Pour les passionnés des Alpes, notamment Italiennes, Paolo Rumiz invite ses lecteurs sur 16 grands itinéraires de la Slovénie ( Ljubljana) aux Apennins, à réaliser à pied à cheval ou en Topolino.
Parti pour s'échapper du monde, et revenu avec un pavé de 461 pages aux caractères serrés, il faut en avoir des choses à dire !
Paolo Rumiz, en décapant les Alpes, puis les Apennins, des vieux clichés, avec ce regard obstiné du journaliste besogneux, a laissé une trace, de près d'un million de signes pour dessiner " La légende des montagnes qui naviguent". Cette navigation terrestre loin de vous plomber devient un enchantement, au fil du temps le pavé s'allège !
L'ouvrage est « condensé » en 16 chapitres, 8 pour balayer les Alpes puis 8 pour les Apennins, deux livres en un. Écrivain voyageur, il vous ballade, et vous séduit, il s'empare de vous et ne vous lâche plus avant la pose du chapitre suivant.
Les trois chapitres que j'évoque donnent une idée de cette chevauchée.
"De la mer à la Drave", la Slovénie, le chapitre s'ouvre sur un bref aperçu des multiples guerres qui ont émaillés son histoire : "On hissait le drapeau blanc, fini ? Çà paraissait impossible". Rêve ou cauchemar, les slovènes firent le tour complet des nationalités européennes. Mais c'est où ce pays ?
La suite comme un hommage à Brautigan, nous promène parmi des ours insaisissables, trop nombreux, ingérables, solitaires et individualistes, gourmands insatiables ( cf citations). On abandonnera les plantigrades pour découvrir la vraie personnalité de Jörg Haider très bon grimpeur, mais "sa belle prestance s'alliait à une moralité douteuse" p 52.
On retrouvera au long de ce récit cette lucidité du journaliste peu enclin à édulcorer ses critiques.
"De Chiavenna au Tessin", Paolo Rumiz nous invite à prendre la mesure du sol, celui qui nous porte, jusqu'aux vallées les plus profondes, et découvrir l'étendue vivante du sous sol, gangrené de tunnels, qui affleurent par endroits, avec les grondements sourds de ces monstres mécaniques, qui pour être restés trop longtemps sous terre viennent vous terrifier, tel " le hurlement de la mer archéozoïque" p159.
C'est un autre visage de la suisse que hennit notre cheval errant, une modernité qui s'accommode mal des zones retirées, comme si les Alpes suisses formaient la plaine du Pô.
Le canton qui a donné naissance au pays, le canton de Schwyz, a voté à 70% contre l'Europe. En Suisse l'on dit « si tu n'est pas sage je t'envoie dans le canton de Schwyz ».p 164.
Depuis le col enneigé de la Furka, "je lis, que 150 mercédes vont et viennent tous les jours entre la France et la Suisse, toujours les mêmes, elles appartiennent à la mafia. La police le sait , mais ne peut rien faire". p 168 .
La Suisse mérite sans aucun doute la palme de l'ambiguïté, c'est du moins le sentiment qui se dégage du pavé lancé par Paolo Rumiz, dans un Léman de bon sentiments, la vache qui rit aux étrangers meurtris.
Échappons aux monstres des tunnels, à la caporalato ( exploitation des immigrés) et préparons nos carcasses à affronter les Apennins, et esquiver une chaîne d'ouvrages gigantesques.
Il fallait repartir de zéro, retrouver les fossés, les impasses, éviter les embrouilles avec le moyen de transport le plus lent qu'il fut, une guimbarde pour attelage, un solide bijou de technologies, née en 1936, la Topolino Fiat »la souris », capable de rouler comme l'Oural par + ou – 30°, dépassant rarement les 30km à l'heure (l'Oural la moto mythique de Sylvain Tesson).
"De Savone au val Trébia" le 1er chapitre dans les Apennins.
Pas de concessions aux lignes droites, aux ronds-points, choisir la via buissonnière, à la recherche des routes perdues, Paolo Rumiz, fait appel à un guide sorti des monts chauves, un berger, esthète, aquarelliste et amoureux de la petite reine, Albano Marcarini est ce personnage démodé, qui seul peut traverser les Apennins sans croiser un gendarme ou une autoroute.
