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EAN : 9782757834282
578 pages
Points (04/04/2013)
3.91/5   66 notes
Résumé :
« L’Orient » est une création de l’Occident, son double, son contraire, l’incarnation de ses craintes et de son sentiment de supériorité tout à la fois, la chair d’un corps dont il ne voudrait être que l’esprit.

À étudier l’orientalisme, présent en politique et en littérature, dans les récits de voyage et dans la science, on apprend donc peu de choses sur l’Orient, et beaucoup sur l’Occident. C’est de ce discours qu’on trouvera ici la magistrale arché... >Voir plus
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Cet ouvrage est tout d'abord une critique d'un certain orientalisme qui crée l'Orient pour en faire un espace marqué par la barbarie et la sauvagerie. C'est d'ailleurs cette manière de faire et de voir qui a toujours caractérisé la littérature coloniale, mais également le discours de certains auteurs autochtones ou d'autres écrivains extrêmement controversés comme Albert Camus par exemple. Said s'insurge contre ce discours réducteur et propose une redéfinition de l'appareillage conceptuel ciblant les anciennes colonies. C'est dans ce sens que son livre fait date, déconstruisant le regard de l' « Occident » sur un « Orient » schématisé, stéréotypé , une création de l'imaginaire « occidental », produit d'une vision du « dehors », faisant de l'Autre, un bloc singulièrement pauvre, qui ne pourrait retrouver une certaine humanité que s'il acceptait de se fondre dans l'instance européenne. Mohamed Arkoun va également dans ce sens en évoquant le cas de l'Algérie : "Les Français modernes, représentants des Lumières laïques, ont créé en Algérie le droit de l'indigénat conçu et géré par l'État républicain. L'Autre est ainsi vraiment l'étranger radical, qui ne peut entrer dans mon espace citoyen ou dans mon espace de valeurs religieuses et/ou démocratiques que s'il se convertit ou s'assimile, comme on dit encore à propos des immigrés".

