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Michel Parmentier (Traducteur)
EAN : 9782844850836
38 pages
Allia (26/01/2002)
3.92/5   145 notes
Résumé :
Les méthodes de production modernes nous ont donné la possibilité de permettre à tous de vivre dans l'aisance et la sécurité. Nous avons choisi, à la place, le surmenage pour les uns et la misère pour les autres : en cela, nous nous sommes montrés bien bêtes, mais il n'y a pas de raison pour persévérer dans notre bêtise indéfiniment.

6ème éd 2009
"L'idée que les pauvres puissent avoir des loisirs a toujours choqué les riches"
Bertrand Ru... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (16) Voir plus Ajouter une critique
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Libres propos sur un libre penseur.

“D'abord qu'est-ce que le travail ? il existe deux sortes de travail : le premier consiste à déplacer une certaine quantité de matière se trouvant à la surface de la terre ou dans le sol même ; le second à dire à quelqu'un d'autre de le faire. le premier type de travail est désagréable et mal payé, le second est agréable et très bien payé.” 

Quelle morgue ! Russel le sceptique (et sarcastique) nous lègue cet article à la tonalité pamphlétaire et caustique et nous rappelle qu'il y a presque un siècle le débat de la place du travail dans nos sociétés se posait déjà.

“En Angleterre au XIXe siècle, la journée de travail normale était de quinze heures pour les hommes et de douze heures pour les enfants”. Les décisions politiques, les idéologies justifiant l'exploitation ne sont pas décorrélées de la paix intérieure et de la quête du bonheur, ces décisions prises si loin des gens les meurtrissent dans leur chair (maladie, espérance de vie, malbouffe, déresponsabilisation, culpabilisation, impossibilité de voyager, aumône et charité…). Comme le montre très bien aujourd'hui un Edouard Louis, Russel avait compris que l'intime est politique et le politique est intime. Il n'y a que la télé pour distancier artificiellement les décisions du pouvoir de leurs conséquences sur nos vies.

“les méthodes de production modernes nous ont donné la possibilité de permettre à tous de vivre dans l'aisance et la sécurité. Nous avons choisi à la place le surmenage pour les uns et la misère pour les autres.”  Pour le philosophe anglais, qui écrit avant les premiers congés payés, la semaine de 39h et le travail massif des femmes (impensable à l'époque pour toutes sortes d'arguments apocalyptiques, il n'y a qu'à relire les débats parlementaires, les mêmes prévisions très « pragmatiques » de ruine des nations que pour l'abolition de l'esclavage, la fin du travail des enfants ou la décolonisation) il est faisable sur le plan économique d'infléchir l'organisation du travail vers un partage plus équitable. Rappelons qu'au Moyen Age, tant pour des questions de respect des saisons qu'à cause d'un calendrier religieux aux jours fériés pléthoriques, les paysans travaillaient en tout et pour tout six mois par an.
Les économistes d'aujourd'hui le confirment, seulement 2h/par personne et par semaine suffiraient à maintenir le P.I.B d'un pays comme la France, quand les scientifiques pointent que plus de 5h30 de travail personne/semaine nous condamnent à l'échec en matière de respects des accords de Paris sur l'endiguement du réchauffement climatique, sans même entrer dans les rapports de la communauté médicale sur les maladies psycho-sociales ou le caractère facultatif voire nuisible pour l'intérêt général de certains métiers, très rémunérateurs, comme le montrent Rutger Bregman ou David Graeber dans « bullshit jobs ».

“Mais sans une somme considérable de loisirs à sa disposition, un homme n'a pas accès à la plupart des meilleures choses de la vie. Il n'y a aucune raison pour que la majeure partie de la population subisse cette privation.” Les résistances sont avant tout idéologiques et cyniques, derrière se dessine un conflit d'intérêt entre la minorité exploitante et la majorité exploitée, cela peut être mis en relation avec la démonstration deux siècles plus tôt d'une élite facultative (la noblesse) qui joue contre l'intérêt général brillement développée par l'abbé Sieyès (quand il était encore révolutionnaire) dans son fameux « Qu'est-ce que le Tiers Etat ? ».

