Ce tome fait suite à Thieves and spies (épisodes 145 à 151) qu'il n'est pas nécessaire d'avoir lu avant, encore qu'on peut se demander ce qui pousserait un amateur d'Usagi à ne pas lire un tome de la série. Il contient les épisodes 152 à 158, initialement parus en 2016, écrits, dessinés et encrés par
Stan Sakai, le créateur de la série, et son unique auteur depuis le début. Ces histoires sont en noir & blanc. L'édition VO comprend une introduction d'une page écrite par
Cullen Bunn, scénariste de comics très en vogue, mettant en valeur les qualités de
Stan Sakai en tant que narrateur hors pair.
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- Épisode 152 - The river rising - Miyamoto Usagi est en train de participer à l'élévation d'une digue en urgence, alors que le niveau de la rivière continue de monter, et que l'eau menace d'inonder le village, mais aussi les champs, privant ainsi les villageois de toit, mais aussi de nourriture. Il doit s'interrompre dans sa tâche parce qu'une bande de voleurs vient de s'emparer des réserves de nourriture du village. Il se lance à leur poursuite, après avoir donné ses ordres pour que les villageois continuent à élever la digue.
Le lecteur a l'impression de lire une aventure
Miyamoto Musashi. Usagi prête main-forte à des villageois appauvris par de mauvaises récoltes, et risquant de perdre le peu qu'il leur reste. Il les aide de son mieux, et décide de récupérer leur nourriture. Il s'agit d'un récit assez noir, rendu encore plus terrible par l'identité des voleurs.
Stan Sakai évoque le temps des disettes et la réalité de la pauvreté à une époque où les individus pouvaient mourir de faim faute de réserves suffisantes, où les récoltes n'étaient pas assurées. Comme à son habitude, il dessine des personnages avec des mains comportant 4 doigts, des individus ressemblant vaguement à des animaux anthropomorphes. Comme à son habitude, il raconte une histoire complète en seulement 24 pages.
Le lecteur remarque que les cases sont plus sombres que d'habitude, et pas seulement parce que le récit se déroule de nuit. Les habits d'Usagi sont tachés par la boue, ils sont également déchirés. La courte fourrure de son visage est ébouriffée et salie. Les personnages pataugent dans la boue, et glissent. Les visages portent la marque de la fatigue et des privations.
Le récit se termine le constat de la nécessité de l'entraide, ne serait-ce que parce qu'à plusieurs, on est plus fort.
Stan Sakai n'hésite pas non plus à évoquer le fait que les circonstances peuvent pousser les individus désespérés à commettre des actes délictueux, et à rappeler les vertus du pardon. le lecteur termine le récit avec un espoir renouvelé par des constats simples, mais parfois ensevelis sous le cynisme facile et l'usure du quotidien.
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- Épisode 153 - Kyuri - Jiro, le compagnon temporaire d'infortune d'Usagi, a été tué par un Kappa, une créature surnaturelle du folklore japonais. Usagi s'enfonce dans les grottes où le kappa a trouvé refuge. Il découvre un kappa enfant, protégé par sa mère.
Dès les premières pages, le lecteur constate que l'artiste continue d'essayer des modes de représentation un peu différents. En particulier, il utilise des traits plus secs et plus fins pour détourer les formes des kappas. Comme à son habitude,
Stan Sakai fait preuve de ses compétences de metteur en scène. Alors que la majeure partie du récit se déroule dans des grottes sombres, avec des parois plongées dans la pénombre, le lecteur peut voir les personnages se déplacer, trébucher sur les aspérités du sol, s'appuyer sur les parois. Comme d'habitude, Usagi se retrouve confronté à un ennemi et il doit faire l'usage de ses épées pour se défendre. Comme à son habitude, l'auteur traite ses combats physiques avec sérieux, concevant le déroulement de l'affrontement dans son intégralité, que ce soit les coups portés, ou les déplacements des combattants. À nouveau, le lecteur est frappé par la souffrance. Usagi est blessé et son ennemi s'acharne sur son bras droit jusqu'à en casser l'os.
Stan Sakai ne représente toujours pas les blessures ouvertes, ou le sang qui coule, mais le visage du personnage exprime une souffrance intense, accablante, tellement convaincante que le lecteur en oublie totalement qu'il regarde un lapin anthropomorphe.
La résolution du conflit est courue d'avance, mais cela ne diminue en rien l'implication émotionnelle du lecteur dans le récit, ni la force du thème relatif à l'évidence de vivre ensemble, quelles que soient les différences qui peuvent séparer les individus.
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-Épisode 154 - Kazehime - Lors de son vagabondage, Miyamoto Usagi aperçoit Kazehime blessée à terre. Il s'agit d'une ninja du clan Komori. Il la transporte jusqu'à une hutte proche et lui prépare un bouillon. Malgré ses réticences, Kazehime finit par accepter son aide. Quelques temps plus tard, Miyamoto Usagi accompagne un groupe de mercenaire servant d'escorte à un riche marchand transporté en palanquin. le groupe est attaqué par un groupe de ninjas du clan Mokori dont Kazehime fait partie.