Albano Marcarini dans "la brouillasse du col de Faiallo, fait le point à l'aveuglette, un guide de 1896 à la main" ! Ce livre est à l'image de Marcarini , changer de braquet, voir, s' imprégner avant qu'il ne soit trop tard, la nature sauvage démultipliée encore là pour ceux qui savent couper le contact.
Après la lecture de ce récit exceptionnel, je ne regarderai plus mon Marcarini de la même façon. Ce vélo sur mesure d'une trentaine d'années, me semble encore digne d'aller flâner aux Apennins, et fuir la modernité ou l'éprouver.
C'est avec un talent fou que Paolo Rumiz se déploie dans ce pavé ; merci à masse critique de rendre ce livre accessible, la traduction est pleine d'humour, humour grinçant pour toutes les absurdités déployées par les hommes. Il nous parle beaucoup de l'aveuglement des élites comme des biens pensants.
Il nous fait découvrir des personnages hors du temps.
A lire sans chercher une suite logique aux chapitres, ils sont indépendants.
Bravo à masse critique et à Arthaud, pour cette belle navigation.
http://alter1fo.com/chevauchee-topolino-alpes-italiennes-16-itineraires-110785
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Si "pour voyager il ne sert à rien de quitter son fauteuil, qu'il suffit de lire des livres", en voici un tout indiqué. Le candidat au périple se laissera embarquer avec enthousiasme dans la vieille guimbarde de Paolo Rumiz pour franchir cols et vallées, puisque c'est celui que propose ce voyageur impénitent dans son dernier ouvrage. Voyage à thème, comme ce journaliste italien à la plume experte les affectionne, pour dépeindre personnages et paysages de rencontre.
Le thème de la légende des montagnes qui naviguent, c'est la quête de l'authentique. Thème qu'on pourrait d'ailleurs appliquer à plusieurs des ouvrages de ce reporter qui n'avait pas craint en d'autre temps d'affronter le danger des zones de guerre et témoigner des comportements humains, entre héroïsme et exactions.
L'authentique, ce vieux fonds d'humanité, ne se trouve certes pas dans le tumulte de la civilisation urbaine moderne où des zombis connectés - on ne sait trop à quoi ou à qui, eux-mêmes le savent-ils quand ce n'est certainement plus avec leur vis-à-vis - évaluent le degré de bonheur à leur pouvoir d'achat. L'authentique, Paolo Rumiz va le chercher dans le visage sillonné de rides, le regard pénétrant de ceux qui ont choisi de s'accrocher au flanc de la montagne, de bavarder avec les marmottes et faire croire que la montagne vit encore en dehors des stations surpeuplées, quand la neige qui se fait parfois désirer, réchauffement climatique oblige, veut bien leur autoriser le frisson de la glisse.
La légende des montagnes qui naviguent est un récit de voyage. 8000 km au travers des Alpes. Il prend tour à tour des allures de fresque picturale, de roman historique, de diatribe politique ou de confidence superstitieuse quand son parcours l'entraîne dans les errements brumeux des vieilles légendes. Paolo Rumiz n'est jamais autant exaucé dans ses intentions que lorsque son étape lui donne l'occasion de rencontrer un des derniers mohicans qui, une fois la méfiance pacifiée, deviendra prolixe à lui conter la petite histoire dans la grande, du temps où le locataire de la montagne devait tirer sa subsistance de son troupeau, cohabiter avec l'ours et le loup, du temps aussi où les visées impérialistes des nations riveraines donnaient de la mouvance aux frontières.
Mais en leitmotiv de chaque chapitre, son ouvrage veut surtout être un plaidoyer écologique. Un blâme est décerné à cette espèce qui reste sourde aux avertissements que lui lance la nature meurtrie, comme par exemple la catastrophe du Vajont en 1953. Cette espèce qui s'entête dans la quête perpétuelle des plaisirs, fermant les yeux au désastre qu'elle provoque, car un "désastre qui dure des décennies ne fait pas sensation."