Nourri des textes fondateurs de Fanon (Les damnés de la terre ; Peau noire, masques blancs), de Césaire (Cahier d'un retour au pays natal ; Discours sur le colonialisme) et d'Albert Memmi (Portrait du colonisateur) et d'une certaine littérature anglo-saxonne rejetant l'Autre, Edward Said propose une relecture du monde, démontant les mécanismes du fonctionnement du discours colonial traversant les contrées des pratiques sociales, politiques, littéraires et artistiques. le postcolonialisme qui va par la suite s'enrichir des travaux de Bhabha et de Spivak, apportant une autre manière de lire les réalités coloniales, notamment, à partir des expériences asiatiques et indiennes, propose certes une nouvelle exploration du discours colonial, mais peut tomber dans les pièges du rejet de l'"Occident" considéré comme un bloc, une totalité dépouillée de ses contradictions et de ses luttes, d'ailleurs non défini, ni délimité et du particularisme qui engendrerait une lecture essentialiste du monde, loin des jeux libérateurs et opératoires de l'Histoire. Une lecture fondée sur les jeux de polarités pourrait neutraliser toute lecture sérieuse et altérer la réalité. Avec l'émergence d'idées nouvelles et de débats nouveaux caractérisés par la présence d'interrogations puisées dans les propositions de Deleuze, Foucault, Derrida et Ibn Khaldoun, Ibn Rochd ou Abed el Jabiri, de sérieux positionnements sont possibles, nourris de la positionalité chère à Foucault, de la dissémination (Derrida) ou de la notion de rhizome, mais surtout de Glissant, Said, Mroua et d'Arkoun et de l'idée de transculturalité de Fernado Ortiz rendant désormais obsolète cette histoire d'interculturalité, trop peu engageante.Une autre critique, plus ou moins libérée des canons dominants est-elle possible ? N'y a-t-il pas risque d'une nostalgie et de la célébration d'un passé mythique ?
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"L'Orientalisme: L'Orient Crée par l'Occident" est un très grand livre basé sur une érudition énorme. Son très grand succès, cependant, est du comme souligne Saïd dans sa "Postface" de 1994 à la bonne chance. "L'Orientalisme" est sorti en 1978 l'année où l'Intifada a commence. La révolution islamique en Iran (1979), l'invasion soviétique de l'Afghanistan (1979) et l'invasion de Liban (1982) ont suivi en succession rapide. Bref, "L'Orientalisme" a répondu à une demande importante. Tout le monde voulait connaitre la genèse des mythes et des fausses conceptions qui ont entrainé tant d'événements fâcheux.
La grande thèse de Saïd est que "l'Orient" est une fiction intéressé élaborée après les guerres napoléoniennes pour justifier la domination par la France et l'Angleterre au Moyen-Orient, en Inde , et en Chine. En fait Saïd discute surtout de l'imagé erroné fabriqué des arabes du Moyen-Orient. À l'avis de Saïd les Orientalistes n'ont rien fait que dénigrer les peuples arables et leur ont fait beaucoup de tort.
"L'Orientalisme" a été au début un terme crée pour désigner des nouveaux programmes universitaires dédiés aux langues de l'Asie. On étudiait de préférence des versions anciennes des langues ou des langues carrément mortes comme le sanscrit. Les Orientalistes présentaient des arabes comme étant rusés plutôt qu'intelligents, paresseux et inapte à se gouverneur. Surtout les arabes dans la vision orientaliste étaient luxurieux.
Saïd choisit de ne pas faire l'analyse du mouvement des peintres orientalistes dont le chef de file étaient sans question Jean-Léon Gérôme. L'emploi des tableaux de Gérôme dur des éditions du livre est assez trompeur. Saïd ne mentionne pas non plus le Schéhérazade de Rimski-Korsakov. Il a été de métier un prof de littérature comparé.
Saïd fait preuve d'une maitrise remarquable de la littérature francais. Il fait des commentaires très intéressants des écrits orientalistes de Gustave Flaubert, Gérard de Nerval, François-René de Chateaubriand et de Victor Hugo. Il fait un analyse très détaillé de l'oeuvre de l'universitaire Ernest Renan qu'il généralement reconnu comme le fondateur du mouvement orientaliste académique. Finalement, Saïd parle beaucoup d 'Abraham-Hyacinthe Anquetil-Duperron qu'il faut considérer comme un précurseur du mouvement orientaliste.
Saïd parle aussi beaucoup des orientalistes anglophones, notamment Sir Richard Burton, Lord Cromer (Evelyn Baring), Sir Hamilton Gibb, Edward Lane, T.E. Lawrence et Gertrude Bell. Dans l'ensemble je connais beaucoup moins bien les auteurs de langue anglaise que ceux de langue français. Les anglais ont commencé à dominé l'Orientalisme vers la fin du dix-neuvième. Ils insistaient surtout sur la incapacité des arabes de gouverner leurs propres pays. Ils ont fini par justifier l'attitude des diplomates, militaires et politiciens américains qui au moment où Saïd écrivaient avaient très peu d'estime pour les arabes.
Le grand vilain pour Saïd est Bernard Lewis qui continue la grande tradition de dénigrement des arabes par les Orientalistes et qui possédait à la fin du XXe siècle une grande influence malsaine sur les instances du pouvoir américain.
J'ai beaucoup de réserves sur bien des points dans le livre. Notamment je pense que Saïd est très injuste vers Gertrude Bell et T.E. Lawrence qu'il regarde comme étant des Orientalistes traditionnels qui voulaient garder les peuples arabes sous la tutelles des pays occidentaux. En fait Bell et Lawrence voulaient plus d'indépendance et plus d'estime pour les arabes.
Néanmoins il faut reconnaitre que "L'Orientalisme" est un excellent livre et les connaissances de Saïd" sont remarquables. le coté polémique du livre est toujours valable. Les pays de l'Occident n'accordent toujours pas aux peuples arabes le respect qu'ils méritent. Tant et aussi longtemps que ca ne change pas les tragédies que nous connaissons vont continuer à se produire.
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L'esprit change-t-il? Au fil du temps, le raisonnement connait-il son progrès? Parvient-il à se débarrasser de ce qui, hier, l'a malmené? A voir les affrontements faussement intellectuels sur les plateaux télé, à entendre les penseurs (Zemmour et compagnie) affirmer leurs vérités vraies, à lire le contenu du travail journalistique et politique, on se dit parfois que rien ne change ou, pour être exacte, très peu de choses changent. C'est ainsi que l'on continue à se désigner, pour exister, des ennemis, intérieurs et extérieurs. C'est ainsi que l'Autre, posé et affirmé, est toujours pris au piège dans une définition qu'il n'a pas souhaité. Les minorités (au sens politique du terme), quelles qu'elles soient, souffrent toujours du regard orienté de la majorité qui se pense toujours dans l'exactitude et la vérité. le Noir était un animal sans droit qui méritait la vente aux enchères, le Juif était un être perfide et rusé responsable de tous les maux de la société et, aujourd'hui, ce sont les Arabes qui sont considérés: ils sont des terroristes islamistes aux coutumes barbares et arriérées, loin des Lumières et des idées brillantes qui font la République éclairée.