“les classes gouvernantes du monde entier ont toujours prêché à ceux que l'on appelait les “bons pauvres”. Etre industrieux, sobre, disposé à travailler dur pour des avantages lointains”. Il y a un lien entre le « tripalium », cette aliénation qui engloutie des semaines entières chez certains quand d'autres n'ont pas de travail, et la citoyenneté. Notamment la démocratie représentative versus la démocratie directe. On n'accorde pas le temps aux citoyens de se consacrer à la vie de la cité (devenue si complexe, 400 000 textes législatifs, des novlangues toujours plus abscondes…) ainsi il est inévitable qu'au lieu de siéger eux-mêmes à la « boulè » ou à « l'ecclésia » comme dans l'antiquité grecque, ils remettent leurs prérogatives régaliennes entre les mains de quelques-uns.

“Les plaisirs des populations urbaines sont devenus essentiellement passifs : aller au cinéma, assister à des matchs de football, écouter la radio etc. Cela tient au fait que leurs énergies actives sont complètement accaparées par le travail.” Mais plus encore, il y a une schizophrénie entre le fait de naitre libre et égaux et de passer sa semaine dans un lien de subordination hiérarchique et de dépendance économique de sorte que les citoyens restent libres et égaux…le week-end. « Commencerons-nous par abdiquer pour être libres ? » interrogeait déjà le géographe anarchiste Elisée Reclus, Rousseau dirait « l'homme est né libre et partout il est dans les fers : du travail ». En outre, pour pouvoir obtenir des droits, les salariés doivent se mettre en grève et perdre du salaire, c'est le seul moyen pour tenter d'influer se le processus législatif (le peuple étant censé être le législateur), la grève qui condamne à beugler dans la rue comme des bêtes et finir parfois gazés ou matraqués ne fait qu'ajouter au mépris, ne fait qu'ôter davantage la dignité.
C'est la démocratie sociale qui est en panne et aujourd'hui de nouvelles formes de travail s'expérimentent, plus horizontales, moins policières, moins « 1984 », comme les coopératives ou les entreprises auto-gérées.

“La notion de devoir, du point de vue historique s'entend, fut un moyen qu'ont employé les puissants pour amener les autres à consacrer leur vie aux intérêts de leurs maîtres plutôt qu'aux leurs. » Ainsi le conflit d'intérêt dont je parlais plus haut entre exploités/exploitants doit être nuancé. Aujourd'hui encore, lorsque l'on fait un sondage sur le sentiment d'appartenance de classe on se rend compte que beaucoup ont une perception erronée de la classe sociale à laquelle ils pensent appartenir, parfois très éloignée de la réalité des chiffres (salaire médian, salaire moyen).
“Peu à peu cependant, on s'est aperçu qu'il était possible de faire accepter à bon nombre d'entre eux une éthique selon laquelle il était de leur devoir de travailler dur, même si une partie de leur travail servait à entretenir d'autres individus dans l'oisiveté.”  Certains salariés s'imaginent, par bêtise dirait François Bégaudeau, que parce qu'ils gagnent 4500 euros/mois, ils ont plus d'intérêts communs avec ceux qui gagnent 1,5 millions/mois qu'avec ceux qui gagnent 1500 euros. Donc soit on est nuls en maths soit des gens votent ainsi, par millions, contre leurs propres intérêts (sur l'origine aristocratique de l'élection versus tirage au sort notamment, je conseille Bernard Manin « principes du gouvernement représentatif » dont j'ai laissé une trace de lecture ici).

“L'idée que les pauvres puissent avoir des loisirs a toujours choqué les riches.” Peut-être peut-on reprocher à l'auteur quelques passages péremptoires, un manque de preuves factuelles dans les assertions, vous comprendrez que le sujet est trop sérieux pour tendre le flanc aux adversaires de l'Oisiveté pour tous (tout bonnement un meilleur partage du temps de travail), ces prêcheurs de l'Oisiveté pour quelques-uns (au détriment des autres) car, comme le souligne Russel, « malheureusement leur oisiveté n'est rendue possible que par l'industrie des autres ; en fait, leur désir d'une oisiveté confortable est, d'un point de vue historique, la source même du dogme du travail. La dernière chose qu'ils voudraient serait que d'autres suivent leur exemple.” 