Seulement voilà, j'ai appris récemment un terme de vocabulaire qui me fera passer pour instruit. Ce terme c'est cinétose. Plus connu sous l'expression de mal des transports. Je vais quand même avouer pour conclure que 8000 kilomètres sur les routes de montagne, en passager d'une vieille guimbarde qui semble aller au gré des lubies de son guide, sans autre fil conducteur que faire admirer le paysage et dire leur nostalgie aux vieux qui déplorent le bon temps d'avant, ça peut faire languir le fond de la botte italienne. Là où se termine le voyage. 460 pages d'un parcours erratique dans les lacets des routes de montagne, cela aurait mérité quelques raccourcis, même si l'air y est pur sous la voute étoilée. Une carte eût aussi été la bienvenue pour se situer dans la myriade de noms de pays, de village qui émaillent ce récit. Heureusement qu'il y a "gougueule", c'est ti pas comme ça que vous l'appelez celui qui dirige vot' vie maintenant à vous autres qui êtes connectés dans la vallée ?
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Écrivain-voyageur italien, Paolo Rumiz a parcouru près de huit mille kilomètres dans les Alpes et les Apennins, à pied, à vélo et en Fiat Topolino !
Lire la critique sur le site : LePoint
Six ans durant, l'ancien reporter de La Repubblica a arpenté les Alpes et les Apennins, dont il a tiré un récit captivant, La légende des montagnes qui naviguent.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Dans “la Légende des montagnes qui naviguent”, l'écrivain italien raconte un périple de 8000 kilomètres à travers les Alpes et les Apennins.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Le véritable alpage est ici, dans les terres lunaires du Sud. Au cours de mon présent voyage ( dans les Apennins), ce n'est qu'à partir des Marches, en direction du sud, que j'ai trouvé des animaux à la pâture.... Plus au nord, je n'ai rien vu de semblable, rien d'autre que des campagnes désertes et des bêtes claquemurées dans des hangars puant l'ammoniaque. Ici, dans le sud profond, tout change. Le vrai lait est jaune, parce que les bêtes broutent aussi des fleurs. Et non pas blanc, comme nous le fait croire la Padanie souveraine, pour mieux nous refiler une camelote insipide, produite avec du foin.
Je pense que la révolte des éleveurs est la révolte d'un monde humilié depuis un demi-siècle, la révélation d'une défaite culturelle, exactement comme le Vajont. Le barrage du désastre, ce sont les héritiers du fascisme qui l'on construit, et ce sont eux qui ont détruit l'élevage et l'agriculture de l'Italie, et encore eux qui aujourd'hui liquident la classe ouvrière.
La laine était notre richesse, c'était le pétrole de notre pays désormais obligé de tout importer, même la viande. L'Italie,où on ne voit plus un animal dans un pâturage et où les enfants croient que le lait sort des bouteilles, était pourtant le royaume fabuleux des nomades de la transhumance. Le triomphe de la liberté pour les hommes comme pour les bêtes.
Rencontre avec Mario. Extraits
Quelle merveille, quand la forêt change de couleur. On voit venir le temps de la récolte, du bilan. Un peu de mélancolie, mais aussi de grandes journées de soleil où, depuis les cimes, tu peux voir les Alpes et en même temps la lagune. ....
la neige, l'instinct du loup, le besoin de se perdre encore dans les bois de chez lui, sur le plateau d' Asigo, de remettre les skis de fond, de laisser son haleine geler sa barbe. Le temps, aussi, de raconter.......
J'attends le signal. Le printemps. Il apparaît à l'improviste, au lieu d'arriver doucement, comme l'automne. Il est comme la vie. Il te prend à contrepied au moment même où tu crois avoir terminé, tiré les rames dans le canot. Il y a toujours un chagrin, un amour, une peur ou une joie, qui te cueillent par surprise. Le signal arrive comme ça, comme un coup de vent, ou pendant la nuit, avec la pluie qui tambourine sur le toit, et puis le matin, quand l'herbe se met à verdir .....
Les limites se manifestent toujours au printemps. Il a une odeur bien précise, définie, fraîche, vitale. ...
Et l'été ?
