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sur 1560 notes
Un livre émouvant et parfois drôle malgré la tragédie qu'il traverse. La voix de Montsé, mère de Lydie Salvayre et celle de Bernanos s'entrelacent pour faire partager ce que fut la douleur et l'horreur de ces années 1936 et 1937 durant la guerre civile espagnole.
Lydie Salvayre se met au service de sa mère en lui permettant de libérer ce qu'elle a enfoui depuis son mariage, de retrouver une parole libre, de revivre la beauté, la poésie, l'élan impétueux de vie qu'elle a éprouvé durant quelques jours à Lerida quand elle suit son frère Josep qui embrasse avec fougue les idées libertaires. Court moment suivi des exactions des forces de mort qui briseront les rêves et ramèneront à l'immobilisme antérieur que beaucoup préfèrent.
En retranscrivant le « fragnol » (mélange de français et d'espagnol) que parle sa mère, Lydie Salvayre irrigue ce livre d'un surplus de vie et d'une jubilation qui permet de contrer la mort qui domine ces années où l'on voit les déchirements au sein d'une même famille, les haines, les soupçons au sein du village où vit Montsé microcosme de ce qui se passe à l'échelle du pays.

p 82 « Depuis que ma mère souffre de troubles mnésiques, elle éprouve un réel plaisir à prononcer les mots grossiers qu'elle s'est abstenue de formuler pendant plus de soixante-dix ans, manifestation fréquente chez ce type de patients, a expliqué son médecin, notamment chez des personnes qui reçurent dans leur jeunesse une éducation des plus strictes et pour lesquelles la maladie a permis d'ouvrir les portes blindées de la censure.
(…) Elle qui s'était tant évertuée, depuis son arrivée en France, à corriger son accent espagnol, à parler un langage châtié et à soigner sa mise (….) elle envoie valser dans ses vieux jours les petites conventions, langagières et autres.

Oui, elle les envoie valser comme elle l'a fait en Juillet 1936. Ce moment qu'elle a occulté toute sa vie, sans doute pour « pas pleurer » est le seul dont elle se souvient dans sa vieillesse.

Je ne peux résister à l'envie de citer ce que Marie-Hélène Lafon a dit à Lydie Salvayre lors de leur passage à La grande librairie le 30 octobre :
« « La langue de votre livre et la mienne sont travaillées, ensemencée, travaillées au corps par une autre langue, il y a des résurgences, la langue que je tente d'écrire est travaillée en-dessous par des expressions entendues qui fomentent des coups d'état sous la peau de la langue. Et cette langue-là (le fragnol) fait douceur et joie entre la mère et la fille. » Quel bel hommage !!

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Je suis fan de la guerre d'Espagne !
Ca y est, elle est folle, allez-vous penser. Ou bien soit c'est une facho, soit c'est une communiste invétérée.
Bon, on se calme.

Je reprends :
J'adore la période de la guerre civile espagnole, de 1936 à 1939. Oui.
En fait, les Espagnols de cette période m'émeuvent, du moins ceux qui ont été victimes de la folie franquiste. Ces yeux ardents, ces bouches désenchantées, ces dos ployés, ces corps vifs, ces voix rauques ou tues...tout me tourne vers ces hommes et ces femmes dressés malgré tout, malgré le malheur, malgré l'horreur.
Les champs brûlés par le soleil aux oliviers tordus, les immenses haciendas où règnent quelques riches pétris de rigidité, les pueblos aux rues étroites et aux maisons blanches, ces paysages me happent. Mais aussi ces villes aux milliers d'ouvriers gris et plombés par la faim.
L'enthousiasme fou du début de la guerre, la ferveur, puis la déception, suivie de l'atroce désillusion, et enfin, la peur. Unique, froide, tranchante. Les divisions entre amis, dans les familles, dans la politique. Les doutes et les traitrises. Et la Mort. Partout.

