Elle avait des rides assez sévères au coin des yeux. J'y posai mon index :
" Moi, je trouve ça merveilleux, dis-je tendrement. Toutes les nuits, tous les pays, tous les visages qu'il a fallu pour avoir ces deux minuscules petites lignes là...Vous y gagnez. Et puis ça donne l'air vivant. Et puis, je ne sais pas, moi, je trouve ça beau, expressif, troublant. J'ai horreur des têtes lisses."
La musique de jazz, c'est une insouciance accélérée.
Je mentais. J'aurais voulu lui dire que je mentais et qu'à la vérité j'avais besoin de lui, mais tout cela, dès que j'étais à son côté, me semblait irréel. Il n'y avait rien; il n'y avait rien eu que quinze jours agréables, des imaginations, des regrets. Pourquoi être ainsi déchirée? Douloureux mystère de l'amour, pensais-je avec dérision.
En fait je m'en voulais, car je me savais assez forte, assez libre, assez douée pour avoir un amour heureux. p.111
Ce n'était plus l'ennui en soi, mais l'ennui de quelqu'un.
Je pensais que je devais peut-être simuler quelque intérêt pour la profession de Luc, ce que je ne pensais jamais faire. J'aurais voulu demander aux gens : "Etes-vous amoureux ? Que lisez-vous ?", mais je ne m'inquiétais pas de leur profession... souvent primordiale à leurs yeux.
La confiance, la tendresse, l'estime ne me paraissaient pas dédaignables et je pensais peu à la passion. Cette absence d'émotions véritables me semblait être la manière la plus normale de vivre.
Vivre, au fond, c'était s'arranger pour être le plus content possible. Et ce n'était pas si facile. p.18
Bertrand était mon premier amant. C'était sur lui que j'avais connu le parfum de mon propre corps. C'est toujours sur le corps des autres qu'on découvre le sien, sa longueur, son odeur, d'abord avec méfiance, puis avec reconnaissance. p.15
Je ne partais pas avec Luc parce qu’il m’aimait, ni parce que je l’aimais. Je partais avec lui parce que nous parlions le même langage et que nous nous plaisions. A y réfléchir, ces raisons me paraissaient minces et ce voyage effrayant.
Car enfin moi, si je m'ennuyais, du moins m'ennuyais-je passionnément. (p.40)
Je me surpris dans la glace et je me vis sourire. Je ne m'empêchai pas de sourire, je ne pouvais pas. A nouveau, je le savais, j'étais seule. J'eus envie de me dire ce mot à moi-même.Seule. Seule. Mais enfin, quoi ? J'étais une femme qui avait aimé un homme. C'était une histoire simple ; il n'y avait pas de quoi faire des grimaces.