AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de OZALID


OZALID
31 décembre 2012
UNE GUILLOTINE DANS UN TRAIN DE NUIT
(Jean-François SAMLONG)

En dépit de ce titre couperet – qui me fait toujours frémir d'horreur – en dépit de la fréquentation de ce personnage atrocement patibulaire qu'est Sitarane, j'ai lu le dernier livre de Jean-François SAMLONG publié chez Gallimard, avec grand plaisir.
Qu'on ne s'y trompe pas ! Je n'ai aucune attirance pour le morbide, le glauque, le sordide, épithètes qui viennent tout de suite à l'esprit dès que l'on aborde l'épopée sanglante et pitoyable du criminel buveur de sang. Non, je ne me complais pas dans l'horreur. Et l'auteur non plus puisqu'il a su garder tout au long de son récit une distanciation suffisante.
Je cite :
« Mais à la seule idée qu'il me faut écrire la suite, j'en ai la nausée. Je n'y renoncerai pas toutefois. »
Pas de complaisance donc envers le crime. L'auteur ne se pose ni en défenseur, ni en accusateur ; il relate soigneusement ce que disaient les journalistes de l'époque et les rapports officiels de la gendarmerie et du procès. Et du coup, pas de complaisance non plus envers ceux qui sont « du bon côté de la justice », ni envers ce contexte sociétal si particulier en ce début de XXe siècle avec ces mentalités non encore sorties du concept esclavagiste et cet environnement colonial sans état d'âme. Á ce propos, j'ai relevé à plusieurs reprises cet agacement (mais sans doute est-ce plus que de l'agacement) de l'auteur envers ces comparaisons animalières qui foisonnent sous la plume des chroniqueurs de l'époque… comme elles fleurissent dans maints ouvrages de littérature. Évoquer l'animalité de l'autre, c'est lui refuser le droit d'exister en tant qu'être humain…
L'intérêt constant que j'ai éprouvé à suivre cette espèce de « chemin de guillotine » inscrit dès le début de l'aventure vient de la mise en littérature de cet événement marquant l'histoire de notre île. En page de garde, cette note de l'auteur :
« Cette histoire tisse des liens avec des faits réels et des personnages qui ont réellement existé, certes, mais tout le reste est littérature »
Une belle littérature en tout cas… Les différents chapitres s'articulent sur ce train de nuit conduisant bourreau et suppliciés vers leur destin. Et les mots pour décrire cette course fatale rendent bien le caractère implacable de cet instrument de la destinée parcourant la profondeur d'une nuit sombre et inquiétante.
Mais cette nuit est aussi celle qui embrume les pensées de Sitarane… du moins celles que lui prêtent l'écrivain : là aussi, le jeu des ressassements traduit bien ces pensées en boucle qui devaient, - qui pouvaient, peut-être – défiler dans l'esprit malade du bandit et crée une atmosphère lourde d'enfermement, d'impossible issue due à cette accumulation de crimes et de profanations venue d'un être aux extrêmes confins de la déshumanisation.
Plaisir de découvrir un beau texte, donc et une belle composition. Mais le bonheur de la lecture ne serait pas complet s'il n'y avait dans ces pages autant matière à réflexion.
Pourquoi cette violence ? Là je ne peux que citer J.F Samlong :
« Depuis trente ans, en effet, je m'escrime à mettre en scène (à défaut de la comprendre et de la justifier) cette violence qui, venue du fond des âges, creuse jusque dans les entrailles d'une île… »
Mais un élément d'explication ressort de la lecture de cet ouvrage dans lequel l'auteur, comme dans d'autres de ses oeuvres relie les actes de violence au passé esclavagiste, colonialiste et au monde profondément inégalitaire que nous subissons toujours.
Voilà qui peut expliquer aussi l'emprise d'un Sitarane sur l'inconscient de l'île, ces cultes insensés qu'on lui voue (faut-il qu'une population soit déboussolée pour trouver en un criminel tel que Sitarane, un vengeur !) , plus d'un siècle après son exécution, la peur et l'horreur qu'il suscite aussi comme si par le biais de ces actes sanguinaires, une porte s'était ouverte sur le Mal, sur l'enfer.
Et… faut-il l'avouer ? Lorsque j'ai pris ce livre dans les rayons d'une librairie, avant de passer à la caisse, j'ai eu le réflexe d'arracher le bandeau rouge portant la mention « Sitarane story ». Story ? Heu… Pourquoi cet anglicisme ?


Lien : http://patpantin.over-blog.com
Commenter  J’apprécie          40



Ont apprécié cette critique (1)voir plus




{* *}