Lydia Salvayre a soulevé en moi une vague d'émotions, du sourire à l'horreur.
Le sourire, oui ! Car elle met en scène la parole de sa maman, Montse, témoin privilégié de la guerre civile. Sa maman qui avait 15 ans en 1936, et qui a vécu avec son frère José un moment de grand bonheur. Parce qu'il rêvait, José, oui, il rêvait, le pauvre. Il osait imaginer une vie nouvelle, où tous partageraient leurs biens, mais où le communisme stalinien n'aurait pas sa place. le bonheur, oui, mais pas dirigé, pas réglementé à la façon de Diego, le fils adoptif de la riche famille Burgos qui se veut d'une gauche organisée en se révoltant contre sa famille. L'excuse de José ? Il était jeune et ardent. Montse y a cru et a même eu un enfant d'un jeune homme semblable à son frère.
Mais les rêves sont faits pour être déçus, du moins lors de la guerra civil española, et le retour au village s'est fait bien amer. Montse va apprendre à composer, malgré tout, envers et contre tout, avec au coeur le souvenir éclatant de ce mois de juillet où l'Espoir l'embrasait.

Car Franco arrive, lentement, sûrement, inexorablement. Franco secondé par Mussolini, par Hitler (Ah...Guernica bombardée par la légion Condor!)...et par l'Eglise catholique, la Sainte Eglise Catholique, la « Putain des militaires épurateurs », qui semble avoir oublié le 5e commandement, qui bénit la tuerie, qui absout la torture perpétrée par les fascistes. Bernanos, dans « Les grands cimetières sous la lune », n'en peut plus de cette absolution au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Lydie le lit, Bernanos, elle le cite, elle le comprend.

La juxtaposition des voix, celle de Montse qui ne vit plus que dans le souvenir éclatant de juillet 36, inégalable et savoureuse, mêlant l'espagnol et le mauvais français, et celle de Bernanos pleine de dégoût et de stupéfaction, cette juxtaposition est reliée par les interventions compréhensives et tendres de l'auteure.

Ce n'est pas peu dire que j'ai adoré ce livre ! Mêlant souffle héroïque et intimité, euphorie et désespoir, courage et abnégation, il mérite amplement son prix Goncourt. Il offre une langue qui épouse la pensée de chacun, une langue vraie, naturelle, spontanée, qui fait frissonner et languir, qui exalte, qui fait aimer l'Espagne, son passé et son présent, sa terre, ses gens.

¡Ay! ¡Dios mío! ¡Qué me gusta este país!
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L'hommage maternel : de nombreux écrivains se livrent à cet exercice à la fois intime, parfois impudique mais le plus souvent émouvant pour le lecteur, quelque soit le cadre de cette relation complexe entre mère et fils ou mère et fille. Lydie Salvayre ajoute à la liste ce récit d'une période particulière de l'histoire de Montse, adolescente isolée d'une Espagne rurale et engoncée dans les carcans de la tradition, alors que la guerre civile éclate. Les chemins de la liberté que dévoilent la révolution sont pavés de cadavres et le revers de la médaille est bien sombre. Les familles se déchirent, tandis que les alliances changent la donne. Il est peu probable que Montse ait eu conscience alors des enjeux de la bataille. Les confidences que reçoit l'auteur alors que l'âge et la maladie ont altéré sa façon d'être au monde, mais pas sa mémoire ancienne , sont la trame du récit. En miroir de l'inconscience de cette jeunesse prête à en découdre quels que soient les sacrifices nécessaires, un texte de Bernanos, l'écrivain catholique, révolté, indigné par l'attitude des responsables religieux qui encouragent et bénissent les massacres aveugles, sur de simples suspicions de manquement à la foi, prétexte pour une dictature ignoble.

L'admiration a succédé à la honte, honte de cette mère qui parlait le fragnol, une sorte de novlangue métisse, constellée de néologisme que les hispanisants sauront décrypter, admiration lorsque l'auteur prend conscience de la richesse et de la force dramatique de cette période historique qu'a vécu sa mère.

C'est un très bel hommage rendu, un magnifique témoignage d'amour filial.

