Bien qu'elles aient la cruauté en commun avec le gratin de son oeuvre littéraire, ces nouvelles du Marquis de
Sade s'en dégagent toutefois par l'absence formelle des descriptions ignobles qui firent la marque de l'auteur. Ainsi, le vice abominable n'est ici qu'évoqué pour permettre de mieux dépeindre l'affliction psychique des personnages. Si l'on peut regretter un moment que la radicalité ici bien amoindrie du Divin Marquis l'empêche de déployer pleinement son génie littéraire, on se console très vite avec la beauté de sa langue, la finesse de ses personnages et son sens du tragique absolument délicieux. Ses récits, chose surprenante par ailleurs, se montrent même plutôt émouvants.
Que dire alors de la pensée de
Sade dans ce recueil ? Ces nouvelles s'inscrivent dans la pure lignée de la littérature sadienne en ce qu'ils sont à la fois des bijoux esthétiques et de véritables contes philosophiques. S'agirait-il d'un Marquis assagi, repenti, voire moraliste (!), souhaitant offrir à la littérature quelque chose de plus noble que ses immondes écrits licencieux ? Difficile à croire en sachant qu'il s'attelait au même moment à son chef-d'oeuvre inachevé et abject
Les 120 Journées de Sodome. Ne s'agirait-il pas plutôt d'un moyen d'étoffer sa pensée philosophique, ou au moins de la répéter sans risquer d'être corrompue par l'idée déformée que ses oeuvres scandaleuses peuvent en donner ? Car loin d'être bêtement l'apologiste absolu des vices les plus choquants et insensés que la postérité fit de lui,
Sade est surtout l'impitoyable pourfendeur de la morale de son temps, celle qui érigeait au rang des interdits autant de pratiques naturelles et inoffensives que d'actes violents et insupportables. Pour lui, cette vertu imbécile que l'on impose aux gens est non seulement aliénante, mais en plus rend ses victimes d'autant plus susceptibles de tomber dans la dépravation la plus basse ; d'où son obsession pour écrire des personnages vertueux, purs, cristallins, corrompus ou par des sadiques ou par la fatalité. Ainsi, en extirpant la philosophie sadienne du négatif de sa littérature, adopter la voie du vice serait la meilleure des manières de se prémunir de ses écarts.