J'avoue que j'ai vraiment eu du mal à critiquer ce livre, donc ce billet sera essentiellement constitué des remarques que je me suis faite à la lecture. Gare aux spoils !
Dans ce tome, il y a moins d'action que dans L'Empire ultime, mais l'auteur en profite justement pour se recentrer sur les personnages. Il nous fait part de leurs doutes, de leurs inquiétudes, de leurs espoirs… Leur situation est particulièrement précaire (trois armées attendent tranquillement que Luthadel tombe), et c'est l'heure de voir ce que chacun a dans le ventre. L'intégrité d'Elend. Les sentiments de Vin. L'égoïsme de Brise. Tout sera repesé, réévalué.
Notamment et surtout la relation de Vin et d'Elend. Ça fait désormais un an qu'ils sont ensemble, et la jeune fille se pose moult questions. Elle est sincèrement amoureuse et admire son amant pour sa bonté, mais elle a l'impression qu'ils ne pourront jamais s'entendre – ils sont trop différents.
J'ai apprécié le fait que l'auteur choisisse d'approfondir les sentiments de son héroïne. Pour la première fois (ou presque), elle ne sait pas quoi faire et elle hésite. Cela donne une dimension très réaliste à leur histoire d'amour – aimer n'est jamais une certitude, contrairement à ce que pourraient nous faire croire les romans.
En revanche, j'ai un petit regret. Ils sont ensemble depuis longtemps, maintenant, et on ne sait toujours pas s'ils se sont donnés l'un à l'autre. Aucune allusion charnelle n'est faite, et je trouve ça impardonnable. Non pas parce que ma curiosité n'est pas satisfaite, mais parce qu'au bout d'un an, tout garçon aurait abordé le sujet au moins vingt fois avec sa copine ou ses amis. Ça me frustre de voir un détail si peu crédible dans un livre si bien détaillé et si bien construit. C'est d'autant plus important qu'on adopte le point de vue d'Elend à plusieurs reprises, qu'on a accès à ses pensées et que jamais il ne fait preuve de désir pour Vin (même s'il la regarde dormir, même quand elle se fait belle – quand elle est en robe, il lui dit juste qu'elle est « magnifique »). Pas une seule fois, il n'a de pensées mal placées. C'est louable, là n'est pas le problème, mais est-ce normal pour un garçon qui attend depuis un an ? Je ne dis pas qu'il doive avoir des pensées perverses, mais une simple remarque sur le fait qu'il attende et que ce n'est pas facile aurait été suffisante. Là, rien. Ni de son côté, ni de celui de sa dulcinée. C'est comme s'ils étaient asexués.
À part cela, de nouveaux personnages apparaissent et je me suis complètement attachée à eux. OreSeur est quelqu'un d'insaisissable et de fascinant, et la folie de Zane, son caractère entier ainsi que le romantisme de sa personne me l'ont fait aimer tout de suite. C'est difficile de savoir ce qu'il pense, ce qu'il veut et pourquoi Vin compte autant pour lui. Tindwyl, en revanche, a dû gagner mon affection. Je n'aimais pas ses manières hautaines et son comportement prétentieux. C'est seulement quand on connaît son histoire qu'on commence à la prendre en pitié, et ce n'est qu'à la fin du livre qu'on les plaint vraiment, elle et Sazed.
L'auteur a choisi de morceler la narration entre la plupart des protagonistes, et ça change du premier tome, où on suivait principalement Vin. À mon avis, c'est une très bonne chose, parce qu'on se retrouve au coeur des intrigues et qu'on ne pourrait pas saisir la profondeur des personnages sans cela. Brise est beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît, par exemple, et jamais je ne m'en serais doutée dans L'Empire Ultime.
Les personnages sont donc le point fort de ce second opus.
Mais quelques petites incohérences se sont glissées dans ce long volume.
Le principe du Basculement – quand les pouvoirs des Fils-des-Brumes se réveillent – m'a laissée sceptique. Au début, un Fils-des-Brumes est quelqu'un de normal. Et puis, un événement affreux le fait « basculer », révélant ainsi en lui des pouvoirs fantastiques. OK, mais… Comment expliquez-vous qu'il existait des Fils-des-Brumes parmi la noblesse ? Ces gens avaient une vie parfaitement fade et lisse, comment certains d'entre eux ont-ils pu se heurter à quelque chose de traumatisant ? On parle d'un événement très fort qui est de l'ordre de la mort brutale de la femme de Kelsier (à la fois sanglante et culpabilisante parce qu'il en est indirectement responsable) ou de l'enfance particulièrement violente de Vin ! Et du coup, pourquoi Straff ne traumatise pas tous ses enfants pour avoir des Fils-des-Brumes ? On dirait qu'il attend simplement un coup de bol en engrossant ses maîtresses.