Une seule réserve, personnelle, qui pourra s'étendre à tous ceux pour qui l'espagnol est une langue hermétique : autant les néologisme peuvent être évocateurs de mots qu'il n'est pas utile de connaître , autant les phrases entières et non traduites peuvent donner l'impression de passer à côté de quelque chose.

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Pas pleurer est une rencontre marquante et nécessaire entre l'auteure, Lydie Salvayre, et sa maman surnommée Montse, nonagénaire souffrant de sérieux troubles de la mémoire.

Pas pleurer, l'injonction que l'on s'impose lorsque, témoin d'un récit brûlant d'émotion racontée par une personne aimée, malade et âgée, on espère en retenir le moindre détail, avant qu'il ne soit trop tard ! On espère retenir ses larmes pour ne pas alourdir l'atmosphère, pour ne pas troubler l'attention. On espère avoir trouvé une idée de conversation idéale pour rallumer la flamme et susciter l'intérêt.

Montse se souvient avec une précision d'horloger de cet été 1936. Juste cet été 36. Nous sommes en Espagne au moment de l'insurrection républicaine face au fascisme de Franco. Montse a quinze ans. Les joies et les malheurs se mêlent étrangement pour en faire l'année la plus intense de sa vie. L'aventure incroyable de son existence ! Une aventure inespérée.

La lutte sanglante entre communistes, anarchistes, socialistes, républicains modérés et les forces militaires à la solde de la dictature franquiste soutenue par l'église , Montse qualifiée de « Mauvaise pauvre » a tout gommé de sa mémoire. Elle n'a gardé en tête que « les jours enchantés de l'insurrection libertaire » qui servit de préambule à cette guerre.

Et c'est sur un ton enjoué qu'elle reconstruit sa vie, son frère bien aimé Josep l'anarchiste, Diego « le bâtard » communiste, ses parents, son mariage, sa vie, ses enfants, ses actions et ses actes manqués.
Ses phrases sont musicales. L'actrice d'un été sort soudain de l'ombre et s'applique à donner sa version des faits avec une légèreté confondante. Sa mémoire n'a retenu que ce qui pouvait l'enthousiasmer, la porter, lui faire un dernier plaisir, évacuant tout le reste d'un coup de baguette magique.

Une voix lui fait écho. Celle de Lydie Salvayre sa fille. Une voix grondant les mots pour raconter les conditions de vie de milliers de gens qui voulaient juste améliorer leur situation sans perdre le peu qu'ils avaient. Une voix criant les familles déchirées. Une voix calée dans l'Histoire. Une voix violente et radicale sans concession comme le fût cette guerre civile espagnole. Une voix miroir qui dénonce l'Italie de Mussolini, l'Allemagne d'Hitler une sorte de ménage à trois avec l'Espagne de Franco. Une voix injurieuse, ravageuse, insultante.


Et comme si elle voulait marteler son amertume, pour qu'elle devienne indélébile, l'auteure saupoudre son récit de passages écrits par Georges Bernanos dans « Les grands cimetières sous la lune ». Georges Bernanos d'abord sympathisant du mouvement franquiste, fervent catholique, devient le témoin horrifié du massacre des innocents de Palma de Majorque. Il dénonce « L'infâme connivence de l'église espagnole et des militaires épurant systématiquement les suspects ».Tout l'incitait à soutenir les nationaux. Il était pour, il devient contre. Il est choqué, anéanti, révolté par la barbarie. Une voix sobre, libre, courageuse, dotée d'un vocabulaire riche, précis. Un témoignage accablant écrit avec de belles lettres.