Stan Sakai est toujours aussi habile à installer le lecteur aux côtés d'Usagi, marchant sur un chemin dans la forêt. Il montre les risques que prend Usagi à secourir cette ninja, en particulier à cause des lames tranchantes dissimulées dans ses vêtements. le lecteur est immédiatement convaincu par la qualité du jeu des acteurs, que ce soit la défiance de Kazehime, ou la prévenance prudente d'Usagi. Les gestes et les visages expriment parfaitement l'état d'esprit de l'un de l'autre, ainsi que leur évolution. La mise en scène de la deuxième partie et tout aussi impeccable pour montrer l'attaque de l'escorte par les ninjas, de manière à ce que le lecteur puisse voir combien il y a d'assaillants, et suivre leurs déplacements.
Dans cette intrigue très différente des précédentes, le lecteur se rend compte que l'auteur continue de développer le même thème : la coexistence d'individus de cultures ou de races différentes qui doivent se supporter, ou qui sont contraints d'agir selon leur éducation leur culture et les obligations de la société dont ils font partie.
Stan Sakai raconte un drame qui en surface n'est qu'un simple affrontement, et en profondeur est une tragédie des plus terribles, car chaque individu est contraint de se conformer au rôle qui lui est dicté par sa place sociale.
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- Épisodes 155 à 157 - The Hell screen - Miyamoto Usagi arrive à la porte d'un temple dont le gardien se montre très ferme quant au fait qu'il ne peut pas y pénétrer pour s'y abriter de la pluie. Usagi finit par le convaincre par sa détermination. Leur face-à- face est interrompu par l'arrivée de l'inspecteur
Ishida qui reconnaît Usagi et qui lui offre l'hospitalité.
Ishida explique la situation. Il y a eu plusieurs meurtres de commis dans l'enceinte du temple, et ils présentent un caractère surnaturel, sentiment conforté par la présence d'une peinture de grande taille dépeignant les enfers dans la pièce d'exposition du temple. En outre, le seigneur Shima est présent pour hâter la fermeture du temple, racheter les terres et les intégrer à une réserve de chasse destinée à l'Empereur.
En découvrant la présence de l'inspecteur
Ishida (personnage récurrent de la série), le lecteur sait que
Stan Sakai va lui raconter une enquête en bonne et due forme, avec meurtres, examen des circonstances, interrogatoire des suspects et réunion finale pour confondre le coupable. Effectivement, le récit suit bien ce schéma, mais de manière moins basique que dans les enquêtes précédentes. L'auteur apporte un peu d'air à son récit en faisant sortir les personnages à l'extérieur, dans les terrains boisés du temple. Il intègre plusieurs scènes d'action, évitant de se restreindre à une enquête d'Hercule Poirrot où tout se déroule dans un unique bâtiment. Enfin la révélation finale est répartie sur plusieurs scènes, évitant également la caricature de la réunion d'explication dans une pièce, avec tous les suspects attendant sagement que l'enquêteur les désigne du doigt les uns après les autres.
En tant qu'auteur complet,
Stan Sakai a construit son récit de manière à ce qu'il comporte une dimension visuelle, indispensable dans un média comme la bande dessinée, où il excelle pour raconter l'histoire en montrant ce qui se passe. le lecteur est impressionné par l'intelligence de la narration qui fait apporter plus de la moitié des informations par les dessins, plutôt que de plomber chaque case par de copieux dialogues ou par des cellules de texte. C'est un dispositif assez délicat à mettre en oeuvre pour une enquête policière nécessitant d'exposer les enjeux, et de recueillir l'avis et le témoignage des protagonistes.
Stan Sakai a trouvé l'équilibre parfait pour cette histoire.
Miyamoto Usagi assiste l'inspecteur
Ishida dans une enquête superbement racontée, découlant de l'époque et du milieu dans lesquels elle se déroule.
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- Épisode 158 - The fate of the elders - Chemin faisant, Miyamoto Usagi rencontre Ichiro portant sa mère sur le dos. Ils se rendent au sommet d'une montagne avoisinante pour retrouver le père d'Ichiro. Usagi se propose pour porter la mère, Ichiro s'étant blessé à jambe.
Le lecteur n'a aucune idée du genre de récit qui l'attend. Il côtoie à nouveau des personnes qui lui deviennent familières en peu de pages, et pour qui il éprouve rapidement de l'empathie.
Stan Sakai n'a toujours pas son pareil pour donner vie à des individus ressemblant vaguement à des animaux anthropomorphes, et pour faire croire au lecteur qu'il marche à leurs côtés sur un chemin progressant dans une forêt. Pourtant le lecteur est tout entier investi dans les discussions pour apprendre à connaître ce fils et sa mère et pour les accompagner dans ce voyage devant les réunir avec le père. Une fois encore l'histoire parle de solidarité et de coutumes permettant d'assurer un avenir à la jeune génération. Cette histoire rappellera un épisode (198) fameux de la série Uncanny X-Men à ceux qui l'ont lu, l'émotion restant entière.