Les hommes de ma race ne se dessaisissent pas de la femme aimée ; ils la gardent, Carole. Ils la défendent contre les autres, contre elle-même. Ils la placent sur un piédestal et interdiction à quiconque d’approcher. Ils l’isolent des autres, mais pour mieux l’aimer. Ainsi est l’amour que vous avez accepté, l’amour que j’ai pour vous, qui est exclusif, qui est jaloux, qui vous veut à moi seul, mon bien ; j’aime comme aimaient les doges, mes ancêtres : l’audacieux qui eût osé arrêter son regard sur leur bien-aimée, il aurait fini ses jours dans les plombs de Venise ou dans le canal.
Figurez-vous que je ne suis pas de ces individus qui tombent amoureux toutes les cinq minutes et qui sont toujours prêts à brandir une alliance. Des fiançailles supposent l’amour, c’est assez généralement reconnu. Cette évidence mise à part, je vous révélerai que l’état de fiancé convient relativement mal à un homme qui aime ; pour y venir, il a fallu que j’aie le désir de faire de vous mon épouse.
Il y a des gens qui aiment travailler, c’est leur vice ! Pour ma part, je suis intimement persuadé que la distinction des espèces n’est pas une formule vaine : de même que l’oiseau a des ailes et le poisson, des nageoires, une certaine catégorie d’individus est constituée pour accomplir les besognes qui ne conviennent pas à une autre catégorie.
C’est la breva, le vent du sud… La breva mord les lauriers-roses, fait éclater les figues, couche un moment les cyprès ; c’est le vent que nous aimons, avide et qui se gorge de de tous les sucs, des pulpes ouvertes, des parfums. Quand souffle le tivano, qui vient du nord, alors nous nous terrons.
La vie est courte… jouir des heures dorées… Prendre à chaque moment ce qu’il offre, la totalité de ce qu’il peut nous donner, voilà qui est vivre !