“Se dit : J'écosse des petits pois” comme on se dit, en refermant le roman,
Arnaud Rykner : maîtrise l'art de nous faire passer dans les pensées d'un autre. Sans désir d'enjoliver la réalité, en disant simplement ce qui est, puisque c'est ce à quoi s'attelle le personnage de
Dans la neige. Puisqu'il est interné en hôpital psychiatrique, on pourrait se dire que les propos de Joseph sont peut-être altérés et pourtant, l'illusion est si parfaite que l'on adhère immédiatement à ce qui nous est donné à lire. Cette phrase inaugurale reflète déjà l'écriture qui s'ensuit : simple, honnête, efficace.
A la fiction se mêle un fond de vérité : le roman est inspiré de la vie de
Robert Walser. Après un internement forcé en hôpital psychiatrique, les jours de l'écrivain Suisse prennent fin dans l'épuisement d'une trop longue promenade dans le froid de l'hiver bernois. Il est retrouvé mort
dans la neige le 25 décembre 1956. S'il fonde son histoire sur les derniers mois de la vie de Walser,
Arnaud Rykner ne prétend pas avoir été fidèle à la réalité. Il a conscience qu'il ne connaîtra jamais ses vraies pensées, ce qui ne nous empêche nullement de plonger dans celle du personnage que nous suivons au fil des pages. Nous nous glissons dans l'esprit de ce Joseph, parfois Tobias, aussi bien “je” que “on”, qui nous délivre un récit dont le morcellement reflète le rythme des pensées. D'abord témoins de ses songes instables, nous nous laissons peu à peu imprégner par ce qu'il ressent et vacillons avec lui entre peur, solitude, révolte, mais aussi joie, parfois. Alors que comme le directeur de l'asile, nous avions d'abord nous aussi envie de pousser Joseph à reprendre l'écriture, qui aurait pu lui être salvatrice, nous en arrivons finalement à comprendre son détachement du monde.
Avant d'arriver ici, Joseph était écrivain. L'interruption de son travail d'écriture est un choix délibéré qui reflète des questionnements de l'auteur lui-même.
Rykner a conscience que le fait d'arrêter est peut-être le plus grand choix qui soit. Ainsi, peut-être cherche-t-il à observer ce que peuvent être les conséquences de tels choix en les projetant sur son personnage. Il trouve également une occasion de développer une autre réflexion qui lui tient à coeur dans le contexte de la mort de Walser. Puisqu'il s'intéresse aux traces qu'on laisse après la mort et à la façon dont une identité peut se dissiper, la neige s'avère être un cadre propice. Disparaître
dans la neige, c'est se donner à la nature. C'est peut-être revenir à l'essence de toute chose.
Le tour de force d'
Arnaud Rykner en vient alors à se révéler. le personnage devient le reflet des préoccupations de l'auteur qui lui donne vie. En lisant
Dans la neige, on ne fait pas simplement face à un homme schizophrène ; il se pourrait bien que le propos soit élargi à des questions qui concernent tout un chacun, en nous faisant prendre conscience de l'instabilité dont est touché l'humain qui, au fond, ne recherche peut-être rien d'autre que la liberté.