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Critique de Antyryia



Bonjour à tous,

Je m'appelle Bridget Jones.
Vous avez peut-être entendu parler de mes précédentes aventures au cinéma ou dans les romans d'Helen Fiedling.
Mes cauchemars sentimentaux continuent. Je prenais un bain avec Hugh Grant quand son épouse ( dont il ne m'avait par ailleurs jamais parlé ) est rentrée à l'improviste.
Il m'a supplié de partir avec son irrésistible petit air de chien battu, en m'indiquant la direction de la fenêtre entrouverte.
- Allez, dépêche toi ! me dit-il en me poussant.
J'attrapais une petite serviette avant de tomber dans la pelouse, de me tordre la cheville, et de clopiner vers la station de métro la plus proche.
Le ridicule ne tue pas paraît-il, mais je suis cependant morte de honte.

Malgré la serviette autour de ma taille et un bras sur ma poitrine, je ne peux pas empêcher les gens de me regarder avec des yeux ronds, et bien souvent de détourner leur regard par gêne, à moins qu'ils ne soient horrifiés par ma cellulite.
Et encore une histoire d'amour qui a foiré ! J'étais tellement sûre d'être tombé sur un chic type cette fois-ci. Mais non, j'enchaîne incorrigiblement les déboires amoureux. Je suis une éternelle abonnée.
En larmes, désespérée, j'erre dans les sous-sols parisiens des Champs-Elysées lorsque j'aperçois une boîte à livres.
Une boîte à livre qui n'offre pas un choix extraordinaire de lecture puisque seul le dernier roman de David Safier, Charmant, est proposé en une dizaine d'exemplaires.
Je jette un oeil à la quatrième de couverture. Paru le jour de la Saint Valentin, ce livre m'a tout l'air d'être une comédie romantique délirante, qui peut-être me fera retrouver le sourire un instant ?

Je m'installe à côté d'un mendiant, empruntant un petit morceau de sa couverture sentant le vomi tandis qu'il cuve à proximité dans un sommeil agité.
Je prends bien soin de ne pas le réveiller et par défaut, en attendant de trouver une solution pour rentrer chez moi, je me plonge dans ce formidable ouvrage.
Et j'oublie tous mes soucis.

Le livre m'emmène loin dans l'imaginaire de l'auteur allemand, jusqu'au royaume magique d'Amanpour. J'ai l'impression de lire du Musso de la première heure dans une version exagérément humoristique, avec cet aspect sentimental teinté de fantastique.
"Charmant" fait immanquablement penser à La fille de papier.
Les aventures de Nellie et de Rétro me font rire à gorge déployée et me redonnent un peu de baume au coeur. En s'emparant d'un carnet magique, l'héroïne se rend compte qu'elle détient un gigantesque pouvoir puisque tout ce qu'elle dessine se matérialise, y compris le prince de ses rêves. Mais l'apparition de ce prince charmant de contes de fée, héros de son propre monde de fiction et parachuté dans le Berlin actuel donne évidemment lieu à des situations ubuesques.
C'est le choc des cultures comme dans une nouvelle version des Visiteurs. Rétro d'Amanpour, le rêve devenu réalité de sa créatrice, n'est pas sans rappeler le duo Godefroy de Montmirail et Jacquouille la fripouille perdus à la fin du 20ème siècle, et donne lieu à autant de quiproquos que dans le film de Jean-Marie Poiré.
Mon coeur de midinette est emballé. Nellie va-t-elle sauver le monde des méchants qui veulent récupérer leur carnet pour invoquer l'enfer sur terre ? La relation difficile qu'elle entretient avec Retro va-t-elle s'achever comme dans un conte de fées ? Vont-ils se marier et avoir sept enfants ? Vu le scepticisme du prince, rien ne paraît gagné.
Un lecteur plus habitué à la littérature Noire ( je ne vise évidemment personne ) trouverait sans doute ce roman mièvre et écoeurant tant il dégouline de bons sentiments ( à l'instar d'un Walt Disney ou d'un film comme "Chéri, j'ai rétréci les gosses" ) et lui trouverait certainement un côté très superficiel tant ses valeurs semblent s'adresser à un enfant de six ans. C'est en effet le triomphe de l'amour et de l'amitié. C'est l'apologie du bonheur et de la paix dans le monde. Et ça ne vole franchement pas toujours très haut même si on rit parfois de bon coeur.
Mais je me laisse emporter par les courts chapitres, la fluidité de l'écriture, les rebondissements surréalistes ... et le sourire aux lèvres, j'oublie pendant quelques heures mes petites misères.