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«JE NE VEUX PAS TRAVAILLER»

Chantait sur un air délicatement jazzy avec son délicieux accent américain, la chanteuse China Forbes des Pink Martini dans les dernières années du siècle révolu. Et même si la suite de la ritournelle n'a plus grand rapport avec l'essai, considéré comme un classique sur le sujet, intitulé Éloge de l'oisiveté (bien mal traduit, mais on y reviendra) du prix Nobel Bertrand Russell, cet extrait pourrait presque en être le sous-titre !

En effet, avec un art consommé de la concision qui n'a d'égal que son style aussi direct qu'immédiatement compréhensible même au plus commun des mortels (une des marques de fabrique, pourrait-on dire, de ce philosophe détestant le jargon de sa spécialité) et souvent entremêlé d'un humour que l'on pourrait assez bien qualifier de "so british", l'auteur de la Conquête du bonheur, que l'on a d'ailleurs parfois surnommé le "Voltaire anglais" nous explique sans ambages que :

- le travail n'a pas de valeur morale en soi. Que cette valeur morale qui lui est cependant adjointe date de temps anté-civilisation industrielle et n'avait d'autre sens que de permettre à une toute petite classe d'oisifs d'asseoir leur pouvoir sans partage sur une très large majorité d'individus besogneux. C'est donc d'un processus à la fois historique et culturel qu'a émergé cette valorisation du travail. Qu'aujourd'hui comme hier, la plupart des tâches accomplies par les individus sont plutôt laborieuses, sans grand intérêt, quand elles ne sont pas tout bonnement dévalorisantes voire dégradantes ! Mais que les classes dominantes ont pourtant réussi à maintenir en faisant glisser la notion de travail-nécessité vitale à travail-devoir, où l'on constatera d'ailleurs que cette domination relève du "faites ce que je dis, pas ce que je fais" en résumant d'une sentence assassine cette supercherie qui saute aux yeux de notre philosophe : « il faut bien en faire en sorte que les pauvres soient contents de leur sort, ce qui a conduit les riches, durant des millénaires, à prêcher la dignité du travail, tout en prenant bien soin eux-mêmes de manquer à ce noble idéal ».

- Par ailleurs, le niveau de production et de technologie de la société industrielle est tel que l'on peut désormais produire en un rien de temps ce qui mettait des jours à l'être avant l'avènement de cette civilisation.

- Ainsi, nous en sommes arrivé à un moment de notre histoire où il serait parfaitement envisageable (Bertrand Russell le souhaite même fortement) que chacun travaille beaucoup moins pour un résultat amplement satisfaisant en terme de bien à acquérir pour vivre convenablement. C'est ainsi un véritable plaidoyer pour la diminution drastique du temps de travail - il l'estime à quatre heures par jour - que Bertrand Russell se livre. Remarquons que, quoi que l'on puisse le classer parmi les "utopistes" (en ce sens où il essaie d'imaginer une société meilleure), le fondateur de la philosophie analytique conserve toutefois une bonne part de réalisme en ne promouvant pas la fin pure et simple du "trepalium" (dont on fait abusivement la racine du mot travail. Mais cet abus est fort de signification) car il sait que, même fortement réduit, celui-ci demeure nécessaire au fonctionnement raisonnable de toute société et qu'aucune machine ne saurait le remplacer tout à fait, du moins en l'état des connaissances et progrès de son époque.

