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Critique de Presence


Ce tome fait suite à Usagi Yojimbo, Tome 4 : (épisodes 13 à 18). Il comprend les épisodes 19 à 24, initialement parus en 1989/1990, écrits, dessinés et encrés par Stan Sakai. Il s'agit d'une série en noir & blanc. Il commence par une introduction écrite par Stan Lee. Contrairement à son habitude, celui-ci ne vante pas ses propres mérites, et n'utilise pas des formulations ronflantes pour promouvoir un produit qu'il place au même niveau que Shakespeare quant à son impact sur la littérature. Il évoque des faits concrets, comme la façon dont il a été amené à connaître Stan Sakai, et il évoque des qualités concrètes de la série Usagi Yojimbo. Cette introduction constitue à elle seule la preuve de l'effet que peut avoir cette série, même sur un bateleur tel que Stan Lee. Il comprend 5 histoires complètes.

(1) Frost & Fire - Nagao était l'un des vassaux du seigneur Noriyuki. Il est décédé dans un village un peu à l'est de son fief. Lady Koriko, sa veuve, demande à Miyamoto Usagi d'aller récupérer ses épées dans ce village pour qu'elle puisse les transmettre en héritage à leur fils. Usagi est un peu étonné qu'elle n'évoque pas le rapatriement de la dépouille de son mari. (2) A kite story - Ce récit se décompose en 4 parties. La première raconte comment un artisan construit un cerf-volant géant pour la fête à venir. La seconde évoque comment un joueur professionnel filoute des gogos, la troisième relate le rôle joué par Usagi dans cette histoire, et la dernière conclut avec l'artisan.

(3) Blood Wings - Lors de ses vagabondages, Miyamoto Musashi découvre un mourant dans une clairière de nuit, alors qu'il n'y a aucune trace de pas alentour. En rendant son dernier soupir, Tsubo prononce le terme d'ailes de sang. Usagi poursuit sa route jusqu'au village avoisinant qui lui demande ce qu'il est advenu de Tsubo et combien d'hommes arrivent avec lui pour les délivrer du harcèlement du clan de ninjas Komori (chauve-souris). (4) Usagi arrive dans un village où il bénéficie de l'accueil du haut magistrat qu'il reconnaît pour être le général Oyaneko, un célèbre samouraï. Celui-ci estime qu'il a failli à Higashi, son précédent seigneur et souffre d'une maladie qui le diminue physiquement. Il évoque la disgrâce de Yagi, un autre samouraï, le garde-corps personnel du seigneur Higashi. (5) Miyamoto Usagi se retrouve face à Yagi qui est devenu un assassin louant ses services et qui se déplace avec son fils Gorogoro qu'il transporte dans un petit chariot.

Une fois encore, le lecteur est impressionné par l'identité de l'auteur de l'introduction (présente dans la VO), Stan Lee, rien moins que le cocréateur de Spider-Man et de beaucoup de personnages Marvel. Il identifie également immédiatement la référence contenu dans le titre VO (Lone Goat an Kid), comme étant une variation humoristique sur le titre du manga Lone Wolf & Cub de Kazuo Koike & Goseki Kojima. Stan Sakai tourne en dérision le terme de loup solitaire, le transformant en bouc solitaire. Néanmoins, le lecteur se souvient que Miyamoto Usagi est lui-même un hommage à au samouraï Miyamoto Musashi, héros du roman en 2 tomes La Pierre et le Sabre & La parfaite lumière, d'Eiki Yoshikawa. Dans les précédents tomes, l'auteur a prouvé à plusieurs reprises sa capacité à s'inspirer du patrimoine féodal historique du Japon pour réaliser des récits personnels.

Avant de découvrir cette version personnelle d'Ittō Ogami et de son fils Daigoro, le lecteur se plonge avec un plaisir anticipé dans les 4 autres histoires. Dans la première, Miyamoto Usagi se retrouve dans un dilemme moral. Il comprend vite que les circonstances de la mort du samouraï Nagao devaient être particulières pour que sa veuve n'en parle pas. Il se retrouve impliqué dans une histoire qui ne le regarde pas, avec l'obligation de respecter son devoir de samouraï. Stan Sakai montre en même temps qu'un autre individu s'embarrasse beaucoup moins de morale, souhaitant récupérer l'épée pour lui-même et la vendre au meilleur prix, indépendamment de sa valeur sentimentale et de son importance symbolique. Comme à son habitude, l'auteur adopte une approche naturaliste pour raconter un drame humain, d'un point de vue humaniste qui n'occulte pas les motivations les moins nobles de l'humanité. Les dessins de Stan Sakai n'ont pas changé de registre : simples pouvant être compris aisément par des enfants, avec une violence édulcorée, sans blessure apparente, sans épanchement de sang, même pendant les combats au sabre. le lecteur admire la facilité déconcertante avec laquelle l'artiste fait naître la rue principale d'un village, comment les dessins montrent l'état d'esprit négatif d'un groupe d'hommes en train de siffler des coups dans une taverne. Les dessins sont simples en apparence, mais certainement pas simplistes. L'auberge et les maisons sont représentées avec une architecture et des méthodes de construction conformes à celles utilisées à l'époque. La véracité des tenues vestimentaires n'est pas à mettre en doute.

