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Critique de Malivriotheque


Assez tôt dans sa vie, le jeune Salman aux deux cultures indienne et britannique sait qu'il veut devenir écrivain. Si les débuts sont difficiles, ponctués de boulots inintéressants mais alimentaires voire rémunérateurs et de productions décevantes rejetées par le milieu littéraire, Salman finit par trouver l'inspiration et met plusieurs années à écrire ce qui va constituer son premier succès : Les Enfants de minuit, en outre récompensé par l'un des prix internationaux les plus convoités et prestigieux du monde littéraire anglophone. Salman vit un rêve, est enfin reconnu par ses pairs et la communauté. Nombreux sont ceux qui font l'éloge de sa prose et surtout du sujet abordé dans le roman. Après deux autres publications, Rushdie s'attèle à l'écriture d'un quatrième roman intitulé Les Versets sataniques, dont la publication en 1989 changera à jamais le cours de son existence...

Par où donc commencer ? Cette autobiographie massive à la troisième personne (avec plus de 900 pages au compteur en version poche) est littéralement passionnante. Certes, elle gagnerait à avoir quelques pages de moins - l'auteur dévoilant vraiment TOUT de sa vie et ne cachant aucune erreur, honte ou sentiment, mais également parlant beaucoup de ses amis dont on se fiche parfois un peu mais sans toutefois lesquels, on le sait, il n'aurait pu supporter la situation - mais la lecture de ce pavé reste indispensable pour comprendre l'homme, son parcours, ses ambitions et ses échecs, mais surtout un pan absolument non négligeable de l'histoire, qu'elle soit littéraire ou politique. Cette biographie est une fenêtre malheureusement ouverte sur la multitude d'évènements plus récents qui ont conduit le terrorisme islamique à une quasi habitude face à la liberté d'être et d'expression, et surtout à un quotidien marqué par ce type d'attaque contre autrui.
Ainsi Salman Rushdie revient sur ce qu'a été sa vie enfant et adolescent, puis de 1989 à 2002 (quel dommage qu'il s'arrête à 10 ans avant la publication de son histoire !! Mais je me plains finalement que ce soit trop court alors que juste avant je me plaignais que ce soit un peu trop long, quelle contradiction !!), sur les menaces constantes qui pesaient sur elle et sur son combat pour la liberté d'expression, la liberté tout court, mais également la reconnaissance de son travail littéraire au lieu de l'attention complètement bloquée sur son soi-disant blasphème.
Comme son père, l'homme est farouchement athée mais irrémédiablement intéressé par la religion, et son propos sur l'Islam d'aujourd'hui et de nombreux hommes au pouvoir en Orient et Occident est extrêmement lucide, clairvoyant et intelligent. Si j'avais vraiment pris le temps, j'aurais noté sur un cahier quantité de citations. Il fait une analyse tellement juste de la situation, toujours valable aujourd'hui car nous avons vu que nous ne pouvons TOUJOURS PAS tout dire (voire que la liberté d'expression a carrément régressé et qu'aujourd'hui on ne peut du coup PLUS tout dire) et que le politiquement correct est venu complètement censurer la parole, l'humour, la réflexion et l'interrogation de chacun sur la religion. Car la religion est devenue un terrain tabou sur lequel on ne peut plus faire de commentaire, au risque, comme l'explique si bien Rushdie, de se voir menacé de mort (voire bien évidemment tué) ; est devenue d'une certaine manière une raison légitime d'appeler au meurtre comme si cela allait de sens, comme si cela était légal, comme si cela était normal.
On assiste dans cette autobiographie à la folie de l'obscurantisme, à l'incompréhension et au suivi aveugle de commentaires de personnalités haut-placées par des millions et millions de gens qui, pour beaucoup, n'ont pas pris la peine de se renseigner face à de telles accusations, et pour beaucoup d'autres se sont vus abusés. Ce qui est fascinant, c'est de voir comment l'accusation est venue d'un chef en Iran et comment l'Iran est devenu par la suite la voix de la contestation, quel que soit l'endroit où Salman Rushdie tentait de se déplacer. Un voyage au Danemark pour recevoir un prix ? L'Iran crie au scandale. Son visa accordé en Inde après des années de boycott ? L'Iran proteste... Sans le dire, Rusdhie nous montre une mascarade pure et simple, ultra-violente et irrationnelle. La fatwa dont il fait l'objet est toujours en vigueur aujourd'hui, certains appellent toujours farouchement "tout bon Musulman à exécuter l'apostat". Cela se passe de commentaires...
En plus de découvrir ce que la fatwa a fait de sa vie, l'un des attraits majeurs de cette biographie est de revivre la création de l'oeuvre de Rushdie, des Enfants de minuit à Furie. Cette facette de ce livre est absolument fascinante, montrant les ambitions réelles et personnelles de l'auteur dans chaque roman (ou presque), le dessein caché, les évènements personnels qui se retrouvent insérés, les vraies significations derrière tel ou tel personnage ou tel ou tel passage, le but, la quête, le processus et le contexte d'écriture... C'est totalement passionnant et on en reprendrait bien un coup si on pouvait car il n'offre pas le même traitement à toutes ses productions. L'effet est immédiat sur le lecteur et lui donne très envie de lire certains d'entre eux, comme pour ma part Les Enfants de minuit, Haroun et la mer des histoires ou le Dernier soupir du Maure.
Mais surtout, la lecture de cette biographie ouvre les yeux sur Les Versets sataniques et sa compréhension en tant que lecteur. Je l'ai lu, il y a maintenant 4 ans. Et grâce à la lecture de Joseph Anton, je sais que je l'ai mal lu, que je n'en ai pas suffisamment apprécié la portée et qu'il faudrait clairement que je le relise, cette fois en ne sautant pas certains passages. La lecture de Joseph Anton m'a fait comprendre que j'avais lu Les Versets pour les mauvaises raisons, qu'il me manquait sans conteste la lecture d'autres de ces romans, car celui-ci s'inscrit dans une chronologie et un processus d'écriture indubitables (même si les romans n'ont rien à voir entre eux). J'ai donc commis la même erreur que beaucoup, en n'appréciant pas suffisamment Les Versets pour leur valeur littéraire, en le voyant majoritairement comme l'objet de tous les conflits. Certes, il n'est pas aisé de le dissocier de cette image, mais Salman Rushdie a clairement un don pour l'écriture, belle et fluide, aux sujets marquants et profonds, aux constructions néanmoins un peu difficiles mais toujours avec un but pré-déterminé. Cette biographie, ce n'est pas seulement la révélation d'années d'enfermement et de violence, c'est aussi la révélation d'un auteur, de son travail, de ce qu'il fait via ce qu'il est.
En réalité, il faudrait en fait aborder l'oeuvre de Rushdie avec Joseph Anton. A lire, sans conteste.
Lien : http://livriotheque.free.fr/..
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