Arrivé à la fin du roman, David Safier laisse au lecteur le droit de dessiner à son tour.
"La réalité est ce que votre imagination fait d'elle." indique-t-il comme une conclusion hautement philosophique.

Je tapote l'épaule du mendiant pour le réveiller.
- Vous auriez un crayon par hasard ?
- Hmmm
Et malgré son coma éthylique, il me tend un stylo bille crasseux de … je ne sais où ( et je préfère ne pas le savoir ).

Je ne sais pas trop m'y prendre pour dessiner la paix dans le monde, alors je dessine tout d'abord un sac à main Yves Saint Laurent.
Et là, miracle : le livre est vraiment magique ! La sacoche de mes rêves apparaît à mes pieds. Tout en cuir rose et en bandoulières avec en lettres d'or "YSL".
Rapidement, je prends les autres romans dans la boîte à livres, j'arrache la dernière page et je me dessine des sous-vêtements tout en dentelle, une robe magnifique en velours, des escarpins, ainsi qu'un carnet de tickets de métro.
Et me voilà de nouveau non seulement habillée, mais presque présentable !

Et puis tout comme Nellie dans le livre, je décide moi aussi de me créer un prince que j'aimerai et qui m'aimera follement en retour. Georges Clooney ou même Brad Pitt sont trop vieux maintenant, il me faut un homme plus jeune, plus classe, plus sexy.
Je m'applique lentement pour dessiner mon grand amour, celui qui me réconciliera avec la vie, qui me redonnera foi en l'humanité, qui me fera dire que non, tous les hommes ne sont pas des salauds.
"Si je voulais créer quelque chose de formidable, je devais aimer ce quelque chose de tout mon coeur."
J'esquisse ses traits jeunes et respirant l'innocence, sa fine barbe brune, ses cheveux mi-longs et ondulés. Je dessine sa longue cape de fourrure, sa puissante épée.
Et il prend forme sous mes yeux, dans les couloirs du métro des Champs Elysées.

- Oh mon prince ! m'exclamais-je en serrant Jon Snow contre moi.
- Mais que faîtes vous malheureuse ! dit-il en me repoussant fermement. Je n'ai rien d'un prince, je suis seulement le fils bâtard de Ned Stark. Et puis franchement, vous vous êtes bien regardé ?
Sans me prêter davantage attention, il voit le clochard toujours avachi sous sa couverture.
- Un sauvageon ! s'exclame mon prince. Quelle est votre nom vieille femme ?
C'est à moi qu'il cause ? Ok, je ne suis pas Daenerys Targaryen mais quand même, j'ai à peine trente-cinq ans !
- Je m'appelle Bridget Jones. Et il faut que vous vous calmiez, Jon. Je vais tout vous expliquer.
Indifférent à mes paroles, il empoigne le mendiant qui gémit sans comprendre ce qui lui arrive.
- Aidez-moi Bridget, il faut qu'on le transporte au-delà du mur. Vous serez en sécurité. L'hiver vient.
- Euh ... On est en mars, l'hiver est quasiment terminé.
- Ne dites pas de bêtises. Ecoutez, si on prend l'escalier de Fort-Levant, on peut rejoindre la forteresse de la garde de nuit avant le crépuscule.
- Arrêtez d'être con Jon Snow, ici on n'est pas dans Game of thrones, on est dans la vraie vie !
- Mais j'essaie de vous sauver la vie, femme, ainsi que celle de votre compagnon.
Je décide de lui remettre les idées en place un peu plus tard et grimpe avec lui, qui tient sur son épaule le "sauvageon" à l'haleine empestant le vin rouge.
- Mais quels sont ces nouveaux escaliers qui nous font grimper sans que nous n'ayons besoin de marcher ?
- Euh, nous avons installé des escalators dans la tour mon commandant.
Comme il semble pour l'instant très perturbé dans ce nouveau monde, je décidais de ne pas le brusquer pour l'instant.
Deux escaliers plus loin, on voit la lumière du jour.
Et le combat fait rage entre les CRS et les gilets jaunes.
"J'avais l'impression d'être une héroïne de fantasy urbaine venant de découvrir que les vampires existent vraiment."