Le lecteur termine la première histoire un peu émue, et passe à la seconde sans savoir quelle direction elle va prendre. Il découvre que Stan Sakai évoque l'art de construire un cerf-volant géant, tel qu'il se pratiquait à l'époque. Avec des dessins toujours aussi clairs, il montre les différentes étapes de préparation s'étalant sur une année, avec des cellules de texte qui fournissent les explications complémentaires. Ces explications évitent un goût trop scolaire, car elles exposent à la fois le savoir-faire de cet artisan, mais aussi ses aspirations. La construction de l'histoire s'avère sophistiquée, reposant sur 3 points de vue différents qui constituent une histoire complète. L'artiste épate le lecteur passant d'un registre un peu technique lorsqu'il montre comment l'artisan utilise les ressources de la forêt pour ses matières premières avec des dessins toujours aussi faciles à lire (avec une complémentarité exemplaire entre texte et dessins), à un registre plus d'aventure, comme lorsqu'Usagi s'élance pour s'accrocher au cerf-volant en train de prendre la hauteur. À la fin du récit, le lecteur se rend compte que Stan Sakai a réalisé une nouvelle très fournie en seulement 20 pages, un exploit narratif.

La troisième histoire revient dans un registre plus habituel pour les aventures de Miyamoto Usagi : un complot, des villageois opprimés, et un enjeu à l'échelle de la paix dans la région. le lecteur retrouve les machinations du seigneur Hebi pour le compte de son maître Hijiki. Il découvre que le récit repose sur la rivalité entre deux clans ninjas : le clan Neko (déjà apparu dans les tomes précédents) et le clan Komori. Stan Sakai rend le parti risqué de donner des pouvoirs au ninjas Komori, tellement extraordinaires qu'ils en deviennent surnaturels. Il pousse la logique de son choix en leur donnant l'apparence de chauve-souris, capables de planer, avec des ailes portant des tranchants métalliques effilés. le lecteur peut être rebuté par ce choix narratif qui ne peut pas être rationalisé, ou il peut se souvenir que ce n'est pas la première intrusion d'un élément surnaturel dans la série, que c'est un élément constitutif de la série. Quelle que soit sa position, il est sous le charme de la cohérence de visuelle et narrative de ces chauves-souris anthropomorphes. Stan Sakai transcrit avec sensibilité l'isolement du village au milieu des bois, ainsi que les grottes servant de refuge aux ninjas Komori. Il sait faire apparaître les émotions des personnages malgré leur apparence un peu fruste, ainsi que mettre en scène des situations comiques, comme les échanges entre les 2 gardes pas très sûrs d'eux quant à ces ombres dans le ciel. le lecteur se rend compte que Stan Sakai, en tant qu'artiste et auteur, inclut des individus de tout âge dans le village, de l'enfant au vieillard, sans oublier les femmes. Sa narration est à l'opposé des aventures de guerriers barbares dans lesquels il n'y a que des individus musculeux, des femmes superbes, et des monstres répugnants.

Le lecteur attaque la quatrième histoire et se rend compte qu'elle constitue aussi bien une histoire à part entière, qu'un prologue à la dernière avec Lone Goat and Kid, puisqu'il est question de Yagi. Toujours à l'opposé d'un manichéisme simpliste, Stan Sakai met en scène un chef de fief honnête et intègre, oeuvrant à l'amélioration des conditions de vie des habitants du village dont il a la responsabilité. À l'opposé d'une condamnation sans appel de tous les individus de pouvoir, il montre comment un chef temporel peut servir les citoyens sous sa responsabilité, sans question de corruption, sans une approche de tous pourris dans un système vicié et perverti. Toujours aussi fort, l'auteur n'en oublie pas de raconter une histoire à hauteur d'homme, évoquant le drame de la situation du général Oyaneko, son dilemme quant à la voie qu'il doit suivre. le lecteur se rend compte que dès la troisième page il a oublié qu'il regarde des personnages à base d'animaux anthropomorphes plus ou moins ressemblant, tellement il est absorbé dans le récit. L'essentiel est sur la page, bénéficiant d'une mise en scène virtuose, d'une direction d'acteurs qui fait oublier qu'ils n'ont que 4 doigts et d'une reconstitution historique assez consistante pour que le lecteur puisse s'y projeter.

Le lecteur arrive alors à la confrontation annoncée entre Usagi et Lone Goat, déjà pleinement rassasié par les histoires précédentes. Il apprécie que Stan Sakai retranscrive avec sensibilité le caractère si particulier d'Ittō Ogami et son état d'esprit. Il reconnaît sans peine la mention de la route vers les enfers, Meifumado (voie des démons et des assassins, samouraï dès lors hors-la-loi) et il retrouve les accessoires si particuliers du chariot de Daigoro encore tout jeune enfant. Sakai ne fait pas semblant, et le duel a bien lieu. Il ne sacrifie pas pour autant son intrigue, même si elle suit une trame plus classique que les autres. À nouveau, le lecteur ne peut que constater qu'il prend très au sérieux cette silhouette à tête de bouc dans une robe noire, au regard dur et inflexible. Comme dans le manga Lone Wolf & Cub, il ressent une grande pitié vis-à-vis de Gorogoro du fait de son enfance volée. Loin de se cantonner à tirer profit de la célébrité du manga original, par un plagiat éhonté, Stan Sakai en propose une version à la fois respectueuse, et personnelle, une réussite exceptionnelle.

Une fois encore, Stan Sakai réalise un tome parfait, proposant aux petits et aux grands de faire un bout de chemin mouvementé et extraordinaire, aux côtés d'un rônin aux oreilles de lapin, rencontrant aussi bien un vieux bouc obsédé par la vengeance, qu'une veuve peu éplorée, ou un village uni dans l'adversité, ou encore un chef de village honnête et droit.
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