- Mais, rétorquera-t-on, que faire de tout ce temps libre ainsi dégagé, une fois que le travail aura perdu de sa superbe et sera relégué au seul rang qu'il mérite : un moyen (de subsistance) et non une fin en soi (l'activité "noble" par excellence), ce qui est l'une des causes, sinon la principale, de toute l'horreur économique, entre autre de cette absurdité, de cette totale aberration que dans un monde technicisé où le travail demeure cependant un dogme ne souffrant aucune diminution, et reprenant à sa manière l'exemple des aiguilles d'Adam Smith, tiré de la richesse des nations, il constate que cette conjonction entraîne inévitablement surproduction donc baisse des prix avec faillite des entreprises les plus faibles donc chômage. Ce que Bertrand Russell conclue ainsi : «Au bout du compte, la somme de loisir est la même dans ce cas-ci que dans l'autre [NB : un monde raisonnable versus le monde réel] sauf que la moitié des individus concernés en sont réduit à l'oisiveté totale, tandis que l'autre moitié continue à trop travailler.»

- le mot est lâché : l'Oisiveté ! Mais n'est-il pas le premier à rappeler dès les premières lignes ceci : «j'ai été élevé selon le principe que l'oisiveté est mère de tous vices. Comme j'étais un enfant pétris de vertu, je croyais tout ce qu'on me disait, et je me suis ainsi doté d'une conscience qui m'a contraint à peiner au travail toute ma vie» ? C'est que cette oisiveté à laquelle songe le moraliste n'a pas grand chose à voir avec la paresse, la fainéantise mais tout avec ce bon vieil "otium" des romains, digne descendant de la scholè des grecs (lire, à ce propos, le grand penseur romain Sénèque et son propre Éloge de l'oisiveté où il dit tout de la différence entre l'Otium et le Negotium, et de l'importance majeure du premier sur le second).

- Il sépare cependant dès ses attendus ce Loisir - dont nos langues traduisent hélas si mal le concept fort et riche de philosophie et d'histoire. Aujourd'hui devrions-nous peut-être évoquer le "développement personnel", si celui-ci n'était pas confisqué par de vulgaires considérations psychisantes "new-age" - qu'il imagine actif, engagé, et surtout, nécessitant un (des) apprentissage(s) pour pouvoir s'accomplir vraiment, de la simple et passive Distraction (qu'il estime d'ailleurs plutôt urbaine). Il le précise lui-même : il n'est nullement question de Loisir comme devant être «pour intellos» (le mot est de lui), prenant à ce propos le plaisir presque disparu des danses paysannes n'existant plus guère qu'au fin fond des campagnes : qui osera dire que le plaisir de danser ensemble ne réunit pas toutes les conditions souhaitées par Russell ? Elle demandent de l'engagement, un certain niveau d'apprentissage pour pouvoir être pratiquées et elles donnent du plaisir, donc un certain niveau de bonheur à qui les pratique. On pourrait même ajouter qu'elle contribuent à un bon état physique et donc à la santé ! le tout en assurant un certain sens de l'échange, du collectif, sans qu'aucune compétition entre les individus ne soit nécessaire. Autant de conditions que l'on ne rencontre finalement pas si fréquemment ! (Les amateurs de "Festoù-Noz" sauront exactement de quoi je parle !). Et de préfigurer, d'ailleurs, la civilisation TV qu'il n'aurait sans doute guère apprécié, bien qu'il en comprenne parfaitement la principale raison : «Les plaisirs des populations urbaines sont devenus essentiellement passifs : aller au cinéma, assister à des matchs de football, écouter la radio, etc ; cela tient au fait que leurs énergies actives sont complètement accaparées par le travail ; si elle recommençaient à goûter des plaisirs auxquels elles prenaient jadis une part active.» Car le Loisir, selon Russell est activité. C'est sans doute même L'Activité.

- Pour que ce loisir ne soit pas que distraction (ce que Russell, à l'instar de Blaise Pascal, devine n'être pas un moteur satisfaisant comme déclencheur de bonheur humain : la société du "loisir" telle qu'elle existe actuellement en est une preuve concrète), il faut invariablement qu'elle ait pour socle l'éducation : « il est indispensable que l'éducation soit poussée beaucoup plus loin qu'elle ne l'est actuellement pour la plupart des gens, et qu'elle vise, en partie, à développer des goûts qui puissent permettre à l'individu d'occuper ses loisirs intelligemment ». Mais il faut aussi pour y parvenir que les élites (même un peu élargie telles qu'aujourd'hui) puissent admettre que loisir des masses ne rime pas invariablement avec fainéantise, alcoolisme, violence, etc. Qu'elles admettent aussi que ces loisirs ne sont pas uniquement intellectuels. Et surtout, qu'il priment, et de loin, cette pseudo "valeur travail" qui, en réalité, n'est que le substitut et la justification à cette domination sans partage des classes dominantes.

