[...] il arrive qu'on se croit un surhomme, jusqu'au jour où l'on s'aperçoit que comme les autres, on est mesquin, répugnant et faux.
En réalité, j'ai toujours pensé qu'il n'existe pas de mémoire collective, ce qui pourrait être pour la race humaine une manière de se défendre.
" ... il n'y avait qu'un seul tunnel, obscur et solitaire : le mien, le tunnel où j'avais passé mon enfance, ma jeunesse, toute ma vie. Et dans un de ces passages transparents du mur de pierre j'avais vu cette jeune femme et j'avais cru naïvement qu'elle avançait dans un autre tunnel parallèle au mien, alors qu'en réalité elle appartenait au vaste monde, au monde sans limites de ceux qui ne vivent pas dans des tunnels. Et peut-être s'était-elle approchée par curiosité d'une de mes étranges fenêtres et avait-elle entrevu le spectacle de mon irrémédiable solitude, ou peut-être avait-elle été intriguée par le langage muet, l'énigme de mon tableau. Et alors, tandis que je continuais à avancer dans mon étroit couloir, elle vivait au-dehors sa vie normale, la vie agitée que mènent ces gens qui vivent au-dehors, cette vie curieuse et absurde où il y a des bals, et des fêtes, et de l'allégresse, et de la frivolité. Et parfois il arrivait que, lorsque je passais devant une de mes fenêtres, elle fût là à m'attendre, muette et anxieuse ( pourquoi m'attendait-elle ? et pourquoi muette et anxieuse ? ); mais parfois il lui arrivait de ne pas arriver à temps ou d'oublier ce pauvre être emprisonné et alors, le visage écrasé contre le mur de verre, je la voyais au loin, insouciante, sourire ou danser, ou encore, ce qui était pire, je ne la voyais nulle part et l'imaginais en des endroits interdits ou infâmes. "
Il m'est arrivé parfois de me retourner brusquement avec la sensation qu'on était en train de m'épier, de ne voir personne et de sentir pourtant que la solitude qui m'entourait était un fait tout récent, que quelque chose de fugace avait disparu, comme si un léger frisson continuait à vibrer dans l'atmosphère.
Il avait écrit un livre de poésie sur la vanité de toute chose humaine, mais il se plaignait de n'avoir pas reçu pour ce livre le Prix national.
j’avais senti que je n’arriverais jamais à m’unir à elle totalement et que je devais me résigner à n’avoir que de fragiles moments de communion, aussi mélancoliquement insaisissables que le souvenir de certains rêves ou que le bonheur procuré par certaines phrases musicales.
Je regardai anxieusement son visage dur, son regard dur. "Pourquoi cette dureté ? me demandais-je, pourquoi ?" Elle sentit peut-être mon anxiété, mon besoin de communion : l'espace d'un instant, son regard s'adoucit et parut jeter un pont entre nous ; mais je sentis que c'était un pont provisoire et fragile suspendu au-dessus d'un abîme.
Je me sentis grotesque et me dis dans un vertige que tout ce que j'avais pensé et fait durant ces mois (y compris cette scène) était le comble du malentendu et du ridicule, une de ces constructions imaginaires qui me caractérisent, aussi présomptueuses que ces reconstitutions d'un dinosaure à partir d'un morceau de vertèbre.
Je retournai chez moi avec la sensation d'une solitude absolue. Généralement, cette sensation d'être seul au monde s'accompagne d'un orgueilleux sentiment de supériorité : je méprise les hommes, je les vois sales, laids, incapables, avides, grossiers, mesquins. Ma solitude ne m'effraie pas, elle est pour ainsi dire olympienne.
Mais pourquoi cette manie de vouloir trouver des explications à tous les actes de la vie ?