Un énième roman sur la seconde guerre mondiale et les camps de concentration ?
Vous pensez peut-être que ces sujets ont été déjà largement traités et qu'il faut passer à autre chose ?
À cela, je vous réponds deux choses.
Tout d'abord, je pense qu'il n'y aura jamais trop d'ouvrages pour faire réfléchir le lecteur sur cette période.
Et puis, le point de vue adopté ici est original et intéressant. L'auteur apporte quelque chose de nouveau.
Le narrateur principal est un jeune rabbin, engagé dans l'armée américaine pour soutenir les soldats, pour amener dans la guerre un peu d'humanité et de spiritualité.
Jusqu'à un certain point, il parvient à aider et réconforter les soldats. Jusqu'à ce qu'il découvre à leur libération les camps de concentration et les survivants qui y errent.
Là, notre rabbin rempli de bonnes et pieuses intentions s'effondre intérieurement. L'intensité des horreurs constatées le laisse sans voix, démuni, et va même le pousser à remettre en cause sa foi et sa capacité à redevenir rabbin quand il rentrera chez lui.
J'ai apprécié le fait que
Laurent Sagalovitsch ne se lance pas dans de grandes descriptions des camps et de ce qui s'y passait.
C'est un portrait en creux qu'il en dresse : en voyant les traces matérielles et humaines, on comprend ou plutôt on entrevoit ce qui a pu se produire.
Outre le fait que je préfère laisser les récits directs à ceux qui les ont vécus, le point de vue adopté correspond parfaitement à ce que vit le personnage du rabbin : il n'était pas présent dans les camps, mais comprend petit à petit à travers ce qu'il voit après leur libération.
L'hébétude de cet homme de foi est très bien rendue. Il se sent tout petit et inutile auprès des survivants : "J'étais indigne d'eux".
Rien de ce qu'il a vécu jusque-là ne l'a préparé à sa découverte des camps de la mort.
Son aveu d'impuissance et de désarroi est touchant : il ne cherche pas à se cacher derrière sa fonction, il ne fait pas semblant : "Probablement n'étais-je plus moi-même. À cette seconde, je n'avais plus envie de vivre."
Comment continuer à vivre après ce traumatisme, que ce soit pour ceux qui l'ont directement vécu ou pour ceux qui ont découvert l'horreur après coup ?
Voilà l'une des questions centrales du roman.
À travers les lettres que le rabbin reçoit de sa femme, on comprend que le retour au pays ne sera pas facile.
Dans d'autres circonstances, la fin d'une guerre signifie beaucoup de joies et marque le point de départ d'une nouvelle vie. Mais là, le traumatisme est tel qu'on devine l'impossibilité de reprendre sa vie d'avant, sans compter le décalage entre ceux qui ont vu et les autres.
Les premiers seront marqués à jamais dans leur être profond, les seconds, si humains et compréhensifs soient-ils, ne pourront qu'entrevoir la vérité.
Il faudra pourtant que les uns et les autres se retrouvent...
Ce roman soulève des questions intéressantes.
Ce n'est pas Si c'est un homme, et ça ne prétend pas l'être. Ce n'est pas un témoignage direct, mais un outil de réflexion.
Bien sûr, il ne faut jamais oublier le nazisme, cette monstruosité inhumaine qui a tenté d'éradiquer une fraction de l'humanité.
Mais il ne faut pas en rester là, et retenir les leçons du passé pour agir dans le présent, sans quoi, celles-ci sont inutiles.
Les Juifs sont actuellement victimes d'un autre totalitarisme, que beaucoup ne veulent pas voir ou ne veulent pas nommer : l'islamisme radical.
Quand je vois que dans certains collèges de France le principal informe les familles juives qu'il vaudrait mieux inscrire leur enfant dans le privé parce qu'avec le nom qu'il porte sa situation serait difficile, j'ai envie de hurler !
Quand je vois que certaines banlieues se dépeuplent de nos concitoyens juifs parce que le quotidien leur est devenu invivable, j'ai envie de hurler !
Quand je vois qu'une vieille dame comme Mireille Knoll peut être froidement assassinée chez elle par un jeune voisin, simplement parce qu'elle est juive, j'ai envie de hurler !
Les Juifs sont-ils condamnés à revivre éternellement le calvaire vécu pendant la seconde guerre mondiale ? À n'être qu'un "peuple dépêché sur cette terre uniquement pour servir d'exutoire" ?
À nous d'apporter la réponse à cette question. À nous de sortir nos dirigeants de leur aveuglement et de leur clientélisme, et de les pousser à prendre les mesures qui s'imposent.
Oui, il ne faut bien sûr jamais oublier le nazisme et combattre ses résurgences de toutes nos forces. Mais il ne faut pas rester les bras croisés devant la montée d'une idéologie tout aussi dangereuse : l'islamisme radical qui grignote notre société.
Pour ceux que ça intéresse, je vous recommande vivement la lecture de l'excellent livre de
Boualem Sansal : le village de l'Allemand. Il y aborde le thème du fanatisme (quel qu'il soit, parce qu'il n'est, hélas, pas unique) et fait un parallèle magistral entre le nazisme et l'islamisme.
Boualem Sansal est un intellectuel courageux qui subit régulièrement des menaces parce que ce qu'il dit dérange ; il mérite d'être lu.
Merci à Babelio et à son opération Masse critique privilégiée et merci aux éditions Buchet-Chastel pour l'envoi de ce roman qui pousse à la réflexion.