Il y aurait ben entendu encore plus long à dire et à commenter sur ce texte pourtant très bref (trente-cinq pages dans cette éditions pourtant très ramassée). Il est aussi assez évident que certains attendus de même que certaines conclusions de Bertrand Russell sont contingentes de l'époque où il rédigea cet essai qui, par bien des aspects, tient presque autant du pamphlet : nous sommes en 1932 et l'observateur attentif de la société de son temps qu'est notre philosophe britannique fut marqué par les drames sociaux et humains des répercussions incroyables de la crise de 1929. Certes, on pourra toujours rétorquer que les visions politiques (il n'est d'ailleurs pas tendre avec "les politiques"), économiques (ceux-là même qui se targuent d'être mathématiciens pour expliquer l'irrésistible de leurs théories néo-libérales devraient se souvenir que Bertrand Russell fut l'un des plus grands mathématiciens des temps modernes) ou humaines (bien que le moraliste génial des Essais sceptiques n'ait certainement guère de leçons à recevoir de nos moralistes faiblards de la post-modernité) de notre monde sont dépassées - il est vrai que la technique a évolué, que le capitalisme financier a encore marqué des points, que l'idéologie néo-libérale semble être devenue insurpassable depuis que son principal adversaire - le communisme, qui n'est en réalité rien d'autre qu'un capitalisme d'Etat : pour preuve son admiration pour ce qui fut un temps nommé stakhanovisme - est mort.

On pourra évidemment rétorquer à Bertrand Russell, ou à ses continuateurs, que cette pensée peine à trouver son adaptation quotidienne. Et il est vrai que le travail - dire "valeur travail" pour reprendre les mots d'un ancien président de la république, mais qu'aucun de ceux plus récent n'a jamais remis en question - ne souffre aucune contestation, si ce n'est pour rejeter dans les enfers de la crasse "paresse" ceux qui en sont dépourvus. Il n'empêche que son constat, que le labeur relève avant tout d'une servilité acceptée, demeure exact pour peu qu'on y songe. Nos temps contemporains, pourtant plus que jamais technicistes, plus que jamais délivrés du travail physique véritablement pénible (y compris, dans une large mesure, en ce qui concerne les métiers dits manuels), plus que jamais supposés connaître rationalisation et rentabilité au travail n'ont de cesse de se découvrir des "burn out" et autres dépressions - jusqu'au suicide - typiques de notre actuel monde du travail. N'est-ce pas le signe que le travail n'est, définitivement, pas une "valeur" en soi ? Qu'il peut, qu'il devrait y avoir d'autres motivations au bonheur, à la découverte, au développement de soi que la seule production de biens ou de services telle que nos sociétés - et nos élites dirigeantes - nous le promettent sans cesse (et pour mieux nous maintenir sous un contrôle malheureusement massivement accepté et répété) ?

À quelques temps de l'enfer possible du grand effondrement, il serait plus que jamais temps de songer à intégrer cette pensée douce et généreuse de Bertrand Russell, qui ne demande rien moins qu'une frugalité honnête, un monde dans lequel le travail est un bien sans finalité propre et seulement un moyen de subsistance, tandis que la tension vers laquelle l'humanité devrait se rendre réside dans sa capité à être, à réfléchir, à agir collectivement. Plus que jamais Bertrand Russell nous rappelle comme la pensée "socialiste utopiste" des Fourier, des Lamennais, des Proudhon, des Kropotkine (etc) même si sans doute pas exempte de défauts, même si très largement disqualifiée par le marxisme triomphant (c'est à eux que l'on doit l'appellation ironique et disqualifiante de "socialisme utopique", elle-même se réservant celle de "socialisme scientifique"...) demeure un point d'appui essentielle à toute pensée plus large sur le travail, et, plus loin encore, sur la place de l'homme face à la société.