L'Homme a besoin de se représenter. Il a besoin de définir et d'imaginer. Malheureusement, il pense toujours à côté de ce qui est, voulant simplement voir ce qui est de son intérêt. Comme l'écrit Edward W. Said, les représentations ont des fins, elles fonctionnent la plupart du temps, elles accomplissent une tâche ou de nombreuses tâches. Les représentations sont des formations, ou, comme l'a dit Roland Barthes de toutes les opérations du langage, elles sont des déformations (p. 455). Elles déforment, en effet. Même, elles inventent et créent, affirmant ensuite le travail de l'imaginaire comme une vérité incontestée. C'est ce que dénonce Edward W. Said dans cet essai d'un grand intérêt.

En écrivant sur l'Orientalisme - courant littéraire et artistique du XIXème siècle qu'il définit comme une véritable doctrine politique censée nourrir la supériorité de l' "Occident" - Edward W. Said montre comment le colonialisme s'est accompagné d'un intérêt intellectuel pour les peuples qui habitent les territoires occupés, désormais rangés dans une étiquette orientale sans qu'on sache vraiment ce que signifie les termes qui, depuis, ont l'air de se faire la guerre: l'Orient et l'Occident. Il raconte comment les uns et les autres - universitaires, écrivains, voyageurs- ont pris plaisir à "découvrir" et définir l' "Orient", toujours d'après des qualificatifs négatifs et avilissants. Il explique comment, à coups de généralisations, de catégorisations, d'insuffisances et d'arrogances, les penseurs et intellectuels des puissances impérialistes - les Orientalistes - créent, à leur guise, un discours sur l'Orient qui permet, aux politiques, d'affirmer et de justifier leur supériorité. Un discours favorisé par l'affaiblissement de l' "Orient", son silence obligé les ayant en effet autorisés à penser comme vraies leurs conneries assumées. Aujourd'hui, les représentations faussées et erronées, et pourtant toujours affirmées avec insolence et impertinence, continuent de circuler. Venant de l'Histoire passée, elles polluent le Présent qui, je l'espère, fait le travail nécessaire pour les priver d'un succès assuré dans les prochaines années.

Intéressant dans sa description de l'Orientalisme comme domaine de recherche peu crédible, l'essai pêche néanmoins par son style. Les répétitions et les longueurs alourdissent en effet l'essai qui perd un peu de son efficacité auprès du lecteur quelque peu fatigué, et donc vite lassé.
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La question des rapports entre l'Orient et l'Occident, tout le monde voit bien qu'elle est cruciale aujourd'hui. Ce que montre Said, c'est que tout ce que l'on raconte, ou presque sur "l'Orient" (les guillemets sont la conséquence logique de sa démonstration) est biaisé par la tradition orientaliste, qui est une des formes de la domination de l'Europe, puis des Etats-Unis, sur le monde. L'intérêt pour le monde arabe a toujours été, d'après les nombreux exemples que décortique Said, une manière de mettre à distance l'Autre, de lui nier la possibilité de prendre la parole lui-même pour établir sa propre identité, de s'en méfier comme d'un être inférieur, décadent, dangereux. Sommes-nous sortis de ce regard qui louche? Tout montre que non. L'Arabe, essentialisé comme terroriste, fanatique ou soumis à un islam simplifié à l'extrême, continue à être perçu sans nuance. Bien sûr, certains individus bruyants, tendent le bâton pour qu'on les batte. Bien sûr, les Orientaux aujourd'hui se défendent ou pire, attaquent, mais tant que, partout, on campera sur une vision du monde qui sépare de manière imperméable les "civilisations", on continuera à ne rien comprendre à l'Orient, à le fantasmer et à le détruire tant et si bien que lui-même nous (qui est ce nous?) détruira à notre tour.
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‌L'Orientalisme est aujourd'hui un classique, cela va sans dire. Edward Saïd a en effet été pionnier dans l'étude des relations Orient/Occident, et a été un des, si ce n'est le premier, à affirmer une théorie qui semble aller de soi aujourd'hui, à savoir que les identités culturelles relèvent d'une construction et que l'Orient a été pendant des siècles « créé par l'Occident », à travers des généralisations, des idées fausses et des stéréotypes.

