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sur 102 notes
L'auteure a l'occasion de passer la nuit dans le musée Picasso, à l'ombre de cette sculpture qui lui plaît beaucoup. Elle commence par refuser, puis finit par accepter, mais une immense angoisse l'étreint et elle ne songe qu'à fuir, s'échapper à tout prix, comme si un danger la guettait. Cette nuit au musée va lui permettre d'exprimer son ressenti et tout ce que lui inspire l'oeuvre.

La réflexion sur L'Homme qui marche de Giacometti est très intéressante, car Lydie Salvayre creuse dans tous les sens, cherche à approfondir, ce que l'artiste a voulu exprimer.

J'ai aimé aussi la manière dont elle critique les musées qui selon elle enferment les oeuvres, les tiennent en cage, et surtout sa diatribe contre le monde de l'art : l'entre soi d'une certaine élite culturelle, sous la houlette de celui qu'elle appelle « le ministre des distractions » au lieu de ministre de la culture, ce qui en dit long, le pouvoir de l'argent dans l'art.

Elle revient aussi sur son enfance avec son père violent, le « fragnol » que l'on parlait à la maison et la manière dont les enfants issus de l'immigration se sentent à part, vis-à-vis de l'art, de la culture, car ils pensent ne pas maîtriser suffisamment la langue.

Lydie Salvayre évoque aussi les doutes de Giacometti, dont l'estime de soi est vraiment très basse et qui se considère comme un raté, ce qui nous vaut une classification des ratés corrosive, que j'ai beaucoup appréciée.

J'apprécie énormément ce ton corrosif si caractéristique de l'auteure et ses réactions épidermiques, sa colère ne sont pas pour me déplaire, même si elles se retournent souvent contre Bernard son compagnon !

On rencontre au passage des artistes qui ont fait un peu de route avec Giacometti : Beckett, Picasso (qu'il n'aimait guère, trop solaire pour lui si modeste) ainsi que le rôle important de son frère Diego dans sa vie…

Bien-sûr la rencontre qui n'a pas pu se faire au cours de la nuit au musée, va se produire plus tard, les réflexions de Lydie Salvayre s'étant un peu décantées et elle comprendra tout le sens du message de Giacometti, en éclairant sa propre histoire. Mais je vous laisse découvrir tout cela…

J'ai choisi ce livre car la sculpture de Giacometti me fascine, alors que je ne l'ai vue qu'en photographie, par le message qu'elle m'envoie et que l'auteure ne tarde pas à percevoir. Je pourrais en parler pendant des heures… J'espère vous avoir convaincus d'y jeter un oeil (et plus si affinités).

J'ai pris beaucoup de plaisir à lire cet essai et les réflexions de l'auteure me touchent car elle considère que son statut d'enfant d'émigrés pauvres, a tendance à l'exclure du monde de l'art, ce qu'elle a réussi dans la littérature n'est pas encore « mûr » dans la peinture ou la sculpture, comme si elle ne s'en donnait pas le droit, cet art étant monopolisés par les intellos friqués…

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Stock qui ont permis cette lecture.

#MarcherJusquauSoir #NetGalleyFrance
Lien : https://leslivresdeve.wordpr..
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Une lecture aussi tonitruante qu'exaspérante à souhait... car le style de Lydie Salvayre ne fait pas dans la dentelle, railleuse, coléreuse, injuste...
mais avec aussi une foule de réflexions, remises en cause passionnantes
sur les mondes de la culture et de l'art....

Une réflexion que l'on ne peut ignorer : L'Art, ... acte gratuit ou spéculatif selon les uns et les autres... C'est quoi le bon goût en art, c'est ce que les spécialistes nous enseignent ou ce que nous aimons spontanément ?!...

