Tous les peuples anciens de la Méditerranée donnèrent une grande attention aux songes et les érigèrent fréquemment en oracles : Égyptiens, Chaldéens, Perses, Mèdes, Grecs et Romains, admettaient tous que certains songes étaient envoyés par les dieux. Cette crédulité n'était pas particulière aux gens du peuple ; poètes et philosophes partageaient l'opinion commune : « Les songes viennent de Zeus, dit Homère, il est le seul dont la voix les appelle des régions lointaines où bourdonne leur essaim », et Platon déclarait « Dans le calme de la nuit, les génies répandus dans les régions éthérées viennent se reposer auprès de nous, impriment à nos âmes des idées dégagées des sens et nous transmettent les ordres de Dieu. » Porphyre nous dit que Pythagore avait appris l'art d'interpréter les visions du sommeil en voyageant chez les Chaldéens, les Hébreux et les Arabes ; il estimait, en tout cas, que les songes sont envoyés aux hommes par les démons ou les héros qui emplissent l'atmosphère.
On peut constater que les facteurs psychologiques, souvent liés aux facteurs physiologiques, comme dans les songes, ont une importance fondamentale, car ils jaillissent de sources foncièrement inhérentes à la nature humaine. I.a préoccupation de l'enfant et de son avenir, chez les parents, et tout particulièrement chez les mères ; l'usage de moyens divinatoires pour apaiser l'inquiétude et la curiosité du lendemain ; le besoin d'en assurer la sécurité par des ablutions ou des reliques ; la préoccupation de la mort et de l'autre vie pour les siens comme pour soi-même ; enfin l'utilisation de maintes croyances pieuses par les clercs ou par les moines au profit d'intérêts matériels et spirituel, sont autant de tendances de de la nature humaine. De là, d'ailleurs, leur universalité il leur permanence, île là des aires l'extension prodigieuses et de surprenantes survivances.
... La vision du monde des âmes n'est pas le fruit d'un véritable voyage dans cet au-delà, dont nous continuons à tout ignorer, mais le produit d'un cerveau particulièrement préparé ou organisé. Les narcotiques ont joué jadis un large rôle et le jouent encore chez les demi-civilisés. L'entrainement ascétique, avec l'affaiblissement psychique et l'excitation nerveuse qui en résultent, constitue la grande source des visions sincères. Mais il n'y a pas qu'une préparation du terrain, il y a aussi celle du contenu des visions. Chose remarquable, la méditation, qui contribue puissamment à modifier l'organisme, et surtout le psychisme, fournit aussi la matière des songes du sommeil et des visions de l'extase. Et, d'autre part, elle-même ne fait qu'utiliser des souvenirs, tous puisés dans l'enseignement religieux ou la lecture de la vie des saints.
La croyance à la signification des songes se retrouve dans le Nouveau Testament. Les mages apprirent ainsi qu'ils devaient retourner dans leur pays par un autre chemin. Joseph, l'époux de la Vierge, reçoit, durant son sommeil, toutes les communications divines qui lui sont nécessaires pour régler sa conduite dans les cas difficiles. C'est de cette façon qu'il est successivement averti d'avoir à ne pas répudier Marie devenue enceinte par la grâce de Dieu, à fuir en Égypte avec Jésus et sa Mère, à revenir en Palestine une fois tout danger passé, enfin à se retirer en Galilée. La femme de Pilate fait dire à celui-ci : « Qu'il n'y ait rien entre toi et ce Juste, car j'ai été aujourd'hui fort tourmentée en songe à son sujet. » Et Matthieu, qui nous rapporte ce propos, est loin de le désapprouver.
La façon dont les chansons de geste du XII° et du XIII° siècle utilisent les songes est d'ailleurs caractéristique. Pour les auteurs de ces chansons profanes, lorsque les rêves ne viennent pas des anges, ils sont néanmoins presque toujours d'origine surnaturelle et présagent infailliblement ce qui va arriver.
Cet état d'esprit se retrouve dans les temps modernes et nous voyons de pieuses gens, historiens locaux, chroniqueurs, hagiographes reproduire sans hésitation une foule de récit semblables. Ils y sont d'ailleurs portés par l'accueil qui leur est fait dans les milieux populaires. Ceux qui achètent encore des "Clefs des songes" sont toujours prêts à les écouter et à les croire et ce ne sont pas les seuls.