Pour mémoire, deux hommes, et quels, ne dirent pas autre chose. D'une part ce génie incroyable que fut Albert Einstein, considérant lui aussi que le travail ne pouvait être une fin en soi (les deux hommes se connaissaient d'ailleurs et se rejoignaient sur d'autres sujets, tel le nucléaire). D'autre part (et malgré la mauvaise presse qu'il peut avoir), le grand industriel Henri Ford, plus souvent connu pour la technique de production qui porte son nom, mais qui était aussi pour un temps de travail massivement diminué.

Lire Bertrand Russell ? Oui ! Comme Sénèque, comme Malevitch, comme Lafargue ! Ne jamais considérer la paresse comme un nihilisme, comme un vide, mais au contraire, comme une absolue nécessité de l'être humain, comme l'aboutissement parfait de ce qu'il ne cesse de vouloir devenir depuis 10 000 ans : un être pensant qui ne peut se contenter de se tuer au travail pour une minorité de ses semblables.
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Bertrand Russell ( 1872-1970 ) est un mathématicien, logicien, philosophe, épistémologue, homme politique et moraliste britannique. Il gagne à être connu, car reconnu comme un des plus importants philosophes du XXè siècle.
Notre Ken Follett, Gallois comme lui, doit certainement en avoir entendu parler.
Dans ce petit livre très bien écrit, Russell cherche à démontrer que l'oisiveté, malgré tous les préjugés qu'on a contre elle, est utile. Moi qui suis paresseux ( péché capital n°8, donc un peu moins capital ) ne dirai pas le contraire : )
En effet, autrefois, la classe oisive des aristocrates, décriée, a créé la civilisation : arts, sciences, livres, philosophie, et elle est même à l'instigation de la libération de l'esclavage.
L'université qui la remplace pour pérenniser tout ça a quelques défauts : un décalage avec la réalité sociale et un manque de liberté.
La guerre de 1914 ayant démontré qu'on pouvait se passer d'une bonne partie des citoyens ( employés à la guerre ) pour faire fonctionner le pays, au lieu de faire trimer les pauvres travailleurs plus de dix heures par jour ( on est en 1932 ), on pourrait se contenter de quatre heures, libérant des loisirs pour tout le monde, loisirs qui seraient entamés par une bonne éducation, et qui pourraient permettre à tout le monde, au lieu d'être stressés par le travail, de peaufiner les arts, sciences, écriture, philosophie, etc...
Je trouve que c'est une excellente idée, bien sûr, qui a été reprise par Jean Fourastié avec " Des loisirs : pour quoi faire ?", et sans doute d'autres.
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Pourquoi, encore une fois, presque cent ans après, ça n'a pas marché ?
Eh bien, encore une fois, une quantité de gens sont méchants, Orgueilleux, Avides, à commencer par les "Gros" qui continuent à réaliser leurs profits sur le dos des travailleurs. Russell en est conscient, citant le paradoxe suivant :
la classe oisive ( les Gros ) disent (préjugé ) que le cinéma donne des mauvaises idées aux classes laborieuses, mais en même temps on est bien contents de produire, investir dans des films dont ils payent l'entrée dans les salles, et qui nous rapportent des bénéfices...
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Ce petit essai à la portée de tous, publié en 1935, fait l'éloge d'une journée de travail de quatre heures. Vous ne rêvez pas !!!
Russell expose cette idée "Si le salarié ordinaire travaillait quatre heures par jour, il y aurait assez de tout pour tout le monde, et pas de chômage (en supposant qu'on ait recours à un minimum d'organisation rationnelle). Cette idée choque les nantis parce qu'ils sont convaincus que les pauvres ne sauraient comment utiliser autant de loisirs." Cette suggestion de la réduction du temps de travail "Je veux dire qu'en travaillant quatre heures par jour, un homme devrait avoir droit aux choses qui sont essentielles pour vivre dans un minimum de confort, et qu'il devrait pouvoir disposer du reste de son temps comme bon lui semble, à développer des goûts qui puissent permettre à l'individu d'occuper ses loisirs intelligemment."
Ses théories se basent aussi par rapport à des concepts politiques, économiques et philosophiques, un petit manifeste clair et percutant qui donne en tout cas envie de découvrir les autres écrits de ce philosophe.
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Signé par le britannique Bertrand Russell et publié pour la première fois en 1932 dans Review of reviews, Éloge de l'Oisiveté est un très petit essai, rédigé non sans humour, dans lequel l'auteur prend à contre-pied l'expression populaire voulant faire de l'oisiveté la mère de tous les vices et soutient que « l'homme observe un culte non raisonnable du travail qui l'amène à travailler toujours plus, ce à quoi il faudrait mettre un terme", tout en donnant sa propre définition de l'oisiveté, proche de l'Otium.
D'une manière plus générale, Russell traite également du pacifisme et tourne en dérision la politique, en particulier celle alors en vigueur en URSS à l'époque, entre autres.

