D’ordinaire, il ne s’emballait jamais pour une greluche. Les femmes, il savait que c’est de la dynamite ; il savait aussi qu’on doit manipuler la dynamite avec un soin extrême. Aussi ne s’affolait-il pas, d’ordinaire. Il avait plutôt tendance à les laisser venir, ce qui est bien le meilleur système à employer.
Mais là, c’était différent. Il avait le grand choc, le coup de foudre, quoi ! Et ça faisait des tripotées de temps que ça ne lui était pas arrivé, exactement depuis l’époque lointaine où il allait à l’école du quartier pauvre habité par le père Clay et où il était tombé dingue d’une jeune institutrice venue faire une suppléance dans son groupe.
Il était pointilleux et ne supportait aucun affront, pas même de la part d’une jolie fille, quand bien même cette dernière portait une cape de vison blanc.
Celle-ci mentait. Les dés n’étaient pas pipés. Jonas possédait une certaine classe, il n’aurait jamais admis qu’on puisse le traiter de tricheur en s’appuyant sur une certitude. Il avait mis au point certains trucs, par exemple un jet assez particulier des dés, une façon non moins particulière de les glisser dans le cornet. Mais les dés, eux, étaient honnêtes…
Certainement le prêteur sur gages, comme beaucoup de ses confrères, se livrait-il au recel. Un filou lui avait apporté un bijou quelconque, ce qui expliquait qu’il l’eût reçu en pleine nuit. Ils n’avaient pas dû se mettre d’accord sur le prix. La discussion s’était envenimée. Le vieillard devait exploiter honteusement la situation; sans doute son « client » était-il un débutant qu’il avait essayé de rouler.
Sacrebleu ! Il n’allait pas se laisser blouser par une môme qui se prenait pour la déesse de l’Amour simplement parce qu’elle avait pour dix mille dollars de fringues et de quincaillerie sur elle.
Treize ans dans la police lui avaient conféré une sorte d’autorité irascible; il n’aimait pas qu’on lui résistât. Tous ceux qui résistaient à John Clay s’en repentaient un jour ou l’autre.
La belle vie ! La belle vie dont tant d’hommes, flics ou non, rêvent et qu’ils ne connaissent jamais !
Il mangea d’excellent appétit, envoya le boy lui acheter un havane gros comme une aubergine et se mit à le fumer voluptueusement.
*RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE* :
San-Antonio, _Réflexions définitives sur l'au-delà,_ morceaux choisis recueillis par Thierry Gautier, Paris, Fleuve noir, 1999, 120 p.
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