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Critique de Sileva76


J'ai lu « Lire à Rome » de Catherine Salles dans la collection de poche de chez Payot & Rivages, mais ce livre paraissait pour la première fois aux éditions Les Belles Lettres en 1992. Il est donc déjà ancien.

Catherine Salles est une universitaire spécialisée en littératures latines, même si tout étudiant ayant fait de l'histoire ancienne a nécessairement croisé son nom un moment ou un autre. Ce n'est donc pas une historienne au sens universitaire, mais elle reste une grande vulgarisatrice. Certains de ses livres sont des incontournables pour les étudiants, comme celui sur les Flaviens ou encore sur les bas-fonds de l'Antiquité. Elle vient de faire publier en juin 2019 chez Perrin une biographie de Néron que j'ai hâte de pouvoir commencer. Cette biographie ne semble pas novatrice, mais plutôt un récit agréable faisant le point sur l'état des connaissances.

Comme pour le « Trajan » de Burgeon, je ne vais pas trop entrer dans les détails et je vais rester dans les impressions. La fin de ma lecture remonte déjà à plus d'un mois. Comme je l'ai expliqué précédemment, étant en formation professionnelle, j'ai eu une fin d'année scolaire studieuse et chronophage me laissant fort peu de temps pour la lecture et donc encore moins pour l'écriture dans le blog.

Ce livre de Catherine Salles ne sera pas un coup de coeur. Malgré tout, il reste excellent et je suis loin d'être déçu d'avoir attendu longtemps pour le trouver et le lire.

L'autrice a fait un travail considérable pour cet ouvrage. En annexe, elle propose une liste de tous les auteurs latins connus au Ier siècle après Jésus-Christ, tout en distinguant ceux dont une partie de l'oeuvre est connue (soit par des livres entiers, soit seulement par des extraits). Je ne sais pas dans quelle mesure cette liste est encore actuelle...

L'ouvrage est découpé en trois parties et treize chapitres. J'aime beaucoup la pédagogie de Catherine Salles. Son plan est très bien trouvé, car il va du général au particulier. Ainsi elle part de l'écrivain (1ère partie), car sans écrivain, il n'y a pas de livre (2ème partie) et un livre, pour avoir une postérité doit intéresser un public pour le diffuser (3ème partie).

La première partie est donc consacrée à l'écrivain, avec un premier chapitre introductif sur la culture et la société à Rome au Ier siècle. Ce chapitre est bienvenu, notamment pour un public non spécialiste, auquel ce livre est destiné. Il permet de faire connaissance avec les différents groupes sociaux de la société romaine et le rapport entretenu avec la culture. Ensuite, Salles s'intéresse aux rapports des écrivains avec le pouvoir impérial et avec ses contemporains, notamment en s'interrogeant sur la perception de l'écrivain dans la société romaine du Ier siècle.

Bien sûr, sans écrivain il n'y a pas de livre. C'est donc à l'objet livre que l'autrice consacre sa deuxième partie. Elle fait parfois des parallèles avec la situation de la littérature à l'époque contemporaine. Je ne résiste pas à l'envie de vous mettre un extrait d'une de ces analogies :

« Les conditions actuelles de la littérature nous ont familiarisés avec un certain type de relations entretenues par l'auteur, l'éditeur et le lecteur. le « métier » d'écrivain est indissociable de la notion de « propriété littéraire », permettant à l'auteur un contrôle sur la diffusion de ses oeuvres, et de la présence de «droits d'auteur » destinés à assurer un revenu financier à celui qui les touche. (...) A Rome, la diffusion d'une oeuvre est limitée par l'impossibilité technique de la reproduction en série, problème technique auquel se sont heurtées toutes les civilisations jusqu'à l'invention de l'imprimerie. de plus, les Anciens conçoivent difficilement de tirer un profit financier d'une création de l'esprit. » (SALLES Catherine, « Lire à Rome », partie 2, chapitre V, page 97.)

Dans cette seconde partie, l'autrice aborde la question de la diffusion du livre. La manière la plus répandue et populaire, jusqu'à l'excès parfois, ce sont les lectures publiques. Il existait aussi des cercles littéraires. de façon général, la vie d'un écrivain était fort compliqué. S'il existait des éditeurs-libraires, ils n'avaient pas grand chose à voir avec ce que nous connaissons dans notre société française du XXIe siècle. Par exemple, un auteur avait un grand mal à se faire payer des droits d'auteur. Souvent, il revendait ses droits à un éditeur-libraire qui devenait propriétaire de l'ouvrage cédé. Pour autant, l'auteur conservait aussi ses droits. le problème c'est que l'éditeur pouvait ensuite commercialiser l'ouvrage comme bon lui semble et en garder les bénéfices pour lui. En droit romain, le propriétaire du support devient propriétaire du texte inscrit dessus. Ainsi, lorsque qu'un éditeur-libraire obtient l'autorisation de reproduire un texte, les parchemins qu'il va faire rédiger par ses esclaves seront sa propriété. Dès lors, il n'est pas rare qu'un texte, outre son auteur, est aussi plusieurs propriétaires usufruitiers, c'est-à-dire ayant un droit d'usage et de perception des revenus afférents.

Catherine Salles termine sa partie en évoquant les bibliothèques, publiques comme privées. Ainsi, concernant ces dernières, l'autrice montre que les riches romains étaient souvent plus bibliomanes que lecteurs. Il était de bon ton de posséder de nombreux livres, rares si possible, afin de passer pour un homme de goût. Il est très amusant de constater que cette manie fût aussi celle des intérieurs bourgeois du XIXe siècle. Sans est-ce encore le cas de nos jours, à une époque où la lecture est une activité en baisse chez les cadres et les catégories cultivées de la population française... (cf. Poissenot, « Sociologie de la lecture », Armand Colin, 2019).

La troisième partie évoque le public. C'est sans doute celle que j'ai le moins appréciée. J'y ai trouvé quelques longueurs. Toutefois, l'autrice, après avoir présenté de manière générale le rapport entre le public et la culture, va se pencher sur les goûts du public populaire. Elle s'interrogera aussi l'influence que le public peut exercer sur la littérature, notamment par le biais des modes, mais aussi du conformisme. le style littéraire s'appauvrit au Ier siècle. En effet, les écrivains étant très dépendant d'un mécène, ils se conforment souvent à contrecoeur aux envies du public. Ainsi, en poésie surtout, les sujets sont peu nombreux et souvent les mêmes (comme la Toison d'Or ou la prise de Troie). le dernier chapitre du livre est, à ce titre, passionnant et intéressant.

Pour conclure, je ne peux que recommander sa lecture. Ce livre, certes ancien, n'est sans doute pas trop dépassé concernant plusieurs thèmes abordés. Les livres sur la lecture et l'histoire de la lecture, aussi complet que celui-ci, abordant à la fois l'écrivain, le livre et le public, sont rares. Même si celui-ci est cantonné au Ier siècle de notre ère, il permet de sortir un peu de nos représentations du XXIe siècle et de constater que vivre de son art et parfois de sa passion était loin d'être évident à certaines périodes de l'histoire.

Pour ceux qui aimeraient en apprendre plus sur l'histoire de la lecture, de façon agréable et littéraire, je ne peux que conseiller le livre d'Alberto Manguel, « Une histoire de la lecture » (Actes Sud, 1998 pour la version française). Un livre très original, qui ne néglige aucune période, et qui permet aussi de profiter de la plume et de l'érudition de son auteur.
Lien : http://le-cours-du-temps.ove..
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