- Mes frères, les morts se sont relevés ! Ils faut à tout prix les repousser avant qu'ils n'atteignent le mur ! Tous à vos arcs et à vos flèches !
Et je vois Jon s'élancer dans la cohue, brandissant son épée, tandis que la foule le regarde, immobile et abasourdie.
- Jon attend !
- N'aie crainte vieille femme. Grande-griffe est faîte en acier valyrien, il ne va rien m'arriver !
A ce moment, une grenade lacrymogène explose aux pieds de mon valeureux prince, qui se met à pleurer comme un bébé.
Tandis que le mendiant, enfin libéré de l'emprise, rejoint illico les couloirs du métro, j'emmène Jon le plus loin possible de cet enfer et nous nous installons au Mac Donald le plus proche. Je nous commande un Big Mac avec des frites.

Il frotte ses yeux encore rouges et me demande :
- Femme, à quelle magie impure avons nous eu affaire ? Si vous êtes une sorcière, pourriez-vous mettre fin à ce sortilège ? Ou m'emmener chez le grand mestre le plus proche afin qu'il puisse panser mes plaies ?
- Il est temps que je vous dise la vérité : Ici il n'existe ni magie, ni dragons, ni morts qui se relèvent. Vous êtes simplement le fruit de l'imagination fertile des romans de George R R Martin et de leur adaptation télévisuelle. Et je vous ai fait apparaître dans le monde réel grâce à mes talents pour le dessin. Je vous aime, vous êtes mon prince charmant. Et vous, n'avez-vous donc pas le coeur qui bat la chamade rien qu'en me regardant ?
- Bridget, je n'ai rien compris à ce que vous me disiez. Mais sachez que j'ai prêté serment à la Garde de Nuit et que j'ai fait voeu de chasteté.
- Euh, vraiment ?
- La nuit se regroupe, et voici que débute ma garde. Jusqu'à ma mort, je la monterai. Je ne prendrai femme, ne tiendrai terres, ni n'engendrerai aucun enfant. Je ne porterai de couronne, n'acquerrai de gloire. Je vivrai et mourrai à mon poste. Je suis l'épée dans les ténèbres. Je suis le veilleur au rempart. Je suis le feu qui flambe contre le froid, la lumière qui rallume l'aube, le cor qui secoue les dormeurs, le bouclier protecteur du royaumes des humains. Je voue mon existence et mon honneur à la Garde de Nuit, je les lui voue pour cette nuit-ci comme pour toutes les nuits à venir.
Après cette déclamation, un jeune homme intimidé s'approche de notre table.
- C'est possible d'avoir un autographe, monsieur Harington ?
- Allez plutôt seller mon cheval, jeune écuyer, il faut que je parte sur le champ à Winterfell.
- Enfin, vous avez quand même couché avec Ygrid si je me souviens bien, alors votre serment, hein, c'est du pipi de chat !
Je tâchais de ne pas perdre de vue le sujet qui me préoccupait, et de ramener un peu d'ordre dans cette situation qui m'échappait totalement.
- Ma chère Bridget, me dit-il en me tenant les mains ( je frissonnais rien qu'à ce contact ). Si j'ai bien compris, vous avez la capacité de créer des objets ou même des personnages à partir des pages d'un simple livre ? Et vous pouvez modifier la réalité ?
Mes yeux se noient dans les siens, mais je n'aime pourtant pas la façon dont il me parle, comme si de nous deux c'était moi l'enfant attardé.
- Oui Jon, c'est exactement ça. Vous commencez à comprendre alors ?
- A vrai dire non, je ne comprends pas du tout. Si vous êtes aussi douée que vous l'êtes comment se fait-il que vous ayez une affreuse moustache et un double menton ?

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