San-Antonio, c'est comme beaucoup de choses, on aime ou on n'aime pas. Mais quand on aime, on adore ! Remarquez les raisons de ne pas aimer existent : quand on est BCBG (Bon Chic Bon Genre, d'autres disent Beau Cul Belle Gueule, c'est comme on veut) ou quand on est TTCS (Tasse à Thé Cul Serré) il y a des chances qu'on plisse le nez devant ce monceau d'incongruités, cette montagne de vulgarité, cet étalage d'obscénité, cette offense perpétuelle à la morale, à la religion, aux institutions, sans parler de la façon ignominieuse dont cet « auteur » (rien que le fait d'accoler ce vocable à cet individu nous hérisse le poil) massacre notre belle langue française… Oui, si l'on comme ci, on peut penser comme ça. Mais si on ne l'est pas, qu'est-ce qu'on se régale !
Derrière
San-Antonio, il y a
Frédéric Dard (1921-2000). Allez savoir pourquoi, je l'ai toujours confondu, ou du moins assimilé, à
Michel Audiard. La rime, peut-être, et cette façon de ne rien prendre au sérieux, alors que…, et puis cette aisance d'écriture qui touche presque au génie… Si les aventures de
San-Antonio comportent 175 volumes (plus les hors-série, les inédits, et les romans signés
San-Antonio, mais extérieurs aux aventures du commissaire),
Frédéric Dard a proposé sous son vrai nom près d'une soixantaine de romans policiers (mais aussi espionnage) de facture un peu plus « classique », dont certains sont devenus des références : «
Les salauds vont en enfer » (1956) «
C'est toi le venin » (1957), «
le monte-charge » (1961), etc. Il est également l'auteur de pièces de théâtre, d'adaptations pour le cinéma, et même de livres pour enfants !
«
Bérurier au sérail » (1964) est un des plus désopilants des romans de San-A. Alcide Sulfurik, alias l'agent SO4H2, est prisonnier dans l'aride pays de Kelsaltan. le commissaire
San-Antonio, escorté par ses équipiers d'élite (Bérurier, dit Béru, dit le Gravos, dit l'Abominable, etc. et Pinaud, dit Pinuche, dit le Débris, dit le Chétif, etc.) est chargé de le récupérer. le Kelsaltan, capitale Kelsalmecque, dont les habitants sont les Kelsaltypes, est officiellement gouverné par l'iman Komirespyr, mais le pays se subdivise en fait en plusieur émirats dont le plus important est l'émirat d'Aigou, gouverné par l'émir Obolan… C'est donc dans ce pays des Mille et une nuits (Version
San-Antonio) que nos amis vont porter leurs… babouches…
San-Antonio, on ne le dira jamais assez, c'est avant tout, une langue, ou pour être plus précis, une verve qui tient lieu à la fois de vocabulaire et de syntaxe, et même à l'occasion d'orthographe et de grammaire. le « san-antonien » emprunte à la langue de
Molière,
De Voltaire et de
Victor Hugo, mais reconnaissons-le, plus encore à l'argot des bas-quartiers, et même à une « novlangue » faite de calembours, de contrepèteries, de néologismes de figures de style existantes ou inventées, dont l'inventivité n'a d'égale que la truculence. Et derrière la langue, n'oublions pas qu'il y a toujours une intrigue, parfois tirée par les cheveux, je vous l'accorde, mais qui constitue l'ossature du roman. Et puis, le plus de San-A, ce sont les personnages, caricaturés au maximum : on croit voir des personnages de BD (Entre 1963 et 1975, dans France-soir,
Robert Mallat et
Henri Blanc ont signé la meilleure des adaptations, sous forme de comic-strips. Vivement qu'elle soit éditée en album !)
Les amateurs de grande littérature feront peut-être la fine bouche, mais s'ils ont un peu de sens commun, et d'ouverture d'esprit, ils accepteront avec joie cette escapade dans l'univers de
San-Antonio : burlesque, déjanté, hénaurme, inconvenant, irrévérencieux et même iconoclaste, mais hilarant et désopilant. A lire sans modération.