Je n'ai pas fait d'études de droit ni ne fréquente de personnes travaillant dans les métiers de la Justice. En tant que citoyenne et par curiosité intellectuelle, il m'a semblé que l'ouvrage "
Rendre la justice" serait un outil idéal pour comprendre mieux la Justice en France, ses rouages et ses acteurs. J'ai reçu ce livre édité par Calmann Levy dans le cadre de l'Opération Masse Critique Non fiction de Babelio et il n'a pas déçu mes attentes.
Il est imposant par la taille (plus de 550 pages) mais il est possible de lire ses chapitres dans le désordre car chacun est écrit par un intervenant différent qui propose un témoignage ou une réflexion ciblée sur un thème précis, ce qui donne à la fin une vision multiple, détaillée et nuancée.
Certains chapitres sont techniques, c'est inévitable, mais ils sont pour la plupart éclairants. Dans une société où l'institution judiciaire traverse une crise de confiance pour des raisons souvent justifiées et d'autres fois injustes, il est passionnant de lire les questionnements, les problèmes, les propositions aussi, de professionnels qui sont au coeur de la machine.
Nous découvrons donc la multiplicité des métiers (juges des enfants, avocats généraux, procureurs, membres de différents Conseils), traitant de litiges commerciaux, familiaux autant que de crimes, ainsi que la multiplicité des lieux où ils exercent (capitale, régions, Outremer) et chaque fois des problèmes d'outils et de moyens avec lesquels ils composent. Sans oublier la diversité de leur recrutement et de leur origine qui n'est pas forcément toujours celle d'une élite déconnectée du commun des mortels.
Les questions d'éthique que nombre d'entre eux doivent se poser sont colossales et ils savent faire preuve d'humilité. Comme dans tous les milieux, tout le monde n'a pas l'unique ambition de devenir ministre à la place du ministre. Certains souhaitent d'abord remplir leur rôle avec conscience professionnelle, sauf que dans leur cas l'erreur a plus de gravité que si un cordonnier rate le talon d'une sandale.
Même si on ne peut nier que la lourdeur et la lenteur des procédures engendrent une "violence institutionnelle" envers les victimes, il est intéressant de lire que la vocation des professionnels est de " réparer les équilibres " (p.68), et de faire preuve de sollicitude.
De lire aussi qu'ils ont à coeur de lutter contre leurs propres préjugés et que dans cette quête d'impartialité l'audience est essentielle. Que la justice est donc une "oeuvre collective", qui se construit dans l'écoute des parties et ne sort pas toute faite à la lecture solitaire d'un dossier.
Intéressant de prendre conscience que les drames et les litiges qu'ils doivent reconnaître et juger renvoient souvent à des problèmes sociétaux. Qu'ils se doivent donc aussi d'être à l'écoute des aspirations collectives même s'ils appliquent d'abord la loi.
Je suis loin d'avoir abordé tous les points intéressant de cet ouvrage riche et passionnant mais je souhaite vous avoir donné envie d'aller y voir par vous-même.
Cet ouvrage est le prolongement d'un film documentaire ( que je ne connais pas encore) du même auteur. Il est centré sur le point de vue des juges et des procureurs.
Robert Salis annonce la préparation d'un tome 2 qui donnera la parole aux avocats. Certainement pour que nous puissions nous faire une idée la plus juste possible d'une institution qui traverse une grave crise de légitimité mais ne doit pas être abandonnée ni dénigrée sans que nous cherchions à la perfectionner car elle reste un pilier essentiel de la démocratie.