Sa passion pour l'oeuvre de Giacometti, l'Homme qui marche"...
provoque chez l'auteure moult questionnements et émotions... Ce qui entraîne mille digressions sur le monde, la société, la politique, la marche du monde... ainsi que des souvenirs de jeunesse douloureux...
Mais on sent une admiration sans bornes pour l'oeuvre et la personnalité
de Giacometti !!
Des références aux auteurs qu'elle admire [Baudelaire,Rilke, etc. ]


"Je nourrissais depuis longtemps une passion pour -L'Homme qui marche- de Giacometti.L'Homme qui marche, que je n'avais jamais vu que reproduit sur du papier glacé,me semblait constituer l'oeuvre au monde qui disait le plus justement et de la façon la plus poignante ce qu'il en était de notre condition humaine : notre infinie solitude et notre infinie vulnérabilité, mais, en dépit de celles-ci, notre entêtement à persévérer contre toute raison dans le vivre."(p.17)

De très beaux passages sur cette sculpture de Giacometti, "L'Homme qui marche"..., hautement symbolique... Pourtant Lydie Salvayre va longuement hésiter avant de répondre positivement à une proposition insolite : celle de passer une nuit au Musée Picasso, lors d'une exposition mettant en parallèle les oeuvres de Picasso et celles de Giacometti...

Lydie Salvayre se décidera... et cette longue nuit solitaire au musée... provoquera les réactions, émotions, confidences les plus extrêmes ainsi que les réflexions les plus mordantes sur le milieu artistique et ses institutions; tout cela dans un langage virulent... accompagnée de forts nombreuses allitérations... comme dans une volonté de marteler ce qui fait sortir l'auteure de ses gongs, ou souligner des émotions plus violentes , qui l'a propulse dans le passé, entre un père terrifiant, et une mère qui "baraguine" un français mâtiné d'espagnol..., comme elle dit "le fragnol" maternel!!

Une défiance très intense vis à vis de l'Art et de la Culture, elle , la pauvre petite fille d'émigrée, qui ne sent pas à sa place dans certains milieux culturels, qui excluent socialement au lieu de "rassembler"... Il y a du "Annie Ernaux", en plus brusque !!

Une sorte de honte sociale qui poursuit notre écrivaine ....

Lydie Salvayre aimerait l'Art de toutes ses forces si par un poison souterrain, cela ne renvoyait à sa classe sociale modeste d'enfant pauvre bien élevée mais émigrée !!

"Une défiance que j'étendais aussi, collatéralement, aux musées (...) aux musées qui conservent - le mot voulait dire-qui conservent les oeuvres en les retirant de la vie. (p. 58)"

Lecture assez déstabilisante au début, mais qui nous entraîne dans une nuit d'introspection des plus décapantes, entre les douleurs de l'enfance , les interrogations d'une jeune fille, qui n'avait pas accès "naturellement" au monde de la culture, étant fille f'émigrés!!...
La culture, fascination, et plaisir, mais aussi outil redoutable pour une sélection sociale élitiste !!

Lydie Salvayre règle ses comptes avec sa jeunesse d'exilés; les ostracismes vécus par les étrangers, et toutes les excusions sociales... Elle nous livre ses souhaits pour que la culture, l'Art , ne soit pas un élément d'écartement social, de plus:

"Je me prends à rêver d'un peuple, continuai-je, qui logerait ses oeuvres d'art dans les hôpitaux, les gares, les terrains vagues, sur les murs des cités, aux endroits les plus humbles mais où s'élabore une vie en commun, sur les places des villes, les docks, dans les cafés véhéments, les cadres obscurs, les guinguettes, les restaurants, parmi les hommes et pour eux- je soulignai pour eux-, pour tous les hommes-je soulignai tous-, les minuscules et les puissants, les lettrés et les illettrés, tous les hommes sans distinction, au coeur même de leur vie quotidienne et le dessous le ciel qui les couvre. (p. 73)

Dernières pages tout à fait exaltantes sur l'impuissance à la fois , de l'Art et son absolue nécessité !

Un très vif moment de lecture.... où on se fait passablement bousculer....mais il y a tant de vrai dans les constations de Lydie Salvayre qu'il est malaisé de lui en vouloir...