A ce titre, je pense que L'Orientalisme mérite d'être lu. Cependant, je dois reconnaître que cela a été une lecture assez fastidieuse et pénible. En effet, comme cela a été souligné par des critiques précédentes, Edward Saïd a une légère tendance à se répéter et à reformuler sans cesse les mêmes idées, ce qui donne au livre une impression de redondance, voire d'être « creux », alors que ce n'est pas le cas. Je pense que les 550 pages de cet essai auraient facilement pu être réduites à 200-300, si l'on supprimait toutes ces longueurs et répétitions…

J'ai de même été déçue que les exemples soient toujours les mêmes (Lane, Flaubert, Renan…), analysés longuement à un moment précis puis cités à nouveau dans quasiment tous les chapitres (et ceci pour la même idée). C'est à mon sens d'autant plus dommage que ces exemples proviennent des mêmes domaines (la politique et la littérature, de la fin du XVIIIe au XXe siècle), alors que tant d'autres auraient pu être développés. J'ai notamment regretté que l'histoire de l'art ne soit pas abordée (si ce n'est en une phrase pour nous préciser que l'auteur n'a pas le temps de traiter cette discipline, ce qui est particulièrement ironique au vu du nombre de répétitions du livre qui auraient pu être évitées), alors même que le terme d'« orientalisme » désigne une pratique artistique courante au XIXe siècle.
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Citations et extraits (23) Voir plus Ajouter une citation
Toutes sortes d'autres indications montrent comment la domination culturelle se maintient, tout autant par le consentement des Orientaux que par une pression économique directe et brutale des États-Unis. Par exemple, voici qui peut nous faire réfléchir : alors qu'il existe des douzaines d'organisations aux États-Unis qui étudient l'Orient arabe et islamique, il n'y en a aucune en Orient qui étudie les États-Unis ; ceux-ci représentent pourtant la principale influence économique et politique dans la région. Pire encore, il n'y a en Orient pour ainsi dire aucun institut, même modeste, qui soit consacré à l'étude de l'Orient.

Mais tout cela n'est rien, à mon avis, comparé au second facteur qui contribue au triomphe de l'orientalisme : l'idéologie de la consommation en Orient. Le monde arabe et islamique dans son entier est accroché à l'économie de marché occidentale. Il n'est pas besoin de rappeler que le pétrole, principale ressource de la région, a été totalement absorbé dans l'économie des États-Unis. Je ne veux pas seulement dire que les grandes compagnies pétrolières sont sous le contrôle du système économique américain, mais encore que les revenus pétroliers des Arabes, sans parler du marketing, de la recherche et de l'organisation industrielle, ont leur siège aux États-Unis. Les Arabes enrichis par le pétrole sont ainsi devenus de très importants clients pour les exportations américaines : c'est vrai aussi bien des États du Golfe que de la Libye, de l’Irak, de l'Algérie, États progressistes. Il s'agit d'une relation à sens unique, les États-Unis acheteurs d'un très petit nombre de produits choisis (pétrole et main-d'œuvre peu payée pour l'essentiel), les Arabes consommateurs d'une grande gamme de produits américains, matériels et idéologiques.