J'ai aimé lire ce récit, ce prix Goncourt. L'idée de voix se faisant écho est intéressante et donne en même temps de la profondeur et du relief à cette histoire au rythme fou, à la musique savamment orchestrée. le changement de personnages, changement de profil, changement de parcours à intervalle régulier offre une sonorité particulière, un peu comme un refrain. Il y a des passages sublimes, où le diable en personne a infusé ce qu'il faut de miel pour donner l'illusion d'une jolie histoire, explosive et jolie, jamais triste. Oserais-je comparer certains passages à un morceau de rap ?
Je parle de refrain. Quant au caractère mélodieux il est un peu gommé (à mon avis) à de multiples reprises par les multiples injures, mots orduriers et blasphèmes en français, en espagnol qui égrainent les propos de l'auteure. Est-il nécessaire d'aller jusque-là ? S'agit-il d'une plus-value ? rien n'est moins sûr même si Lydie Salvayre affirme dans une interview que la langue espagnole accepte le mauvais goût. Non, Je ne suis pas sure !

Montsé parle un français approximatif que sa fille nomme le « Frangnol ». (griter pour crier. Riquesses pour richesse, maraveilleuses etc) je trouve le trait un peu forcé pour une femme qui vit en France depuis 1939. Ce n'est pas crédible mais je reconnais que cela ajoute au rythme et à la légèreté de certains passages. Pauvre Montse ! elle est affublée tout de même…

Enfin la répétition à l'envi des adverbes qui est visiblement une figure de style de l'auteure aurait été plus harmonieuse (toujours selon moi) si elle avait été moins fréquente. le trop est l'ennemi du bien.
Je pinaille, je pinaille. Pas pleurer. Un très beau roman. Emouvant, original, éloquent, turbulent ;
Allons donc ! J'ai beaucoup aimé ce livre. Et si vous ne l'avez pas encore fait. Précipitez-vous, vraiment !
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Lydie Salvayre nous raconte une belle histoire, celle de sa mère qui a vu sa vie changer durant l'été 36. Elle reproduit de façon efficace et passionnante les camps rivaux de l'époque, les anarchistes, rouges noirs, les rouges staliniens qui rêve de reproduire le modèle soviétique, les deux se détestant, n'hésitant pas à tuer des prêtres et remettant en cause le catholicisme hyper-présent.
En face, on voit la montée en puissance de la réaction fasciste aux ordres de Franco, qui massacre tous les prétendus communistes. Ils font régner la terreur en débarquant chez les gens dans la nuit emmenant tous ceux qu'ils suspectent et les abattant ensuite comme des chiens.
Bernanos est arrivé à Majorque pour décrire les exactions des communistes mais ce qu'il voit, arrestations en masse, exécutions à tout va, le révolte. Lui, le catholique fervent, il hésite et décide finalement de raconter toutes les exactions, ce qu'il va consigner dans « les grands cimetières sous la lune » s'attirant ainsi l'opprobre des bien pensants.
Au village, on assiste à une reproduction à l'échelle microscopique, de la haine, la suspicion, la paranoïa et des crimes de chaque famille, avec les conflits et les jalousies de l'enfance qui s'exacerbent et s'enflamment selon les partis pris de chacun.
D'un côté la violence et de l'autre l'amour de Montsé pour celui que ses filles ont surnommé dans leur enfance André Malraux et qui se verra obligée d'épouser le fils adoptif du propriétaire, Diego, ennemi juré de Josep le beau gosse attisant encore la colère de celui-ci.
Les personnalités se révèlent au fur et à mesure de ce récit, où l'auteure fait parler sa mère dans une langue qu'elle appelle le Fragnol, mélange de Français et d'Espagnol, car Montsé, du fait de sa maladie a tout oublié de sa vie sauf deux années, et elle ne maîtrise plus le langage, quand un mot ne vient pas elle francise le mot espagnol, mélange les grammaires, ce qui donne des tournures drôles, des néologismes qui atténuent la violence des évènements. Et cette langue est très belle, agrémentée de gros mots, ou de mots crus pour dire tout ce qui a été autocensuré par l'éducation.
Les belles théories toujours nous enflamment pour être dévoyées, et conduire à la désillusion dès que la lucidité fait prendre conscience de l'ivresse des mots, des phrases apprises sous l'effet de l'endoctrinement. C'est le premier roman de Lydie Salvayre que je lis. Certes, « la compagnie des spectres » est dans ma PAL depuis longtemps, mais je n'étais pas trop tentée, et j'avoue que « Pas pleurer » m'a donné envie de mieux connaître cette auteure.
Un bémol, quand même, je regrette que l'auteure n'ait pas traduit les phrases en espagnol, on se sent un peu frustré. Pour le Fragnol, je n'ai pas eu de problème grâce aux souvenirs de latin et aussi au « Franpor » ou le « Profran » (c'est moins joli que Fragnol !!) quand mon mari francise parfois un mot portugais, ne trouvant pas le mot français exact, suffisamment précis.