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L'impression que c'est le livre le plus personnel de Lydie Salvayre. Sa verve et ses colères y sont encore bien présentes. La narratrice va s'enfermer dans un musée face aux sculptures du suisse Giacometti. Mais surtout elle va se remémorer son enfance avec un père violent. Des réflexions très fortes sur l'art, la tv, les écrivains, la maladie et le monde actuel d'une grande liberté. Un bon cru 2019.
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Je vous invite à passer une nuit au musée en compagnie de Lydie Salvayre, ou plutôt c'est elle qui nous invite à ce surprenant voyage dans son dernier livre, Marcher jusqu'au soir, que j'ai beaucoup aimé.
Ce récit peut à la fois envoûter ou bien agacer, peut-être aussi les deux à la fois. Il est possible de rester au bord du texte, à sa surface, ne jamais parvenir à franchir le premier degré d'un labyrinthe qui plonge dans les dédales intérieurs d'une vie intime.
C'est une colère saine, inspirante, peut-être exutoire pour l'auteure... Consolatrice certainement...
Les mots sont violents, acides, ils décapent. C'est une plume trempée au vitriol et je comprends qu'elle puisse surprendre, agacer même, décourager certains lecteurs.
Lydie Salvayre nous raconte dans ce livre autobiographique l'expérience qu'elle a vécue, une sorte de jeu, de défi qui lui a été proposé par une amie, passer une nuit enfermée au Musée Picasso, avec comme seul compagnon la statue L'homme qui marche d'Alberto Giacometti.
Moi-même je me suis senti désarçonné par les premières pages de ce livre. Je ne savais pas trop bien où cette écrivaine m'amenait. La patience est salutaire. J'ai senti brusquement comme une main tendue qui me prenait la mienne, comme une respiration, comme des gestes à tâtons, comme une lampe tendue dans l'obscurité, non pas pour visiter un musée de nuit, mais descendre dans les profondeurs abyssales d'une vie intérieure.
Je connais encore très peu cette auteure, je la découvre dans cette deuxième rencontre et je ne saurai dire quelle part de sa vie intérieure elle jette dans les pages de ces livres. Ici visiblement, c'est un texte très personnel. Oui, elle règle des comptes avec l'Art, avec la Culture, le snobisme, l'argent, tous ces faux semblants, et c'est jubilatoire. Oui elle est de mauvaise foi sans nulle doute et c'est tout aussi jubilatoire...
C'est brusquement une petite fille qui nous parle, celle qu'elle fut, enfant d'une famille populaire d'immigrés espagnols, dominée par la figure écrasante d'un père redoutable. Elle se souvient qu'elle fut cette petite fille qui grandit, tiraillée entre l'amour et la honte.
Devant cette statue courbée vers elle, elle voudrait être touchée par la grâce de l'art, mais aucune émotion ne parvient à l'étreindre celle nuit-là... C'est une autre grâce qui la touche, celle de l'introspection, celle de pouvoir se pencher sur sa vie, ses vies intérieures, parler de ses origines sociales, d'un père qui la terrorisait, dire la peur du noir, savoir remonter le cours des choses, décrypter ses émotions, avouer qu'elle n'a peut-être jamais vraiment su trouver sa place dans les milieux culturels qu'elle est amenée à fréquenter depuis qu'elle est écrivaine, dire cette honte, dire cela avec humilité, et puis évoquer aussi sa maladie.
Il est des vies qui peuvent être façonnées par ce qu'elles ont éprouvé durant leur enfance, marquées à jamais, façonnées comme une statue de bronze filiforme condamnée à marcher, courbée sur son chemin, son ombre, ses pas.
Plus tard, ce voyage au musée est comme une eau qui se décante. En s'y penchant elle voit un visage, une silhouette qui remonte à la surface, c'est celle d'Alberto Giacometti. Elle se reconnaît alors brusquement comme dans un miroir. Elle est allée à la rencontre de cet artiste, a voulu savoir ce qu'avait été son existence et les circonstances qui avaient donné naissance à l'une de ses oeuvres les plus célèbres.