En fait, j'ai l'impression que l'auteur a cherché une explication au fait que Kelsier soit passé du stade « trop faible pour affronter le Seigneur Maître » à « grande puissance guerrière ». le Basculement est une chose je n'ai pas trouvé très cohérente avec le reste de l'histoire. Si les choses se passent ainsi pour les Fils-des-Brumes, pourquoi pas pour les Brumants ?
Les koloss, maintenant. Ce sont des créatures qui m'ont laissé une forte impression. Ils sont terribles et effrayants, mais une partie de l'horreur qu'ils suscitent vient du fait qu'ils ne sont pas faits pour vivre.
Brandon Sanderson a été un peu vache avec eux, parce que, même s'ils ne cessent de grandir, leur peau ne s'étend pas et leur coeur finit par ne plus pouvoir les maintenir en vie. Ils naissent avec une peau trop grande dans laquelle ils flottent, et avec le temps, cette dernière devient trop petite et se fissure autour de la bouche, des yeux… Certain ont le nez plaqué au visage et déformé par leur peau tendue à craquer. J'ai trouvé ça terrible, comme destin (pire que l'insuffisance cardiaque !). Pourtant, la peau est quelque chose de très élastique – regardez les obèses et comparez le changement de masse avec le moment où ils sont nés. Si celle des koloss ne peut pas s'étendre, cela veut sûrement dire qu'elle ne peut pas cicatriser (puisque les cellules doivent se multiplier pour cela). Et donc, comment peuvent-ils faire de bons combattants ?
Un passage m'a faite rire : Vin n'a presque jamais eu l'occasion d'écrire, et quand elle s'y remet, elle met un quart d'heure à former deux lignes (comme nous au CP, quoi^^). Pourtant, tout le monde s'exclame qu'elle a une écriture vraiment magnifique. Cette anecdote n'a aucune importance, mais en lisant ce paragraphe, je n'ai pas pu m'empêcher d'hausser un sourcil ironique.
Outre cela, l'écriture de
Brandon Sanderson est toujours aussi fluide, et l'intrigue, toujours aussi bien maitrisée. le suspens n'est pas systématiquement présent (comme les héros, on attend une issue, que ce soit l'attaque des armées ou bien leur retrait), mais il est largement compensé par la scène finale, époustouflante ! J'ai été complètement entraînée à la suite des personnages, dans leurs remises en question, dans le mystère qui s'épaissit autour d'eux… Vin est-elle le Héros des Siècles ? Que cache le Puits de l'Ascension ? Qui est cet esprit de brumes qui semble l'épier ?
J'apprécie aussi énormément les exergues en début de chapitre. C'est un procédé vicieux qui titille ma curiosité et me pousse à continuer à lire alors que j'ai plein d'autres choses à faire. Ça accroche le lecteur, l'interpelle, lui donne des informations croustillantes… Mais dans ce tome, on connaît le texte dont ils sont les extraits très vite, et ils deviennent un peu répétitifs. Dommage.
Mais finalement, le seul vrai hic que je rencontre avec l'écriture est le grand nombre de répétitions. Les noms, surtout, sont surexploités – jamais Sanderson ne nomme un de ses héros « le jeune homme », « la jeune fille », « l'Apaiseur », « ce dernier », et beaucoup de tournures de phrases se répètent.
Dernier point positif : cette saga ne tombe pas dans la plupart des clichés du genre. Dans le premier tome, la parenté de Vin était assez mystérieuse, et l'auteur aurait très bien pu en jouer (faire en sorte qu'elle soit la fille du Seigneur Maître ou de l'Inquisiteur d'Acier qui la poursuit dans le tome 1, faire en sorte que son père la pourchasse pour la tuer – ou se rallier à leur cause), mais non. le haut-prélan meurt dans L'Empire Ultime et elle n'a même pas eu l'occasion d'avoir une seule conversation privée avec lui. J'ai trouvé cela rafraichissant. C'est vrai, c'est lassant de voir des héros issu de leur opposant le plus acharné (« Luc, je suis ton père », pour ne citer que cette référence).
Par ailleurs, Vin n'est pas une grande beauté. On n'a pas beaucoup de descriptions d'elle (on sait simplement qu'elle est menue et qu'elle a les cheveux et les yeux sombres), mais on sait qu'elle est dans la moyenne. L'auteur n'a pas fait tout un plat de son apparence physique, et j'ai grandement apprécié.
De même, Kelsier (mentor du protagoniste et donc personnage-clé dans tout roman de fantasy) meurt dès le premier volume, ce qui est surprenant. Lui, le chef de la bande, mourir ? Et surtout, mourir si tôt ? Je me serais presque attendue à ce qu'il renaisse pendant le Puits de l'Ascension !
La fin de ce deuxième tome est haletante et parfaitement inattendue. Sanderson renverse tous les principes. J'ai adoré, car ce final présage de nombreuses emmerdes en perspectives et change totalement le destin d'un personnage. Je me suis déjà plongée dans la lecture du Héros des Siècles, impatiente de savoir la suite :)
C'est toujours une aussi bonne série, et je crois même que j'ai préféré ce tome au premier. À voir si la suite tient ses promesses…