Un poète chinois disait " ne me cherchez pas l'été, c'est trop fatigant de recevoir des invités, il passe trop de voitures, de chevaux, ne m'obligez même pas à ouvrir les fenêtres."
Ce qui est survient avant, bien avant ce qui est écrit. Les mots ont un rythme qui épouse la marche de l'homme, cet animal nomade emprisonné dans la modernité.
Les frères me servent une blague pas mal du tout, qu'ils disent tenir des Jésuites et dont le héros est un athée qui va faire un tour dans une forêt.
L'homme, me racontent-ils, déambulait, enchanté par les arbres, les cours d'eau, les fleurs, lorsqu'il entendit un mouvement parmi les buissons derrière lui. Se retournant, il vit un grizzly qui le chargeait. Il détala, le cœur battant à mille à l'heure, mais il trébucha et aussitôt l'ours fut sur lui. Alors l'athée s'écria:
"Mon Dieu!"
Le temps s'arrêta. L'ours, aussi, la forêt devint silencieuse. Une lumière vint frapper l'homme et une voix tonna:
"Comment ça? Tu as toujours nié mon existence et maintenant tu t'attends à ce que je te vienne en aide?
-Je ne pourrais pas être aussi hypocrite, répondit l'athée, mais, toi, tu pourrais faire de l'ours un bon chrétien.
-Qu'à cela ne tienne", dit la voix.
Les bruits de la forêt reprirent, mais dans une tonalité grégorienne. L'ours abaissa la grosse patte qu'il tenait brandie pour tuer sa proie, il souleva l'autre du sol, et les joignit pour prier. Baissant la tête, il dit:
"Bénis, Seigneur, ce repas que je vais consommer."
Dans mon enfance, lors des vagabondages toponymiques qui me laissaient à bout de souffle devant mon atlas, j'en vins à la conclusion que si des noms fabuleux avaient disparu de la carte, les lieux proprement dits avaient dû disparaître aussi. Cette intuition était correcte : un lieu privé de nom cesse d'exister. C'est pour cela que je suis encore attaché aux cartes : elles servent à empêcher l'anéantissement de la mémoire. Le GPS ne suffit pas. Les lieux, il faut les chercher, les courtiser, les rejoindre en commettant des erreurs et des digressions, sinon, ils sortent de votre mémoire. Un peuple qui n'a pas le sens de la géographie est destiné à sortir aussi de l'histoire.
Janvier. Un homme avec son violoncelle et une forêt de sapins couverte de neige. L’instrument a plus de quatre siècles, il est fait du bois de cette forêt. L’homme l’appuie contre un tronc, enfonce de biais la virole dans l’écorce. Il accorde son violoncelle, attaque une suite de Bach. Il fait sonner des notes basses dans la caisse en bois, explore avec patience, sonde jusqu’à ce qu’il se passe quelque chose. L’arbre – un géant de trente mètres – réagit. Il se réveille, résonne dans toutes ses fibres, devient un prolongement du luth. La moitié de la forêt joue, répète ces vibrations comme si elle les savait par cœur. Elle reconnaît la voix de son ancêtre.
https://www.laprocure.com/product/1064126/rumiz-paolo-le-fil-sans-fin-voyage-jusqu-aux-racines-de-l-europe
Le Fil sans fin, voyage jusqu'aux racines de l'Europe
Paolo Rumiz
Éditions Arthaud
« La ville de Trieste, qui est maintenant en Italie, mais qui fut longtemps Autrichienne, a toujours été le berceau, le creuset de très grands talebnts, on pense à Boris Baor récemment décédé à plus de cent ans. Et bien, Paolo Rumiz est l'un de ces écrivains un peu héritiers de cette génération à laquelle il doit tant et, en plus d'être un très bon écrivain, c'est un etrès bon marcheur. C'est donc un vrai récit de voyage qu'il nous propose en éditions Arthaud dans LeFil sans fin. La toile de fond, c'est un voyage qui commence à Nursi, la patrie de saint Benoît de Nursi, patron d'Europe. le voyage commence en 2017 au lendemain d'un tremblement de terre qui dévasta toute cette région... »
Bertrand, libraire à La Procure de Paris
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