Peut-être Lydie Salvayre est-elle à son tour cette femme qui marche, nue, penchée vers les pages, celles des histoires qu'elle écrit depuis si longtemps... ? Les autres pages à écrire ? Avancer, toujours avancer, jouir, comme si les mots, l'art, un crayon, un morceau de bronze, un fusain, une partition musicale, pouvaient à eux seuls tenir à distance la barbarie et la mort.
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Elle est surprenante Lydie Salvayre.
Et toujours dans le bon sens.
On ne sait jamais à quoi s'attendre en ouvrant un de ses livres.
Ici, la narratrice se voit proposer de passer une nuit seule dans un musée.
Musée où se trouve « L'homme qui marche », oeuvre de Giacometti qu'elle affectionne particulièrement.
Après hésitation, elle accepte.
Mais cette nuit ne sera pas du tout ce qu'elle escomptait.
Rien, aucune émotion devant toutes ces oeuvres.
Mais des tas de remises en questions, sur l'art, sur sa vie, sur la vie, sur la mort.....
Cette nuit au musée ne lui inspire que du vide, vide dans lequel elle laisse exploser ses colères.
Contre son père, contre la modestie de son enfance, contre les bobos, contre les intellos, contre les marchands d'art.... 
Elle n'est envahie que de pensées sombres.
Elle se sent « coeur et cerveau sec ».
Les musées séparent l'art de la vie..
Les oeuvres exposées sont sorties de leur contexte.
« Les oeuvres d'art s'accommodent mal des cages ».
J'ai aimé ce ressenti qui est le mien dans les musées où je n'arrive que rarement à ressentir une émotion, tout m'y semble figé.
Ce livre est aussi un hommage à Giacometti dont elle fait une mini biographie.
Lydie Salvayre s'éclate avec le style qu'elle alambique, qu'elle enrichit de termes choisis, qu'elle pare de subjonctifs.
Revanche d'une « modeste » qui s'éclate dans l'écriture.
Belle revanche qui ravit le lecteur.
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Rester enfermé dans un musée le temps d'une nuit… Un musée qui expose, de plus, une des oeuvres d'art que vous appréciez depuis des années ; vous laisseriez vous tenter ?
Lydie Salvayre a reçu une telle proposition, avec, en contrepartie, un compte rendu à rédiger car destiné à être publié. le musée ? Celui de Picasso à Paris. L'oeuvre ? « L'homme qui marche » de Giacometti. Longtemps, elle a refusé, et puis, peu à peu, l'idée a germé dans son esprit, et la curiosité liée à cette expérience inédite l'a poussée à accepter cette mission.
Lydie Salvayre va donc passer la nuit sur un lit de camp, au pied de cette statue représentant un homme extrêmement mince, presque léger, aérien, en train de marcher, les pieds, eux, bien ancrés dans le sol.
Que faire durant cette nuit ? Qu'écrire ? L'oeuvre a déjà été scrutée, analysée, explicitée dans tous les sens. Alors la romancière va laisser s'exprimer sa plume : sa vision de l'Art, sa vision de la société actuelle ; surtout celui du microcosme artistique parisien, et puis par le biais d'une phrase qui a été prononcée lors d'un dîner chez un célèbre réalisateur à son encontre et qui la blesse encore aujourd'hui, « elle a l'air bien modeste », Lydie Salvayre va remonter aux racines de sa « modestie ». Fille d'immigrés espagnols, elle porte sur la vie culturelle et artistique un regard bien différent de celui de l'intelligentsia française. La valeur des objets, des personnes, mais aussi des sentiments vont alors être évoqués. Voilà qu'apparaît au détour d'une phrase un père bien traumatisant. Et puis, c'est la maladie qui est évoquée, avec son corollaire, la possible imminence de la mort.