"Les méthodes de production modernes nous ont donné la possibilité de permettre à tous de vivre dans l'aisance et la sécurité. Nous avons choisi, à la place, le surmenage pour les uns et la misère pour les autres: en cela, nous nous sommes montrés bien bêtes, mais il n'y a pas de raison pour persévérer dans notre bêtise indéfiniment."

Il s'agit d'un texte qui n'a rien perdu de son mordant 80 ans après sa rédaction, bien au contraire, et qui fait un bien fou en ces temps où l'on ne jure que par la croissance et la consommation.
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Citations et extraits (58) Voir plus Ajouter une citation
"Quand je suggère qu'il faudrait réduire à quatre le nombre d'heures de travail, je ne veux pas laisser entendre qu'il faille dissiper en pure frivolité tout le temps qui reste. Je veux dire qu'en travaillant quatre heures par jour, un homme devrait avoir droit aux choses qui sont essentielles pour vivre dans un minimum de confort, et qu'il devrait pouvoir disposer du reste de son temps comme bon lui semble. Dans un tel système social, il est indispensable que l'éducation soit poussée beaucoup plus loin qu'elle ne l'est actuellement pour la plupart des gens, et qu'elle vise, en partie, à développer des goûts qui puissent permettre à l'individu d'occuper ses loisirs intelligemment. Je ne pense pas principalement aux choses dites « pour intellos ». Les danses paysannes, par exemple, ont disparu, sauf au fin fond des campagnes, mais les impulsions qui ont commandé à leur développement doivent toujours exister dans la nature humaine. Les plaisirs des populations urbaines sont devenus essentiellement passifs : aller au cinéma, assisté à des matchs de football, écouter la radio, etc. Cela tient au fait que leurs énergies actives sont complètement accaparées par le travail ; si ces populations avaient davantage de loisir, elles recommenceraient à goûter des plaisirs auxquels elles prenaient jadis une part active."
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"Toutefois, ce n'est pas seulement dans ces cas exceptionnels que se manifesteront les avantages du loisir. Les hommes et les femmes ordinaires, deviendront plus enclins à la bienveillance qu'à a persécution et à la suspicion. Le goût pour la guerre disparaîtra, en partie pour la raison susdite, mais aussi parce que celle-ci exigera de tous un travail long et acharné. La bonté est, de toutes les qualités morales, celle dont le monde a le plus besoin, or la bonté est le produit de l'aisance et de la sécurité, non d'une vie de galériens. Les méthodes de production modernes nous ont donné la possibilité de permettre à tous de vivre dans l'aisance et la sécurité. Nous avons choisi, à la place, le surmenage pour les uns et la misère pour les autres : en cela, nous sommes montrés bien bête, mais il n'y a pas de raison pour persévérer dans notre bêtise indéfiniment."
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"L'une des choses les plus banales que l'on puisse faire de ses économies, c'est de les traiter à l'État. Étant donné que le gros des dépenses publiques de la plupart des États civilisés est consacré soit au remboursement des dettes causées par des guerres antérieures, soit à la préparation de guerres à venir, celui qui prête son argent à l'État se met dans une situation similaire à celle des vilains personnages qui, dans les pièces de Shakespeare, engage des assassins. En fin de compte, le produit de son économie sert à accroître les forces armées de l'État auquel il prête ses épargnes. De toute évidence, il vaudrait mieux qu'ils dépensent son pécule, quitte à le jouer ou à le boire.
