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Critique de YoakeKonjiki


La littérature japonaise portant sur la seconde guerre mondiale est brillante, mais jamais je n'avais rencontré un récit aussi singulier sur ce thème que celui de L'idiote de Sakaguchi Ango. Si cette période vous intéresse, ce récit est pour vous ! L'auteur se saisit de cette période où la vie est suspendue sous les bombardements pour décrire la médiocrité de la société japonaise, mais aussi de manière encore plus troublante celle de l'homme en tant qu'individu prisonnier de ses besoins matériels qui l'empêchent de réaliser ses aspirations de liberté. Ce récit est un témoignage sur la violence de la guerre pour les populations civiles et le reflet de la vision désabusée que Sakaguchi Ango porte sur l'homme.

Les premières pages décrivent les habitant de ce quartier populaire insalubre dans lequel habite le personnage principal. On passe en revue une collection de personnages plus minables et pathétiques les uns les autres, dont Balzac n'aurait pas renié les portraits. Ceux qui paraissent les plus appréciables sont les fous voisins du personnage principal, car en dépit de leurs actions irrationnelles ils ont choisi de ne pas prendre part à la médiocre vie du quartier dans laquelle ils vivent, se réfugiant dans leur univers propre.

Un soir, le personnage principal voit débouler dans sa masure la femme de son voisin fou, une idiote qui sait à peine parler et tient davantage dans ses attitudes d'une bête craintive que d'une femme. Il décide de permettre à la femme de passer la nuit dans sa demeure. Face à cette femme qui se comporte de manière absolument instinctive et dépourvue de raison, le personnage principal s'interroge sur son existence. A-il finalement une vie plus raisonnable que cette folle ? le Japon en guerre semble promis à la destruction, noyées sous les bombes seront toutes les structures millénaires de sa civilisation, dévoyée par des intellectuels qui forme une élite sectaire et médiocre se moquant de l'art et préférant soutenir les yeux fermés la politique nationaliste fanatique du gouvernement. Au milieu de cette faillite collective, le héros aspire à l'art, à donner sens à son travail pour le bien commun, mais il ne peut quitter son travail, car le tenaille le besoin méprisable mais insurmontable de toucher sa paie à la fin du mois. Cette crainte de ne pas avoir d'argent, elle tenaille le héros au point qu'il ne peut pas la surmonter. Finalement, l'auteur nous montre la faiblesse de l'homme, qui même animé d'une aspiration à la liberté, ne peut jamais l'atteindre, piégé par ses besoins matériels. La folle elle ne se préoccupe pas de besoins matériels, mais elle ne peut pas effectivement profiter de son détachement aux choses de ce monde. Elle reste une coquille vide incapable de réflexion et soumises aux humeurs des autres. Pour l'auteur, il ne semble pas y avoir d'issue pour trouver cette liberté tant recherchée et jamais atteinte.

Le récit se conclut par la destruction annoncée, le quartier est bombardé pas des bombes incendiaires, et les maisons de bois se consument en un brasier dantesque. Les hommes fuient en un troupeau grégaire. le héros choisit de prendre la folle avec lui et ils s'enfuient dans les flammes, pour arriver dans un refuge provisoire où ils s'endorment. Seuls dans ce monde en ruine, ils peuvent aller où ils veulent, car rien ne les retient plus. Il veut aller loin, mais d'abord il doit vérifier que le train fonctionne encore…le matériel le rattrape déjà. Quant à la folle, elle dort, insouciante de tout et se laissera guider par l'homme comme la poupée qu'elle est.

Ce livre, violente charge contre la société japonaise de la seconde guerre mondiale, constatation désespérée de l'impossibilité de l'homme à connaître une liberté souhaitée et jamais atteinte, est magnifié avec une grande intelligence dans l'écriture et par cette association des plus singulière de la folie de la guerre mise en parallèle avec la folie clinique. Je vous conseille vivement cette lecture, d'autant plus qu'il y a un deuxième récit (chic, un bonus !) qui mérite aussi le détour (mais dont je ne vais pas parler ici, car cette critique est déjà bien trop longue, et n'ayant honnêtement pas très bien compris le sens de ce deuxième récit qui reste obscur pour moi !)
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