Un bon essai mais assez ardu à lire à partir de son premier tiers. Sa courte conférence "pourquoi je ne suis pas chrétien" est un bon complément ou succédané pour une lecture plus rapide.
J'ai aimé mais ce n'est pas tout à fait ce que j'en attendais au delà du premier tiers.
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livre important sur le determinisme
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Les doctrines de l’Incarnation et de la Rédemption ne paraîtraient pas vraisemblables si l’Homme n’était pas la plus importante des créatures. Bien entendu, rien dans l’astronomie copernicienne ne prouve que nous sommes moins importants que nous ne le supposons naturellement, mais le détrônement de notre planète de sa position centrale suggère à l’imagination un détrônement semblable de ses habitants. Tant qu’on pensait que le soleil et la lune, les planètes et les étoiles fixes tournaient une fois par jour autour de la terre, il était facile de supposer qu’ils existaient pour notre bénéfice, et que nous présentions un intérêt particulier aux yeux du Créateur. Mais, quand Copernic et ses successeurs eurent persuadé le monde que c’est nous qui tournons, tandis que les étoiles ne font pas attention à notre terre ; quand il apparut en outre que notre terre est petite comparée à plusieurs des planètes, et que celles-ci sont petites comparées au soleil ; quand le calcul et le télescope eurent révélé l’immensité du système solaire, de notre galaxie, et finalement de l’univers d’innombrables galaxies, il devint de plus en plus difficile de croire qu’une retraite aussi reculée et aussi mesquine pouvait être assez importante pour abriter l’Homme, si l’Homme avait l’importance cosmique que lui assignait la théologie traditionnelle.
Aristote avait enseigné que la vitesse de chute d’un corps était proportionnelle à son poids ; autrement dit, si l’on faisait tomber, de la même hauteur et au même instant un corps pesant dix livres et un autre pesant une livre (par exemple), le corps pesant une livre aurait dû prendre dix fois plus de temps pour atteindre le sol que le corps pesant dix livres. Galilée, qui était professeur à l’Université de Pise, mais qui n’avait aucun égard pour les sentiments des autres professeurs, avait l’habitude de faire tomber des poids du haut de la Tour Penchée au moment même où ses collègues aristotéliciens se rendaient à leurs cours. Les masses de plomb petites et grosses atteignaient le sol presque en même temps : Galilée en concluait qu’Aristote avait tort, mais les autres professeurs en concluaient que Galilée était méchant. À la suite d’un certain nombre d’actions malicieuses, dont celle qui précède est typique, il s’attira la haine éternelle de ceux qui pensaient que la vérité doit être recherchée dans les livres, et non dans les expériences.
Le caractère de l’esprit de Kepler était très singulier. Il fut amené à soutenir l’hypothèse de Copernic presque autant par le culte du Soleil que par des mobiles plus rationnels. Dans les travaux qui aboutirent à la découverte de ses trois lois, il fut guidé par l’idée invraisemblable qu’il devait exister un rapport entre les cinq polyèdres réguliers et les cinq planètes : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. C’est là un exemple extrême d’un phénomène qui n’est pas rare dans l’histoire de la science, à savoir que des théories qui se trouvent être vraies et importantes viennent d’abord à l’esprit de leurs inventeurs par suite de considérations entièrement absurdes et déraisonnables. Le fait est qu’il est difficile de penser à l’hypothèse exacte, et qu’il n’existe aucune technique facilitant cette étape essentielle du progrès scientifique. En conséquence, tout plan méthodique permettant d’imaginer des hypothèses nouvelles peut rendre des services ; et, si le chercheur y croit fermement, cela lui donne la patience nécessaire pour continuer à essayer constamment de nouvelles possibilités, même s’il a déjà dû en rejeter un grand nombre.
Quand mon frère fut incinéré à Marseille, l’entrepreneur des pompes funèbres m’apprit qu’il n’avait encore vu presque aucun cas d’incinération, en raison du préjugé théologique. On paraît croire qu’il est plus difficile à la Toute-Puissance de réunir les diverses parties d’un corps humain quand elles ont été diffusées dans l’atmosphère sous forme de gaz que quand elles restent au cimetière sous forme de vers et de terreau.
Un credo religieux diffère d’une théorie scientifique en ce qu’il prétend exprimer la vérité éternelle et absolument certaine, tandis que la science garde un caractère provisoire : elle s’attend à ce que des modifications de ses théories actuelles deviennent tôt ou tard nécessaires, et se rend compte que sa méthode est logiquement incapable d’arriver à une démonstration complète et définitive.
Confrontée à la guerre, la philosophie semble intempestive, à contre temps. Elle se déploie quand la guerre n'est pas encore là, tentant de retenir tout ce qui pourrait prolonger la paix, ou quand la guerre n'est plus là, s'escrimant alors à penser la «réparation», panser les blessures, accompagner les deuils, réanimer la morale, rétablir la justice. Lorsque «la guerre est là», lorsque fusils d'assaut, bombes et missiles éventrent les immeubles, incendient fermes, écoles, hôpitaux et usines, rasent des quartiers entiers, laissant sur le sol carbonisé enfants, hommes et femmes, chiens et chevaux, lorsqu'on est contraint de vivre tremblant dans des caves, lorsqu'il n'y a plus d'eau potable, lorsqu'on meurt de faim et de douleur – eh bien la philosophie ne trouve guère de place dans les esprits. Peut-être est-ce là la raison pour laquelle il n'y a pas une «philosophie de la guerre» comme il y a une «philosophie du langage» ou une «philosophie de l'art», et que le discours de la guerre renvoie plus aisément à la littérature ou au cinéma, aux discours de stratégie et d'art militaire, d'Intelligence, d'histoire, d'économie, de politique. Pourtant – de Héraclite à Hegel, de Platon à Machiavel, d'Augustin à Hobbes, de Montesquieu à Carl von Clausewitz, Sebald Rudolf Steinmetz, Bertrand Russell, Jan Patoka ou Michael Walzer – les philosophes ont toujours «parlé» de la guerre, pour la dénoncer ou la justifier, analyser ses fondements, ses causes, ses effets. La guerre serait-elle le «point aveugle» de la philosophie, la condamnant à ne parler que de ce qui la précède ou la suit, ou au contraire le «foyer» brûlant où se concentrent tous ses problèmes, de morale, d'immoralité, de paix sociale, d'Etat, de violence, de mort, de responsabilité, de prix d'une vie?
«Polemos (guerre, conflit) est le père de toutes choses, le roi de toutes choses. Des uns il a fait des dieux, des autres il a fait des hommes. Il a rendu les uns libres, les autres esclaves», Héraclite, Frag. 56)
#philomonaco
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