Note : 8,2


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Voilà la très bonne surprise .
Quand certains disent que le Goncourt ne sers à rien ils on tort .
Cet opus est une magnifique leçon d'histoire , au coeur d'une époque troublée qui annonçait le pire pour l'humanité .
L'auteur fait vivre avec brio ces personnages , n'oubliant pas la profondeur de ceux ci .
Le style est puissant , fougueux et vivant .
Le récit est parfaitement maitrisé , on ne s'ennuie pas une seconde .
C'est une oeuvre forte , prenante , qui mérite trés largement d'être sur le devant de la scène .
A découvrir absolument !
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Montserrat est une vieille dame qui a presque tout oublié de sa vie, à mesure qu'Alzheimer grignote ses souvenirs. L'une des rares choses qu'elle n'a pas oublié, c'est ce fameux été de l'année 1936, quand l'Espagne commençait à se fragmenter et à s'affronter de toute part, et qu'elle s'est sentie vivante pour la première fois. Et c'est là l'histoire qu'elle raconte à sa fille, en "fragnol" : la misère, les traditions séculaires, l'humiliation de sa mère, la révolte de son frère, le départ vers la grande ville…
Bernanos, lui, ce même été, parcourt l'île de Palma de Majorque, notant dans ses carnets toute la folie des franquistes qui éliminent à tour de bras ceux qui leur paraissent suspects (et il y en beaucoup) sous la très bienveillante complaisance du clergé catholique. Ces notes seront à l'origine de son livre "Les Grands cimetière sous la lune".


La guerre d'Espagne… Rétrospectivement, je me dis que j'en connais peu à son sujet, alors qu'elle est à l'origine de l'exode de ma famille. Mon grand-père faisait partie de ces gens qui, comme la famille de Montse, n'étaient pas loin de crever la dalle sans espoir d'amélioration de leur situation. A la révolte et à la guerre, il a préféré l'émigration, mais ça, c'est une autre histoire.

J'ai beaucoup aimé ce livre de Lydie Salvaire, et pour plusieurs raisons. D'abord, parce qu'elle choisit de mettre en scène toute la complexité des parties prenantes de ces évènements dans un petit village espagnol. Tous les mouvements y sont représentés et s'affrontent, mettant au grand jour les grandes petitesses de la nature humaine : lâcheté, cruauté, vengeance... franquisme et communisme atteignant leur point critique dans l'affrontement entre le frère de Montse et son mari. La grande histoire nous est donc contée au travers de la petite, celle de ce personnage principal qui raconte à sa fille ce qu'il lui reste de ses souvenirs. J'ai également aimé la neutralité de l'auteur dans ce conflit : elle ne soutient ni les uns ni les autres, mais explique leur origine, et dénonce autant les exactions des uns que celles des autres. Les récits que l'on pourrait croire opposés de Montse et de Bernanos, que lit le narrateur, sont finalement très proches dans leurs contenus, alors qu'ils s'intéressent à des partis opposés qui se passent à des endroits différents. C'est la subjectivité qui change.
Pas pleurer est un livre à la fois drôle et émouvant, aussi bien dans son histoire que dans la façon dont elle est écrite. J'y ai trouvé un coté très espagnol, dans le "machisme" des hommes, leur fierté qui tend à l'orgueil ou la morgue, dans l'excès des discours et des comportements, une espèce d'excentricité que l'on retrouve dans les films d'Almodovar par exemple. J'ai été enchantée par le "fragnol", ce langage que Montse parle, mélange très imagé de français et d'espagnol. le texte est émaillé de nombreux slogans ou expressions espagnoles non traduites. Mon espagnol scolaire remonte à loin, mais je n'ai pas eu de mal à les comprendre. La plupart du temps, les mots espagnols utilisés sont proches de mots français, et les expressions plus typiques sont reprises en français.