Au final, c'est un récit très intime, bien loin d'une éventuelle fiction rédigée à partir d'une oeuvre d'art qu'aura rédigé notre romancière « Goncourisée » il y a peu, avec sa verve et son art du Verbe dans sa splendeur.
« L'art ne valait rien sans doute mais rien ne valait l'art », conclue l'auteure, pour s'épancher, pourrait-on ajouter.
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Ça commence par "Non, je lui ai dit non merci, je n'aime pas les musées..."et par une citation de Baudelaire dans Fusées, "Qu'est-ce que l'art ? Prostitution."
Taper fort la glaise, elle ne se laisse pas faire aisément, faut l'apprivoiser, lui enlever l'eau qui la gonfle et la fait exploser, la rendre docile, malléable, la sentir dans les mains modelable, jamais soumise, un corps à corps honnête long patient et passionné, avec violence et tendresse, arrachement et caresse, la creuser, enlever des morceaux de sa chair, en rajouter d'autres, remodeler, des jours entiers, des mois, de longues années.
Passer une nuit dans un musée, marcher en long et en large comme un lion dans une cage et verser sa colère. Lydie Salvayre est en colère. Colère noire, volcan en éruption, lave incandescente. Gare à vous qui êtes dans le coin.
En colère contre les cages des musées qui gardent l'art et l'étouffent, lui enlèvent la force la fièvre et l'ardeur, colère contre le faux qui se prend pour du vrai, contre l'argent qui veut acheter la beauté, contre les cons méprisants, donneurs de leçons et auto satisfaits, contre la société du gagne et du gagnant et du spectacle aux éclats bruyants confus et mal odorants.
Le ton est vitupératif, la réflexion est corrosive, les deux dénoncent, désapprouvent, sanctionnent, blâment et critiquent, en répétitions qui fouettent, des parenthèses qui précisent au cas où on l'a pas encore compris, des retours à la ligne qui martèlent cassent et cognent, la colère porte, mord, donne de l'élan, fait du bien, un bien fou ! Colère contre ce qu'on nous dit qu'il faut admirer, contre le conditionnement dans lequel nous sommes, plaire oui, mais pas courbés, pas à genoux devant la culture dominante, pas pour (se) vendre. Elle ne prend pas de gants, Lydie Salvayre, elle secoue, jette ses mots au visage, et puis, d'une caresse, d'une phrase douce comme du miel elle nous apaise et nous réconforte, car derrière la colère il y a une invitation à faire de l'art une expérience et pas une soumission à un conformisme et à un moment, mais à être libre.
Musée Picasso lors de l'exposition Picasso - Giacometti, la nuit. Solitude absolue dans un lieu qui n'est pas fait pour ça.
Ayant au début refusé cette expérience, Lydie Salvayre l'accepte finalement, tout en gardant les raisons de son refus d'avant.
J'aime sa colère qu'elle écrit et crie pour s'en défaire, elle me la transmet ; ma colère accueille la sienne, ainsi que son regard et son émotion forte et renouvelée devant L'Homme qui marche, nous sommes à l'unisson, Lydie, Giacometti l'Homme qui marche, et moi.
La frustration de Lydie Salvayre m'accompagne tout le long du livre et je me laisse enfermer avec elle, avec joie.
Si les livres "doivent mordre", selon Kafka que vous citez, eh bien le vôtre le fait à plein dents.
Un livre sur la création, et le temps immense qu'elle demande pour pouvoir s'exprimer, et l'honnêteté qui doit l'accompagner, contre les faux semblants, un livre qui défend l'échec dans une société où on se complaît dans la réussite, la performance, la rentabilité, l'argent.
Seule dans le musée, devant les oeuvres, Lydie Salvayre se sent démunie, sans défense , voit tout son passé resurgir, affluer, l'envahir, son père et sa domination cruelle.
Giacometti avait besoin de temps pour chercher la force du vivant, le mystère d'une vie, les blessures d'un visages, l'invisible, l'insaisissable, et pour dépasser un échec, et ensuite un deuxième, et puis encore un, sa création échouait à chaque instant, se nourrissait de chaque échec et avançait à petits pas, elle avançait sans jamais trouver, toujours chercher, il aimait ça.
Lydie Salvayre a eu besoin du temps pour passer en écriture des événements de sa vie, difficiles à digérer, trop lourds pour les garder. Elle (se) questionne, tâtonne, avance, recule, cherche les mots, le style, la graphie, le sens.
Un homme qui marche, une femme qui marche, pas toujours droit, mais ils avancent, désarmés de la fausse culture, sans masques, sans pensées postiches, sans les ressentis qu'on ne ressent pas. L'Homme qui marche, l'humain fragile et vulnérable, il connaît sa finitude, il avance, continue, reste debout, s'entête à vivre.
Devant l'Homme qui marche, une expérience intérieure forte, le corps est saisi, le corps physique et le corps culturel, un livre naît, Marcher jusqu'au soir, et un sens. Ecrire, n'est pas seulement une autorisation que Lydie Salvayre se donne, mais aussi une responsabilité et elle s'y engage.
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Une lecture très intéressant sur le sujet de l'art, où l'auteure aborde plusieurs réflexions.
On y apprend aussi sur Giocometti et l'homme qui marche, pour ma part j'affectionne l'art et je suis toujours enchantée de découvrir ou d'approfondir la connaissance sur tel ou tel artiste, ou une oeuvre, un tableau, une sculpture. Ce livre m'a permis donc de cheminer ici et là.
L'auteure ne se contente pas d'aborder et d'explorer le sujet sur l'art mais sur elle-même, ses origines, sa maladie, façon aussi d'aborder sur la fin du livre le sujet de la vie et de la mort.
Un livre donc fort intéressant mais qui ne se lit pas si facilement que cela, même si on aime l'art. Pour autant, L'homme qui marche, m'attend et c'est avec plaisir que je le rencontrerai.

