24 heures et une nuit

À travers le silence, il avait senti la cohésion du groupe, sa solidité, la solidarité au-delà du succès. La musique et la scène étaient leur ciment, leur raison d’être, et ce n’était pas Darkness qui pourrait ternir leur plaisir de jouer ensemble.

D’expérience, Larvik savait que ce genre de regrets n’était d’aucune utilité. Son métier l’obligeait à toujours aller de l’avant en faisant fi de ses sentiments. Il était blindé, rodé, supposé inébranlable. Au cours de sa carrière, il avait vu la mort dans tout ce qu’elle avait de plus laid, de plus injuste et de plus violent. Pour pouvoir continuer d’exercer, il était obligé d’accepter l’inacceptable mais au fur et à mesure des années, les souvenirs emmagasinés revenaient le travailler à la faveur de ses nuits d’insomnie.

Avec patience et ingéniosité, ils avaient orchestré chaque étape de leur plan diabolique. À la faveur de leur délire, ils avaient imaginé la souffrance d’Emma, la traque de Larvik à travers Trash-City, la peur d’Émilie lorsqu’elle se retrouverait devant celle qui l’avait rendue orpheline. Et, cerise sur le gâteau, lorsque Birdy avait refait surface pile au moment où ils avaient choisi de passer à l’action, ils avaient rêvé d’empocher le pactole en plus de célébrer leur triomphe sur l’Alliance…

Elle avait sombré comme une pierre dans un sommeil profond, sans rêve ni solution. D’un geste ferme et efficace, Cyla la retourna d’un bloc. Arrachée à sa léthargie, Emma ouvrit brusquement les yeux sur un visage qu’elle croyait ne plus jamais revoir. Un cri de stupeur remonta le long de sa gorge et Cyla plaqua immédiatement une main sur sa bouche.

Quand on veut quelque chose, lui avait-elle répondu, il faut tout donner pour l’obtenir. Tout donner pour mieux reprendre. Alors, pas de limites, pas de scrupules ni de regrets. Tous les coups sont permis.

Contrairement à Émilie, cette femme-là avait du cran. C’était une lionne, une guerrière. Une fille qui pouvait vous couvrir d’un sourire enjôleur tout en vous plantant un poignard dans le cœur. Raffinée jusqu’au bout des ongles, elle pouvait vous mettre K.-O. d’un seul coup de poing, bien envoyé, bien dosé. Sa force ? Vous prendre par surprise pour mieux vous déquiller. Elle avait l’allure d’une reine, la grâce d’une fée et l’agilité d’une magicienne. À la voir comme ça, qui oserait penser que le diable l’incarnait ?

Ce n’était pas le hasard qui l’avait conduite ici. C’était sans doute son instinct de survie. Elle connaissait bien le quartier. Elle y était venue très souvent, des années auparavant. Fouillant ses poches, elle se rendit compte qu’elle n’avait plus rien sur elle. Ni papiers, ni clés, ni argent. Elle était à la rue. Anonyme. Solitaire.

Dans l’élaboration de leur plan, Cyla et son amant – l’homme qui avait séduit Émilie dans l’unique but de la manipuler – avaient imaginé qu’Émilie et Emma s’entre-tueraient. À la place, les deux jeunes femmes avaient fait alliance pour sauver leurs peaux. L’idée d’Emma était donc la suivante : forcer Darkness à abandonner la partie, faute de quoi, Émilie contacterait immédiatement la police, pour dénoncer Cyla et son compagnon complice.

Fille indigne.
Honteuse et pleine de courage, Birdy avait décidé de reprendre sa vie en main. Son plan d’attaque se déclinait en trois temps : gagner de l’argent pour trouver un logement décent, reprendre sa place sur les bancs de la fac et retourner à l’hôpital pour un bilan de santé.

Véritable caméléon, Cyla maîtrisait l’art de la manipulation. Elle savait se rendre indispensable, essentielle. Elle était discrète, mais toujours présente. Elle était disponible, toujours à l’écoute. Avec son allure et son comportement, avec son expression à la fois sérieuse et impartiale, elle donnait l’impression d’être fiable et solide comme un roc. Elle était suffisamment maligne pour manœuvrer de concert une jeune fille un peu paumée et une chanteuse débordée, dont le passé trouble n’avait probablement aucun secret pour elle.