Je veux bien convenir, c'est un de mes défauts majeurs: en remettre. L'une de mes principales qualités aussi. L'auteur qu'en remet pas, à notre époque, il est foutu, pas lu, noyé dans la grisaille. Pour dire, tout le monde, on emploie les même lettres, et qui pis est, les mêmes mots. L'important, c'est la manière de les utiliser. Je te flanque mon billet, Gustave Eiffel, il aurait pas eu l'idée d'assembler son Meccano de la sorte, il ne serait pas dans le dico. Avant sa tour, il ne faisait que des ponts, des viaducs, c'est-à-dire des choses utiles, positives. Et puis un jour, il a eu l'idée d'assembler sa ferraille à la verticale au lieu de toujours la poser à l'horizontale. T'as vu ce succès, Glandemolle? Au lieu d'unir deux rives, il a uni la terre et le rêve. Son pont, il l'a jeté du sol aux nuages. Il a envoyé un baiser au ciel et ç'a été la gloire, la japonie fabrique pas assez de Nikon pour qu'on vienne photographier ces 7175 tonnes de poutrelles (je le sais, je les ai pesées hier matin). Alors, pour t'en revenir sur le cas Eiffel, moi, c'est kif. Ma littérature, au lieu de la pondre horizontale, je l'ai voulue verticale, qu'elle se voie de loin sans avoir la tâche ingrate de mener quelque part. J'unis pas deux berges, que non! Je grimpe en me faisant pointu. Mince du haut, mais haut tu comprends? De la feraille littéraire, pas ciselée du tout, ficelée avec de gros rivets et des boulons mastars comme mes burnes. Alors, fatal, pour ce faire, ne pas craindre d'en ajouter tant et plus!
L'homme, tu prends une position confortable et tu le regardes vivre, agir; en moins de rien tu es fasciné. Il te capte, te surprend, t'emmène . Là, le drame véritable commence. Car, tout à ta subjuguance, tu cherches à communiquer avec lui. T'as besoin de lui expliquer que tu es un homme, toi aussi, et que, par conséquent, un homme plus un autre homme, ça doit faire deux hommes. Mais il ne l'entend pas de cette oreille, le fumier.
Non plus que de l'autre.
et la dure évidence te vient, anéantisseuse d'espoirs.
Un homme, plus un homme, ça égale un homme plus un homme, mais jamais deux hommes.
-Du temps que tu y es, Béru, ôte moi d'un doute : de nous deux qui est le chef? Toi, ou moi?
Il hausse ses montagnesques épaules.
-On se complète, assure-t-il, toi t'as le pouvoir et moi l'intelligence. C'est comme ça que l'on fait les bonnes équipes.
Narcisse prend l'air contrit d'un maquignon dont le bourrin qu'il est en train de vendre comme une pouliche de l'année vient de perdre son dentier et sa crinière.
*RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE* :
San-Antonio, _Réflexions définitives sur l'au-delà,_ morceaux choisis recueillis par Thierry Gautier, Paris, Fleuve noir, 1999, 120 p.
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