Lydie Salvayre nous raconte une belle histoire, celle de sa mère qui a vu sa vie changer durant l'été 36. Elle reproduit de façon efficace et passionnante les camps rivaux de l'époque, les anarchistes, rouges noirs, les rouges staliniens qui rêve de reproduire le modèle soviétique, les deux se détestant, n'hésitant pas à tuer des prêtres et remettant en cause le catholicisme hyper-présent.
En face, on voit la montée en puissance de la réaction fasciste aux ordres de Franco, qui massacre tous les prétendus communistes. Ils font régner la terreur en débarquant chez les gens dans la nuit emmenant tous ceux qu'ils suspectent et les abattant ensuite comme des chiens.
Bernanos est arrivé à Majorque pour décrire les exactions des communistes mais ce qu'il voit, arrestations en masse, exécutions à tout va, le révolte. Lui, le catholique fervent, il hésite et décide finalement de raconter toutes les exactions, ce qu'il va consigner dans «
les grands cimetières sous la lune » s'attirant ainsi l'opprobre des bien pensants.
Au village, on assiste à une reproduction à l'échelle microscopique, de la haine, la suspicion, la paranoïa et des crimes de chaque famille, avec les conflits et les jalousies de l'enfance qui s'exacerbent et s'enflamment selon les partis pris de chacun.
D'un côté la violence et de l'autre l'amour de Montsé pour celui que ses filles ont surnommé dans leur enfance
André Malraux et qui se verra obligée d'épouser le fils adoptif du propriétaire, Diego, ennemi juré de Josep le beau gosse attisant encore la colère de celui-ci.
Les personnalités se révèlent au fur et à mesure de ce récit, où l'auteure fait parler sa mère dans une langue qu'elle appelle le Fragnol, mélange de Français et d'Espagnol, car Montsé, du fait de sa maladie a tout oublié de sa vie sauf deux années, et elle ne maîtrise plus le langage, quand un mot ne vient pas elle francise le mot espagnol, mélange les grammaires, ce qui donne des tournures drôles, des néologismes qui atténuent la violence des évènements. Et cette langue est très belle, agrémentée de gros mots, ou de mots crus pour dire tout ce qui a été autocensuré par l'éducation.
Tout ce petit monde nous entraîne dans la spirale, on frémit et on souffre avec Josep qui veut transformer la société, la rendre meilleure dans le partage et la tolérance alors que d'autres veulent la changer par les diktats comme Staline. Et à côté, ceux qui ont peur du changement, et préfèrent garder la situation telle qu'elle est : on souffre, on trime, certes, mais on connait le fonctionnement de cette société-là.
Lydie Salvayre nous raconte aussi la situation de la femme à cette époque et l'importance du quand dira-t-on si elle dévie du droit chemin car la culture catholique est la base de la société, le statut de la femme mariée, le seul envisageable, l'amour n'ayant pas trop son mot à dire. Un autre personnage est omniprésent, la religion catholique, avec sa haine des communistes, ses crimes, son soutien constant aux dictatures. Elle imprègne l'éducation quel que soit le milieu social, avec les « égreneuses de chapelet ».
L'écriture est belle et originale ; on n'a aucun mal à s'immerger dans l'histoire, la petite et la grande, on prend position pour l'un ou pour l'autre. L'idée de mettre en parallèle, comme un écho l'une de l'autre la réflexion de Bernanos avec ce qui deviendra « les grands cimetières sous la lune » et l'histoire de Montsé est une très bonne idée, je trouve, les deux histoires s'entremêlent, « les voix s'entrelacent » comme nous le dit la quatrième de couverture.
De ce fait, l'auteure nous raconte vraiment une histoire, c'est un roman pas une biographie car on ne connaîtra que trois années de la vie de Montsé et on voit se profiler l'exil, après la désillusion. Elle découvre, sur le tard, tout un pan caché de la vie de sa mère.
Les belles théories toujours nous enflamment pour être dévoyées, et conduire à la désillusion dès que la lucidité fait prendre conscience de l'ivresse des mots, des phrases apprises sous l'effet de l'endoctrinement. C'est le premier roman de
Lydie Salvayre que je lis. Certes, «
la compagnie des spectres » est dans ma PAL depuis longtemps, mais je n'étais pas trop tentée, et j'avoue que «
Pas pleurer » m'a donné envie de mieux connaître cette auteure.
Un bémol, quand même, je regrette que l'auteure n'ait pas traduit les phrases en espagnol, on se sent un peu frustré. Pour le Fragnol, je n'ai pas eu de problème grâce aux souvenirs de latin et aussi au « Franpor » ou le « Profran » (c'est moins joli que Fragnol !!) quand mon mari francise parfois un mot portugais, ne trouvant pas le mot français exact, suffisamment précis.
Note : 8,2
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