige qui ne dépend en aucun cas de l’âge ; l’ouverture aux plus jeunes ; la gestion collective des litiges internes par le biais d’une assemblée, ce qui devait ensuite engendrer, avec la réforme cistercienne, le premier parlement du continent ; la discipline, mais aussi la mansuétude des rapports humains ; la différence abyssale entre le zèle dans la douceur et dans l’amertume. Une modernité bouleversante. Peut-être le moment est-il venu de comprendre si la règle serait encore utile pour tirer les élites de leur torpeur, refaire l’Europe et barrer la route à la barbarie.
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Les abjectes palabres par Internet interposé se répandent aussi parce que trop peu de gens osent leur répondre. La première bataille, il faut la livrer contre le pire des silences, celui de la lâcheté.[...]
Mais l’a priori haineux, c’est une autre affaire, c’est une dégénérescence que manipule la peur. C’est immonde. C’est pour cela qu’il est urgent de trouver un langage contradicteur et un canal narratif émotionnel capable de faire sortir les justes paroles des cercles fermés, [...]
On ne peut pas répondre aux pulsions viscérales par la raison, tendre l’autre joue ni se lancer dans des considérations raffinées. Il faut avoir une arme toute prête. Un vocabulaire fulgurant.
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Vidéo de Paolo Rumiz
Rencontre animée par Jean-Claude Perrier
Festival Italissimo
Auteur d'une douzaine de livres traduits dans le monde entier, éditorialiste à La Repubblica, Paolo Rumiz est avant tout un écrivain voyageur. Reporter de guerre, investigateur de zones frontalières et de lieux oubliés, il a parcouru des itinéraires merveilleux, inconnus du tourisme de masse. Dans son dernier ouvrage, le Fil sans fin, il poursuit son errance en suivant les disciples de Benoît de Nursie, le saint patron de l'Europe : de l'Atlantique aux rives du Danube, un voyage spirituel à travers l'Europe des monastères, à la redécouverte de nos valeurs fondatrices.
Plus d'informations sur le festival
À lire – Paolo Rumiz, le fil sans fin, voyage jusqu'aux racines de l'Europe, trad. par Béatrice Vierne, Arthaud, 2022.
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