« ça n'a pas l'air de trop bien marcher vot' livre », qu'on m'interrompit un jour dans la rue alors que j'avançais sur le pavé en tenant entre les mains « l'art d'être toujours content » de Raymond. Bordel. On lit pas ce genre de livres pour être vraiment content. On lit ce genre de livres pour apprendre ce qui empêchera éternellement l'humanité d'accéder au contentement.
Je refusais depuis longtemps déjà de m'abandonner aux solutions faciles. Contre Timothy Leary qui recommandait à ses disciples de planer en consommant du LSD, Raymond se tourne vers des disciples au caractère davantage pusillanime, ce qui convient mieux à mon caractère : plongez jusqu'au bout du délire métro-boulot-dodo, nous dit-il, alors que nos yeux exsangues s'étirent tels des soucoupes volantes. Sacrée bonne blague. Non, non, je rigole pas, dit Raymond. L'idée, c'est de rêver éveillé pendant le boulot, de méditer les yeux ouverts dans le métro, et de s'enivrer dans la profondeur d'une niche psychologique savamment arrangée pendant le dodo. Telle est la méthode des néo-gnostiques ! hulule Raymond. Gnostique, pour rappeler que l'univers n'est que le reflet de ce que notre conscience veut bien en imaginer ; néo, parce qu'il faut bien s'adapter à son temps.
S'il fallait définir un modèle du néo-gnostique, ce serait l'écrivain Jean-Paul (de son vrai nom Johann Paul-Richter). S'il fallait définir le double obscur (pour ne pas dire l'ombre) du néo-gnostique, ce serait le filousophe Jean-Paul Sartre (qui, décidément, n'était pas aimé par grand-monde, ce qui nous le rend provisoirement étincelant). Jean-Paul, nous dit Raymond avec les yeux pleins d'étoiles, « c'est un homme qui, présentant avec minutie d'infimes microcosmes, peut, quand il le veut, se décentrer et se faire présenter, lui, Jean-Paul, par le Cosmos, par le monde de l'astronomie et par le Dieu du monde, par les étoiles et par leur Créateur, comme « présentateur présenté » ». Et Jean-Sol Partre, « les Gnostiques [l']appellent […], avec son existentialisme politisé, leur Hilote ivre. Ils le considèrent comme l'Anti-Sage par excellence, le mauvais Jean-Paul, par opposition au bon Jean-Paul Richter. C'est d'ailleurs aussi un Saint, un hypermoraliste, voué aux bêtises habituelles des hypermoralistes ». Bon, on n'a pas compris grand-chose mais ça semble se tenir quand même, disons, à condition de ne pas souffler trop fort.
L'idée serait donc d'appliquer jusque dans sa vie l'idée que le monde ne change pas, quels que soient les efforts ou les négligences que nous pensons lui infliger, et que la seule réalité que l'on puisse attribuer à l'univers, c'est celle de notre psyché. Raymond nous invite à vivre dans le monde avec la décontraction du fumeur de marie-jeanne qui aurait appris à réguler son homéostasie psychologique et physiologique pour qu'elle s'arrête toujours avant le point où elle risquerait de fléchir, de se précipiter dans une extase qui ne serait plus contrôlée, ou d'involuer à l'extrême d'un idéal d'apesanteur illusoire.
Raymond, tu voudrais pas qu'on se soumette à l'ordre dominant quand même ? DANS LE PUR ESPACE DE VOTRE PSYCHE, RIEN D'EXTERIEUR NE PEUT PARVENIR – nous répond Raymond depuis les volutes hyperstatiques de l'outre-tombe. Ah ouais, d'accord. On garde le métro-boulot-dodo pour pas se faire trop bobo sinon difficile de planer. Même si ce bouquin est une mine en soi qui vous fera décoller du plancher des vaches le temps de tourner les pages avec un bon gin, je comprends décidément mieux pourquoi être toujours content est un art, et que dans cet art, je ne produis que des croûtes.
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