Enfin, ce livre m'a été offert par une amie proche. Comme ça, pas pour une occasion particulière, juste pour le plaisir de me faire plaisir. Alors forcément, avant même de l'ouvrir, je l'aimais presque déjà…
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“L'ete radieux de ma mere, l'annee lugubre de Bernanos dont le souvenir resta plante dans sa memoire comme un couteau a ouvrir les yeux : deux scenes d'une meme histoire, deux experiences, deux visions qui depuis quelques mois sont entrees dans mes nuits et mes jours, ou, lentement, elles infusent.”


Cette meme histoire c'est la guerre civile espagnole. J'ai lu de nombreux romans sur cette guerre, ses antecedents, ses peripeties, ses heros et ses victimes, son denouement et ses consequences. Celui-ci ne sera pas inscrit dans mes annales personnelles comme l'un des meilleurs, bien que j'aie aime de nombreux aspects, de nombreux passages.


J'ai aime que le cadre de l'intrigue, de l'action, soit un petit village, ou tout le monde se connait et ou de vieilles inimities, de vieilles rancoeurs, deviennent antagonismes politiques et nourrissent des hostilites meurtrieres a l'echelle locale.

J'ai aime l'eblouissement de jeunes gens devant des idees nouvelles, qui les font rever a des lendemains qui chantent. Comment dans les villages les plus arrieres ils ont vecu l'engouement pour une future societe, anarchiste ou communiste, en tous cas differente de celle de leurs peres.

J'ai beaucoup aime “l'ete radieux" de Montse, la mere de l'auteure (ou de la narratrice). Sa decouverte, yeux ecarquilles, d'un nouveau monde, un monde ou elle a pu sans crainte parler, rire, s'amuser, s'etonner de tout et s'etonner d'elle-meme, aimer, jouir. Un monde qui n'aura dure qu'un ete mais dont le souvenir illuminera sa vie, estompant ceux passes, effacant carrement les plus tardifs.

J'ai beaucoup aime son esquisse en quelques courtes pages de la “retirada", le douloureux exode vers la France (douce France?) de nombreux republicains espagnols. Un exode raconte a l'echelle humaine, a l'echelle de sa mere.

Et j'ai surtout aime (riant bien de fois) que l'auteure seme son texte des expressions metisses de sa mere, son francais espagnolise, bien que je sois conscient que ca peut gener ceux qui meconnaissent l'ultrapyreneen.


Mais…

Je n'ai pas aime quand l'auteur se pare des habits de l'historien, en de lapidaires comptes-rendus, ou pire, nous assene in extenso des documents qui ne font qu'alourdir le texte et ennuyer le lecteur, comme quand elle donne la liste de tous les eveques signataires de la lettre appuyant la “croisade" de Franco (deux pages!).

Et je n'ai pas aime les passages sur Bernanos. Ce qu'il a vu, ce qu'il a ressenti, ce qu'il a ecrit. Qu'on me comprenne: moi aussi, comme Salvayre, j'admire le courage intellectuel qu'a eu Georges Bernanos en ecrivant “Les grands cimetieres sous la lune". Je le venere moi aussi comme une des consciences de son temps. Mais pourquoi l'introduire de force dans un roman qui traite d'un village d'Aragon (loin, tres loin de cette Majorque dont Bernanos a temoigne) et du destin particulier d'une villageoise? Que vient-il faire dans cette galere? Pourquoi accoler la tres chretienne indignation de Bernanos face a l'ignoble attitude des hauts dignitaires de l'Eglise espagnole aux illusions et desillusions, aux affrontements de jeunes villageois aragonais? Evidemment, comme le dit l'auteure, ce sont “deux scenes d'une meme histoire", l'histoire d'une atroce guerre fratricide, mais “deux experiences" differentes, qui ne se marient pas de maniere heureuse en un meme texte. Cela donne deux recits qui ont en commun un pays et une guerre, mais, mal cousus entre eux, decousus pour le dire clairement, ils desservent ce roman.


