Saint-Exupéry fait partie de ces écrivains que l'on suit tout au long de sa vie (quand on l'apprécie, bien sûr). C'est pourquoi quand, de temps en temps, un inédit arrive sur votre table de lecture, vous savourez ce moment avec une délectation suprême. En 1994, les éditions Gallimard proposaient les
Oeuvres complètes de Saint-Ex, mais depuis, d'autres inédits ont paru (essais de jeunesse, articles, souvenirs et surtout lettres). Et ce n'est sans doute pas fini, beaucoup d'archives dorment encore et ne seront révélées que dans plusieurs années. de quoi répondre à beaucoup de questions que l'on se pose, concernant la genèse de l'oeuvre (et surtout celle du Petit Prince), celle de la pensée de l'auteur, et le mystère, toujours pas élucidé de sa mort.
En attendant ces petits inédits qui de temps à autre font surface, amènent quelques pièces de plus au puzzle que constitue notre auteur, et nous en apprennent un peu plus à la fois sur l'homme et sur l'écrivain.
En 2007 Gallimard lançait un petit coffret de quatre livrets contenant deux courtes nouvelles : « Manon, danseuse » et « L'aviateur » ; quelques textes se rapportant à des oeuvres déjà écrites : « Autour de
Courrier Sud et de Vol de Nuit » ; quelques ébauches d'articles : « Je suis allé voir mon avion ce soir », « le pilote » et « On peut croire aux hommes », ainsi que sept lettres à Natalie Paley, authentique princesse russe et amie de coeur de Saint-Ex.
Nous connaissons déjà « L'Aviateur » c'est la nouvelle qui a servi de base à «
Courrier Sud ». « Manon », en revanche nous était parfaitement inconnue. Saint-Ex était paraît-il, assez content de cet opuscule, écrit en 1925, et comptait le faire éditer dans la revue Europe de
Jean Prevost (qui avait déjà accueilli « L'Aviateur ») puis à la NRF, grâce à l'appui d'
André Gide. Mais le projet a fait long feu. Entre temps, Saint-Ex est entré à l'Aéropostale, et a écrit «
Courrier Sud ». Manon est reléguée aux oubliettes.
Manon est une prostituée, désabusée, idéaliste pourtant, elle rêve d'un grand amour. Elle pense le trouver, un soir dans la personne d'un quadragénaire (qui ressemble à l'auteur, bien qu'il n'ait que 25 ans à l'époque), comme elle un peu paumé, égaré dans un monde interlope, charmeur et balourd en même temps avec les femmes, protecteur et demandeur de protection… Au petit matin, ils se séparent et reprennent chacun de son côté leurs existences ternes. Manon passe sous un camion. Accident ? Suicide ? On ne sait pas Elle qui était danseuse, boîtera toute sa vie.
Tout à fait à l'opposé des récits d'aviation, ce court roman intimiste, montre un autre
Saint-Exupéry : certains décors sont les mêmes : dancings, bars de nuits, rues de Paris fréquentées par des prostituées et des noctambules... Mais on y trouve quelques constantes qui traverseront toute l'oeuvre de l'auteur : la vanité d'une vie privée de sens, la solitude, le besoin de fuir une vie étriquée… Manon est une petite fille fragile qui cherche une échappatoire à son destin, et qui mesure le prix de l'illusion.
C'est une facette de Saint-Ex que nous trouvons ici, pas l'aventurier, l'homme d'action, le penseur, l'humaniste militant ou le tombeur de ces dames. C'est l'inquiet, celui qu'on reconnait surtout dans sa correspondance ou dans certaines pages désabusées de «
Pilote de guerre » ou de «
Citadelle »
Et mon tout est un homme.