Le bonheur, ce n'est pas compliqué mais pas pour autant donné à tout le monde.
Sans qu'on comprenne très bien pourquoi,
Bertrand Russell se targue de connaître le sujet au même titre que les équations.
Selon lui, pour être heureux, commençons par être correctement nés, bien-portants, suffisamment doués et plutôt chanceux:
"Certaines conditions sont indispensables au bonheur de la majorité des hommes, mais ce sont des choses très simples: la nourriture et l'abri, la santé, l'amour, le travail couronné e succès et le respect de son entourage. Pour certaines gens, avoir des enfants est également indispensable. Lorsque ces conditions viennent à manquer, seul l'homme exceptionnel peut réaliser son bonheur, mais si ces conditions sont remplies ou peuvent être atteintes par un effort bien dirigé, l'homme qui se sent encore malheureux souffre d'un déséquilibre psychologique; si ce déséquilibre est très grave, il peut exiger l'intervention d'un psychiatre, mais en général il peut être soigné par le malade lui-même, pourvu qu'il aborde la question du bon côté."
Notons que "un effort bien dirigé" consiste tout bonnement en une action personnelle volontaire et régulatrice du conscient sur l'inconscient.
Puis sortons la tête du sac: "on ne demande pas à l'homme de se sacrifier, mais de placer ses intérêts en dehors de soi…" et cessons de nous regarder le nombril: "Le bonheur fondamental dépend plus que tout autre chose de ce que l'on peut appeler un intérêt amical pour les être et pour les choses."
Ouvrons-nous au monde extérieur, qui est immense et plein de sources de plaisirs qui n'attendent que d'être cueillis, bref aimons et nous serons aimés : "L'homme heureux est celui qui vit objectivement, qui a des affections libres et des intérêts larges, celui qui retire son bonheur de ses intérêts et affections et du fait que ceux-ci, à leur tour, le font un objet d'intérêt et d'affection pour beaucoup d'autres."
Loin de toute spéculation intellectuelle,
Bertrand Russell, en bon pragmatique anglo-saxon ayant définitivement quitté le camp du puritanisme ou même simplement du christianisme pour l'hédonisme, s'appuie sur son expérience des hommes et de la vie pour nous livrer la recette du "vivre heureux" à une époque où triomphe l'american way of life.
On ne peut nier que bon sens et exemples concrets nourrissent l'ouvrage quand la simplicité de la pensée et du ton concourent à la clarté et à une certaine crédibilité du propos.
Si on peut faire a priori confiance à son intelligence, sa capacité d'observation et son traitement quasi-mathématique des sujets psychologiques et sociologiques, il reste que l'approche rationnelle par l'expérience ne fournit aucune démonstration - ce n'est d'ailleurs pas son but- ce qu'on ressent continûment tout au long de la lecture à travers les "je pense", "je prétends", "je crois" , "je suis convaincu"... ou leurs négations selon le cas.
Cela n'implique pas qu'il se trompe toujours, ni même quelquefois mais, de fait, il se positionne ici plutôt comme un témoin de Jéhovah délivrant la vérité du bonheur prêt-à-porter que comme un maître en philosophie.
Ironie de la situation pour ce Nobel, maître de Wittgenstein.
Alors, un ouvrage de commande, dans un moment de désoeuvrement? Peut-être, donc à consommer sans précaution particulière, dans un moment de désoeuvrement.