Le bourreau place la tenaille sur un de ses doigts. Adelkader ne voit rien. Il ne peut pas non plus relever la tête.
Clac ! Et un de ses doigts est à moitié coupé.
Le sang coule. Il asperge le haut du pantalon du bourreau. Puis le bout de chair qui pend par un dernier pan de peau tombe par terre. En touchant le sol, on dirait un plouf qui résonne. C'est le petit doigt qui a été arraché. En faisant bouger ses autres doigts, Abdelkader comprend qu'il lui manque le plus petit. Puis un felouze y met un coup de pied et l'envoie voler dans un coin de la pièce.
Les mouettes ont de sales gueules, piaffent, et volent trop bas malgré le soleil déjà couché. Mais elles sont là, dans chaque rade et n'importe quand, à chaque escale de bateau et avec l'espoir d'avoir du poisson à grailler - même du poisson mort. Sales bestioles qui volent bas et qui remplissent le ciel. Abdelkader les regarde comme si elles devenaient soudain des ombres ; sûrement les mêmes qu'il y avait dans le couloir quand on l'a emmené vers la salle de torture. Les ombres qui dansaient sur les parois. Les ombres du diable, ses esclaves et démons...
La bête est en lui. Il la sent. Images en boomerang. Aléas sans fin. Image des ténèbres. Cauchemardesques et brutales. Les cris, la haine et le mort, voilà son mektoub ! Voilà ce que la bête lui montre ! Comme si y avait pas autre chose que l'enfer ! Cette réalité qui pèse lourd et dans laquelle le harki s'enlise... Saloperie de réalité !
Entretien avec Emmanuel Sabatié, l'auteur du livre " Je ne vous oublie pas" édité au cherche midi.
Un livre qui raconte la fuite d'une famille de harkis, le lendemain de l'indépendance algérienne.