Je ne vais pas répéter la quatrième de couverture. Juste ajouter que la construction du roman graphique commence et se termine le 8 août 1956, par l'accident et par les tentatives de sauvetage, début et fin qui enserrent les sept premiers mois de 1956, pour montrer le quotidien de Pietro Bellofiore et de sa famille. Ce personnage de Pietro est vraiment intéressant : Italien d'origine, et bien entouré par toute sa « smala » (femme et fiston, frère, copains du même village en Italie), il se démarque des autres parce qu'il n'a aucune envie de retourner dans son pays natal. « Mon pays c'est celui qui me donne à manger » proclame-t-il. Aussi, plutôt que d'économiser pour rentrer et s'acheter quelque chose au pays, il s'offre une Vespa, pour ne plus pédaler douloureusement avant et après des journées à la mine épuisantes. C'est la Vespa qui lui donne l'occasion de rencontrer Françoise, fille d'un colon belge au Congo. Une rencontre qui répond sans doute au désir inconscient d'intégration de Pietro. Comme l'explique
Sergio Salma à la fin du livre, les difficultés de compréhension entre la Belge et l'immigré italien sont une sorte de métaphore du malentendu entre l'ouvrier italien du fond et le belge en surface, qui a provoqué la catastrophe le 8 août au matin.
Au delà de ce personnage de fiction et de l'aspect romancé (pas lourd du tout), c'est le travail des mineurs de fond qui est montré, leurs conditions de travail, le racisme envers les « Macaronis » dont l'Italie a été contente de se débarrasser contre des tonnes de charbon et que la Belgique a attirés avec des promesses dignes de l'Eldorado pour mener la « bataille du charbon », déclarée priorité nationale après la seconde guerre mondiale. Mais les premiers temps en Belgique n'ont pas été aussi roses que les affiches de propagande qui les recrutaient en Italie, loin s'en faut. Par exemple, les ouvriers italiens ont d'abord été logés dans des baraquements qui avaient servi pour les prisonniers de guerre allemands… (Ceci dit, j'ai vu un reportage à Manoppello, un petit village italien qui a perdu vingt-huit ressortissants dans la catastrophe, et dont les descendants des victimes disent que l'Italie n'a rien fait pour eux à ce moment-là, ce sont les Belges qui se sont bougés pour eux – vous me direz, on leur devait bien ça…). A travers le personnage de Françoise, c'est aussi la Belgique des années 1950 qui est évoquée, le contraste avec les ouvriers, le colonialisme.
J'ai beaucoup aimé le traitement graphique de cette histoire par
Sergio Salma : un dessin en noir et blanc très clair, réaliste évidemment mais aussi très sensible, un découpage judicieux, et surtout de nombreuses pages sans paroles qui montrent la routine, la pénibilité du travail, les heures passées au fond, à 975 ou 1035 mètres sous terre, sans remonter en surface, des jours et des jours où la solidarité entre mineurs n'est pas un vain mot. Un dossier en fin d'ouvrage rappelle les enjeux de la bataille du charbon, l'immigration italienne, les jours et les jours d'attente qui ont suivi la catastrophe avant que les sauveteurs puissent enfin remonter les corps des 262 victimes, dont 139 Italiens. On peut essayer de s'imaginer les galeries où le feu a pu se propager rapidement grâce à la ventilation permanente et se nourrir du bois qui étançonnait les tailles, la fumée toxique, le noir complet dans lequel ont été plongés les mineurs, les tentatives de sauvetage avec des moyens dérisoires face à l'ampleur du drame. Seules 13 personnes ont pu sortir vivantes du brasier, le jour même ou le lendemain. le dernier corps a été remonté au jour en décembre… 1957.
Un sujet social et un ouvrage de mémoire poignant, indispensable.
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