Mais bon, il y a quand meme de beaux passages, et un langage savoureux. Ce sont mes marottes de lecteur, devenant des fois mes travers, qui m'ont empeche de l'apprecier entierement.
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"Yo la revolución me la pongo en el culo!".

...proclame le père de Josep et Montse, car les idées libertaires des plus jeunes affolent leurs ainés, enchainés à leurs modestes parcelles de terres desséchées qui les font vivre comme des bêtes de somme depuis des générations.

En 1936, l'Espagne est au bord du gouffre de la guerre civile. Quand les espoirs révolutionnaires fleurissent dans les campagnes et chez les ouvriers, l'épuration meurtrière effectuée par la droite conservatrice, nouvelle Terreur bénie par le clergé, décime les familles en coupe réglée.
Bernanos, fervent catholique, y assiste, scandalisé, et la jeune Montse y prend part pour un été avec l'enthousiasme d'une liberté possible.

Telle une conversation, retrouvant ses souvenirs de jeune fille, une mère âgée raconte à sa fille les moments forts et désastreux d'une jeunesse dans le chaos de l'Espagne Franquiste, avec une diction fleurie, colorée et insolite de deux langues qui se mêlent. En dépit du contexte, c'est vivant, alerte, humoristique, ça met le lecteur au coeur des faits avec une liberté de ton rafraichissante. On approche en fantaisie de l'expression" parler le français comme une v...espagnole".

Au sein même des familles, la fracture idéologique dressera les hommes les uns contre les autres et elles en paieront le prix par la mort ou l'exil. En parallèle du rappel nécessaire des circonstances de la chute de la République et de la "croisade" de la dictature, c'est aussi un cours édifiant concernant le petit manuel du fascisme, avec épuration nationale et délateurs patriotiques, instruments de la volonté de Dieu contre les forces du Mal communiste.

Deux visions d'une même histoire de haine et d'horreurs perpétrées par les deux camps.
Edifiant!

Bonne pioche, ce Goncourt!
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J'ai adoré ce récit où il est question de la guerre civile espagnole, alors je ne vais pas être objective.
Montserrat, 90 ans, raconte à sa fille -la narratrice- le plus beau souvenir de son existence : ce mois d'Août 1936 où, avec son frère aîné, elle a quitté son village de misère pour découvrir la vie et l'amour dans un Barcelone anarchisé par les Républicains. Elle raconte aussi ce frère magnifique, qui a tenté de révolutionner leur village avec ses folles idées libertaires. Elle raconte encore André, ce Français engagé dans les Brigades Internationales qui se voyait déjà écrivain. Et pendant que sa mère se souvient, la narratrice songe à Georges Bernanos, pro-franquiste séjournant alors à Majorque et qui, écoeuré par les exactions des phalangistes soutenus par l'Eglise espagnole, finit par écrire "Les grands cimetières sous la lune" pour les dénoncer tous et continuer à se regarder dans un miroir.
Dans la langue truculente de Montserrat, fantasque sabir franco-espagnol, c'est toute l'ivresse de l'espoir rouge et noir qui reprend vie, et c'est fabuleux. Mais on réalise aussi combien ce rêve fou ne pouvait qu'être anéanti par "le besoin qu'ont les hommes de décrier les choses les plus belles et de les avilir." En cela, j'ai bien aimé le parallèle fait entre le témoignage de Montserrat et l'évolution intellectuelle de Bernanos.
Nul besoin d'être féru d'Histoire pour lire ce roman : l'auteur recontextualise les choses de façon élégante et avec une redoutable efficacité -la grande classe ! Lydie Salvayre parle d'amour, d'idéaux, de guerre et de littérature. le style est percutant mais doux, et zébré d'humour rageur. C'est un pur régal.
Ne passez pas à côté.
Rum balbum balabum bam bam.
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