Cela a de nombreuses conséquences. Ainsi, dans la région, une grande uniformisation des goûts s'est produite, symbolisée non seulement par les transistors, les blue-jeans et le Coca-Cola, mais aussi par les images culturelles de l'Orient que donnent les mass média américains et que consomme sans réflexion la foule des spectateurs de la télévision. Première conséquence : le paradoxe de l'Arabe qui se voit comme un « Arabe » du type de ceux que montre Hollywood. Autre conséquence : l'économie de marché occidentale, tournée vers la consommation, a produit (et continue à produire à une vitesse accélérée) une classe instruite dont la formation intellectuelle est dirigée de façon à satisfaire les besoins du marché. L'accent est mis, très évidemment, sur les études d'ingénieur, de commerce et d'économie; mais l'intelligentsia se fait elle-même l'auxiliaire de ce qu'elle considère comme les principales tendances qui ressortent en Occident. Le rôle qui lui a été prescrit est celui de « moderniser », ce qui veut dire qu'elle accorde légitimité et autorité à des idées concernant la modernisation, le progrès et la culture qu'elle reçoit en majeure partie des États-Unis. On en trouve un témoignage frappant dans les sciences sociales et, chose assez étonnante, chez des intellectuels progressistes dont le marxisme est pris en gros chez Marx, dans ses idées qui font du tiers monde un tout homogène (j'en ai parlé plus haut dans ce livre). Ainsi, après tout, s'il y a un acquiescement intellectuel aux images et aux doctrines de l'orientalisme, celui-ci est aussi puissamment renforcé par les échanges économiques, politiques et culturels ; bref, l'Orient moderne participe à sa propre orientalisation. (pp. 349-350)
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[incipit]
Séjournant à Beyrouth pendant la terrible guerre civile de 1975-1976, un journaliste français dit avec tristesse de la ville basse éventrée : « Elle avait semblé autrefois faire partie […] de l’Orient de Chateaubriand et de Nerval. » Pour ce qui est du lieu, il a bien raison, dans la mesure, du moins, où c’est un Européen qui est en cause. L’Orient a presque été une invention de l’Europe, depuis l’Antiquité lieu de fantaisie, plein d’êtres exotiques, de souvenirs et de paysages obsédants, d’expériences extraordinaires. Cet Orient est maintenant en voie de disparition : il a été, son temps est révolu. Cela semble peut-être sans importance que des Orientaux soient eux-mêmes en jeu de quelque manière, que, à l’époque de Chateaubriand et de Nerval déjà, des Orientaux aient vécu là et qu’aujourd’hui ce soient eux qui souffrent : l’essentiel, pour le visiteur européen, c’est la représentation que l’Europe se fait de l’Orient et de son destin présent, qui ont l’un et l’autre une signification toute particulière, nationale, pour le journaliste et pour ses lecteurs français.
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Karl Marx définit la notion de système économique asiatique dans son analyse, écrite en 1853, de la domination britannique en Inde, puis il place, juste à côté d'elle, la déprédation humaine introduite dans ce système par l'interférence coloniale de l'Angleterre, sa rapacité, sa farouche cruauté. Article après article, il revient avec plus de conviction sur l'idée que, même en détruisant l'Asie, l'Angleterre y rend possible une véritable révolution sociale. Le style de Marx nous oblige à affronter cette difficulté : concilier la répugnance que nous inspirent les souffrances subies par nos frères orientaux tandis que leur société est transformée par la violence, avec la nécessité historique de ces transformations.

''Or, aussi triste qu'il soit du point de vue des sentiments humains de voir ces myriades d'organisations sociales patriarcales, inoffensives et laborieuses se dissoudre, se désagréger en éléments constitutifs et être réduites à la détresse, et leurs membres perdre en même temps leur ancienne forme de civilisation et leurs moyens de subsistance traditionnels, nous ne devons pas oublier que ces communautés villageoises idylliques, malgré leur aspect inoffensif, ont toujours été une fondation solide du despotisme oriental, qu'elles enfermaient la raison humaine dans un cadre extrême- ment étroit, en en faisant un instrument docile de la superstition et l'esclave de règles admises, en la dépouillant de toute grandeur et de toute force historique. [...] Il est vrai que l'Angleterre, en provoquant une révolution sociale en Hindoustan, était guidée par les intérêts les plus abjects et agissait d'une façon stupide pour atteindre ses buts. Mais la question n'est pas là. Il s'agit de savoir si l'humanité peut accomplir sa destinée sans une révolution fondamentale dans l'état social de l'Asie. Sinon, quels que fussent les crimes de l'Angleterre, elle fut un instrument inconscient de l'histoire en provoquant cette révolution. Dans ce cas, quelque tristesse que nous puissions ressentir au spectacle de l'effondrement d'un monde ancien, nous avons le droit de nous exclamer avec Goethe :

Sollte diëse Quai uns quälen
Da sie unsere Lust vermehrt,
Hat nicht Myriaden Seelen
Timur's Herrschaft aufgezehrt ?

