Je ne saurais dire si
Robert Sabatier (1923-2012) est un grand écrivain. Mais ce dont je suis assuré, c'est qu'il est un grand serviteur de la littérature. Son oeuvre, comme sa personne, parlent pour lui. Et sa personne, comme certains autres écrivains (Genevoix ou Colette, par exemple), transparaît au travers de son oeuvre. Ce qu'il faut retenir, avant tout, c'est que
Robert Sabatier est un poète. Sa production romanesque, d'excellente facture et de très grande qualité, lui a valu un succès mérité, mais il est regrettable qu'elle ait éclipsé une oeuvre poétique de haut niveau, parachevée en 1982 par une immense « Histoire de la poésie française », en neuf volumes, commencée en 1975. Cet ouvrage, unanimement reconnu, est une référence absolue pour tous les amateurs de poésie.
Et ce don poétique, tout naturellement (la poésie est avant tout quelque chose de « naturel ») imprègne et illumine aussi ses romans. Et il n'est jamais aussi sensible que dans le « Roman d'Olivier » où l'auteur, de façon romancée raconte son enfance et sa jeunesse.
«
le roman d'Olivier » réunit les oeuvres suivantes :
David et Olivier (1986),
Olivier et ses amis (1993),
Les Allumettes suédoises, (1969),
Trois sucettes à la menthe, (1972),
Les Noisettes sauvages, (1974),
Les Fillettes chantantes (1980),
Olivier 1940 (2003),
Les Trompettes guerrières (2007) (ordre chronologique de la vie d'Olivier/Robert, et non pas ordre de parution en librairie).
L'histoire commence à Montmartre (au nord de Paris pour ceux et celles qui ne connaissent pas), au début des années 30. Olivier, huit ans et demi, est le fils de Virginie, une jolie mercière. La vie s'écoule, insouciante et joyeuse entre les équipées avec les copains, les aventures dans le quartier, les personnages insolites et attachants qui le peuplent… Olivier a un ami, David, le fils d'un tailleur juif. Mais Virginie meurt, et Olivier est recueilli chez ses cousins Jean et Elodie, un jeune couple avec qui il se sent bien. Mais le temps passe, Paris change et évolue. Un autre oncle réclame la garde de l'enfant le voilà exilé dans un quartier chic, un autre monde où il ne trouve pas sa place. Et puis cette parenthèse enchantée à Saugues, en Auvergne, le pays de ses grands-parents. Puis c'est le retour à Paris, l'apprentissage chez un imprimeur, les premiers émois amoureux… C'est alors que la guerre intervient. Occupation, système D, exode, tentations entre collaboration et Résistance, puis finalement le choix de cette dernière.
C'est donc vingt années de la vie de
Robert Sabatier qui sont évoquées dans cette magnifique saga où se côtoient l'esprit d'enfance, l'innocence, la poésie et la tendresse, où se forge la lucidité et la volonté d'un jeune garçon puis d'un homme devant les vicissitudes de l'existence, où se manifestent l'émerveillement devant la vie, les sentiments qui prédominent (en premier lieu l'amour de la mère, celui des siens, celui de sa montagne de Margeride), et la poésie qui déborde autant des rues de Montmartre que des paysages champêtres d'Auvergne. Franchement, si ce n'était pas le décor, on penserait à
Pagnol, pour la profonde humanité, la tendresse, le pittoresque et la poésie.
Enfance recréée, peut-être, sans doute, même. Rien n'est si noir ou si rose dans nos souvenirs. Et en les récrivant nous occultons un peu, nous rajoutons un peu, nous les transformons à notre guise, surtout nous ne sommes plus dans le même état d'esprit en les racontant que lorsque nous les avons vécus. Il faut tout le talent d'un écrivain comme
Robert Sabatier, pour nous en faire savourer tout le suc, toute l'émotion, toute la nostalgie.
Raconter son enfance, et la raconter ainsi, c'est plus que de la littérature, c'est un acte de reconnaissance et d'amour.
Jacques Ertaud a réalisé en 1995 une excellente trilogie «
Les Allumettes suédoises » reprenant les grands moments de la saga.