Citations sur Juste avant (39)
« Le cancer n’aime pas les vieux, ça l’excite pas, il lui faut de la cellule fraiche »
Un jour je leur ai raconté l’arrestation aux filles, c’était le première fois il me semble, j’aurai attendu quarante ans pour ça. Elles se sont foutues de moi parce que j’avais précisé que mon mari n’avait pas pu manger sa soupe avant de partir. Il était de la Corrèze, Louis, il a toujours gardé cette manie de la soupe à cinq heures du matin. Qu’est-ce que ça m’énervait ! Je me rappelle, y avait Marie, la petite filleule de Fanny, elle était pliée en deux, elle ne pouvait plus s’arrêter. C’est resté ça aussi. Ca ne m’a pas choquée. Moi, après, je rigolais comme elles. C’est vrai qu’un type qu’on emmène dans les bureaux de la Gestapo, il a sûrement d’autres préoccupations.
Je reste une traumatisée de Noël, je déteste tout, les décos, les hystéros du papier cadeau, le commerce à tout prix; la première guirlande dans les vitrines me colle des sueurs froides, de novembre à janvier je reste en position de défense.
Pendant des années, j'avais une copine à l'étage du dessous, Mme Garrigue, nous passions presque toutes nos journées ensemble. Elle est morte d'un seul coup, ça ne m'a rien fait, pas une larme, pas un regret, rien qu'un peu de dégoût devant son corps jauni. J'irai regarder "Tournez manège !" chez une autre, voilà tout. Incroyable, l'indifférence des vieux pour les autres vieux.
De toute façon, quand on est très vieux, la compagnie n'a plus tellement d'importance, il s'agit seulement de tromper un minimum la solitude avec une présence, la moins agaçante possible.
« Ils sont drôlement décontractés, les curés de maintenant. C’est dommage d’avoir raté ça. »
Ma petite-fille va bientôt dépasser l'âge de sa mère, ça fait un drôle d'effet, je me rappelle, de se dire qu'on est plus vieux que ses parents. J'ai plein d'amis à qui ça a fait ça, ils allaient sur la tombe de leur père, mort à la guerre de 14, et ils avaient l'impression de prier pour un gamin, un gamin d'une vingtaine d'années qui était censé les élever et veiller sur eux.
“Le cancer à cinquante ans c’est trop tôt, mais en passer quinze dans un mouroir, c’est juste une torture. Je ne m’arrête pas de fumer, j’ai une bonne descente, je ne mange pas bio, ne fais pas beaucoup de sport et j’habite à Paris. Je tiens à garder toutes mes chances de ne pas croupir des années dans un fauteuil.”
J’avançais lentement, la décrépitude impose le silence.
Ma vieille pomme, dans le couloir, quand je venais te voir à la Madeleine, j’avais toujours l’appréhension d’en prendre un coup, il faut se gonfler un peu les épaules avant de pénétrer dans une maison de retraite, se faire une petite carapace de protection. Rien que l’odeur, et puis pousser la porte du service, on entrait dans un autre monde, celui de la désespérance.