Cette peine doit-elle nous tourmenter
Puisqu'elle augmente notre joie,
Le joug de Timour n'a-t-il pas écrasé
Les myriades de vies humaines ?''

La citation qui appuie l'argument de Marx sur le tourment donnant du plaisir est tirée du Divan occidental-oriental, et nous apprend quelle est la source des idées de Marx sur l'Orient. Elles sont romantiques et même messianiques : l'Orient est moins important comme matériau humain que comme élément d'un projet romantique de rédemption. Les analyses économiques de Marx rentrent parfaitement dans une entreprise orientaliste type, même si ses sentiments d'humanité, sa sympathie pour la misère du peuple sont clairement engagés. Mais, en fin de compte, c'est le point de vue orientaliste et romantique qui l'emporte, tandis que les vues théoriques socioéconomiques de Marx sont submergées dans cette image classique :

L'Angleterre a une double mission à remplir en Inde : l'une destructrice, l'autre régénératrice — l'annihilation de la vieille société asiatique et la pose des fondations matérielles de la société occidentale en Asie. (pp. 178-179)
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On suppose toujours, quoi que de manière cachée, que, bien que les consommateurs occidentaux appartiennent à une minorité numérique, ils ont le droit soit de posséder soit de dépenser la plus grande partie des ressources mondiales. Pourquoi ? Parce que, à la différence des orientaux, Ils sont de véritables êtres humains. Il n’existe pas de meilleur exemple, aujourd’hui que ce que Anouar Abdelmalek appelle e l’ »hégémonisme des minorités possédantes » et de l’anthropocentrisme allié à l’européanocentrisme : un Occidental qui appartient à la bourgeoisie croit que c’est sa prérogative humaine non seulement de gérer le monde non blanc mais aussi de le posséder, justement parce que par définition « il »n’est pas tout à fait aussi humain que « nous ». On ne peut trouver d’exemples plus net de la pensée déshumanisée.
D’une certaine manière, les limites de l’orientalisme sont, comme je l’ai déjà dit, celle qui apparaissent lorsqu’on reconnaît, réduit à l’essentiel, dénude l’humanité d’une autre culture, d’un autre peuple ou d’une autre région géographique. Mais l’orientalisme a fait un pas de plus : il considère Lorient comme quelque chose dans l’existence non seulement se déploie pour l’Occident, mais aussi se fixe pour lui dans le temps et dans l’espace.
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Personne n'a jamais trouvé comment détacher l'homme de science des choses de la vie, de son implication (consciente ou inconsciente) dans une classe, dans un ensemble de croyances, dans une position sociale ou du simple fait d'être membre d'une société. Tout cela continue à peser sur son activité professionnelle, même si ses recherches et leurs fruits s'efforcent tout naturellement d'atteindre une relative liberté par rapport aux inhibitions et aux restrictions imposées par la réalité quotidienne brute. En effet, il existe bien quelque chose comme le savoir, qui est plutôt moins partial que l'individu qui le produit, tout empêtré et distrait par les circonstances de la vie. Cependant, ce savoir n'est pas pour autant non politique.
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Mamadou Diouf est enseignant à l'Université de Columbia à New York. Il dirige également la collection "Histoire, Politique et Société" des éditions Présence africaine. C'est dans cette collection que paraît un livre dont il a écrit la préface : "L'Invention de l'Afrique. Gnose, philosophie et ordre de la connaissance", traduction française - écrite par Laurent Vannini - de "The Invention of Africa. Gnosis, Philosophy and the Order of Knowledge."
Mamadou Diouf revient sur le contexte de parution de ce livre phare écrit par le philosophe et écrivain congolais Valentin-Yves Mudimbe. Paru aux Etats-Unis en 1988, il n'avait pas encore connu de traduction française, alors même que l'ouvrage est fondateur pour les études postcoloniales sur l'Afrique. Il aurait ainsi opéré une rupture comparable à celle provoquée par Edward Saïd (1935-2003) avec son livre "L'Orientalisme" (1978).
En outre, il montre que l'image d'une Afrique primitive, en dehors de l'Histoire et représentant l'altérité par excellence, est une construction intellectuelle. L'Afrique a ainsi été "inventée" par les grands textes européens : ceux des explorateurs, des anthropologues, des missionnaires... Cette construction ayant abouti à une "librairie coloniale" dans laquelle même les Africains sont encore enfermés.
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