Mais, me direz-vous, le cas est totalement différent si l'épargne est investie dans des entreprises industrielles. C'est vrai, du moins quand de telles entreprises réussissent et produisent quelque chose d'utile. Cependant, de nos jours, nul ne peut nier que la plupart des entreprises échouent. Ce qui veut dire qu'une grande partie du travail humain aurait pu être consacrée à produire quelque chose d'utile et agréable s'est dissipée dans la fabrication de machines qui, une fois fabriquées, sont restés inutilisées sans profiter à personne. Celui qui investit ses économies dans une entreprise qui fait faillite cause donc du tort aux autres autant qu'à lui-même."
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De façon générale, on estime que gagner de l'argent, c'est bien, mais que le dépenser, c'est mal. Quelle absurdité, si l'on songe qu'il y a toujours deux parties dans une transaction : autant soutenir que les clés, c'est bien, mais les trous de serrure, non.
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Ainsi que la plupart des gens de ma génération, j'ai été élevé selon le principe que l'oisiveté est mère de tous les vices. Comme j'étais un enfant pétri de vertu, je croyais tout ce qu'on me disait, et je me suis ainsi doté d'une conscience qui m'a contraint à peiner au travail toute ma vie. Cependant, si mes actions ont toujours été soumises à ma conscience, mes idées, en revanche, ont subi une révolution. En effet, j'en suis venu à penser que l'on travaille beaucoup trop de par le monde, que de voir dans le travail une vertu cause un tort immense, et qu'il importe à présent de faire valoir dans les pays industrialisés un point de vue qui diffère radicalement des préceptes traditionnels.
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Vidéo de Bertrand Russell
Confrontée à la guerre, la philosophie semble intempestive, à contre temps. Elle se déploie quand la guerre n'est pas encore là, tentant de retenir tout ce qui pourrait prolonger la paix, ou quand la guerre n'est plus là, s'escrimant alors à penser la «réparation», panser les blessures, accompagner les deuils, réanimer la morale, rétablir la justice. Lorsque «la guerre est là», lorsque fusils d'assaut, bombes et missiles éventrent les immeubles, incendient fermes, écoles, hôpitaux et usines, rasent des quartiers entiers, laissant sur le sol carbonisé enfants, hommes et femmes, chiens et chevaux, lorsqu'on est contraint de vivre tremblant dans des caves, lorsqu'il n'y a plus d'eau potable, lorsqu'on meurt de faim et de douleur – eh bien la philosophie ne trouve guère de place dans les esprits. Peut-être est-ce là la raison pour laquelle il n'y a pas une «philosophie de la guerre» comme il y a une «philosophie du langage» ou une «philosophie de l'art», et que le discours de la guerre renvoie plus aisément à la littérature ou au cinéma, aux discours de stratégie et d'art militaire, d'Intelligence, d'histoire, d'économie, de politique. Pourtant – de Héraclite à Hegel, de Platon à Machiavel, d'Augustin à Hobbes, de Montesquieu à Carl von Clausewitz, Sebald Rudolf Steinmetz, Bertrand Russell, Jan Patoka ou Michael Walzer – les philosophes ont toujours «parlé» de la guerre, pour la dénoncer ou la justifier, analyser ses fondements, ses causes, ses effets. La guerre serait-elle le «point aveugle» de la philosophie, la condamnant à ne parler que de ce qui la précède ou la suit, ou au contraire le «foyer» brûlant où se concentrent tous ses problèmes, de morale, d'immoralité, de paix sociale, d'Etat, de violence, de mort, de responsabilité, de prix d'une vie?

«Polemos (guerre, conflit) est le père de toutes choses, le roi de toutes choses. Des uns il a fait des dieux, des autres il a fait des hommes. Il a rendu les uns libres, les autres esclaves», Héraclite, Frag. 56) #philomonaco
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