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Se laisser enfermer dans un musée toute une nuit, avec un lit de camp, cela vous inspire-t-il ? Alina Gurdiel a proposé à des écrivains de tenter l'expérience et de la raconter. On ne peut pas dire que Lydie Salvayre, désireuse de mieux se confronter à "L'homme qui marche" et aux oeuvres de Giacometti, ait vécu une grande révélation artistique, loin s'en faut, et c'est même plutôt soulagée qu'elle quitta au matin le musée Picasso. À en juger par les deux cent dix pages de "Marcher jusqu'au soir", elle n'a pas perdu son temps, car durant le cours versatile de ses doutes et contrariétés, le lecteur a le loisir d'explorer son propre rapport au musée et à l'art.

"... la force de L'Homme qui marche excédait-elle les capacités de mon âme et ses très exiguës dimensions ?"

Qu'il partage ou pas les griefs et sentiments de l'écrivaine, le lecteur – les musées, ce n'est pas si mal, malgré leurs contraintes, les abus de la marchandisation de l'art, le côté entre-soi élitiste que peut percevoir négativement, à tort ou à raison, le socialement défavorisé – le lecteur disais-je, saluera la phrase à la fois familière (s'il faut dire merde, c'est merde) et distinguée (rhétorique habile et musicale, d'apparence si aisée). Elle nous livre quelques très belles pages sur Giacometti, les plus profondes du livre à mon sens, où l'artiste persiste dans la tentation de réussir l'impossible perfection, "le seul pari qui vaille". Dans cette métaphysique de l'impossible, Salvayre joint des écrivain(e)s, telle Virginia Woolf, sa "très affectionnée", toujours insatisfaite de l'oeuvre à cause de "l'impossible adéquation avec le rêve qui l'avait enfantée".

L'isolement au musée est propice aux introspections et la sincérité porte Lydie Salvayre à la révélation de ses fragilités.
Après un dîner mondain où elle se montra peu loquace, alors auteure déjà connue depuis le Goncourt, elle apprit qu'une actrice prétentieuse avait dit à son propos «elle a l'air bien modeste» : ces mots venaient "objectiver une différence de catégorie comme aurait dit ma mère, une différence de caste [...] dont je découvrais qu'elle était inscrite à tout jamais sur ma gueule et dans mes façons d'être en dépit des bonnes manières que j'avais laborieusement (et sans doute mal) acquises".
Dans la même veine, quelques lignes sur ses difficultés à s'exprimer en télévision :"Je fus prise d'une grande colère contre un système qui ne promouvait que ceux qui avaient appris dès le berceau à formuler de jolies phrases car ils avaient des papas-mamans rompus à l'art de papoter, [...]". Colère d'une "enfant de broques", honte d'un milieu populaire d'immigrés espagnols.

Après cette expérience nocturne, elle retourne au Musée Picasso et en revient réjouie des oeuvres de l'Espagnol et du public qui s'en délecte et s'en amuse. Viennent alors des mots positifs sur ce que peut l'art, une note gaie pour point final, qui sent un peu le travail sur commande.

On retrouve la vivacité familière de Lydie Salvayre dans ces pages subjectives. Personnellement, je regrette un peu l'originalité de la romancière qui m'avait emporté dans "La puissance des mouches".

Lien : https://christianwery.blogsp..
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Quelle belle invitation!
Une réflexion sur l art, une rencontre avec cet artiste talentueux et modeste, Giocometti, mais également une approche sur les souvenirs d' enfance de l'auteure.
Entre essai et autobiographie, ce livre est inclassable, il m'a permis d'énormément m'interroger, de me positionner sur ce vaste sujet qu'est l'art.
J'ai souvent rêver de me retrouver seule dans un musée, de pouvoir profiter des oeuvres, sans bruit, sans commentaire, sans sonnerie de téléphone. Seule avec les oeuvres et l'invisible présence des artistes.
C'est pourquoi, cette initiative d'Alina Gurdiel m'a énormément séduite.
Merci à Lydie Salvayre de l'avoir finalement acceptée et ainsi d'avoir pu nous offrir ce livre.
Cette rencontre entre une oeuvre (l'Homme qui marche), l'artiste qui l'a réalisée et l'auteure, est d'une grande richesse.
Une rencontre qui découle sur une réelle introspection, sur maintes réflexions et c'est pourquoi je vous incite à lire ce livre.
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