Format relié, jolie couverture, illustrations, ornement entourant les numéros de chapitres… le livre de poche nous propose ici une magnifique édition collector !
Une édition que nous avons dévorée avec ma binôme de lecture en moins de 24h et sur lequel nous avons pris plaisir à échanger. On peut dire merci aux vacances mais aussi à l'incroyable talent de narrateur de
Brandon Sanderson ! À l'aide d'une plume entraînante et caustique et de chapitres courts et rythmés, il nous propose une merveilleuse aventure, à moins que ce ne soit une aventure merveilleuse, dans laquelle il utilise les grands codes du genre pour les détourner et s'en amuser. Un procédé redoutable d'efficacité surtout quand il est utilisé comme ici avec une telle maestria.
Les amoureux d'héroïnes tellement ordinaires qu'elles en deviennent extraordinaires, de tasses (en grande buveuse de thé, c'est un détail qui a son importance), d'esprit chevaleresque, d'aventures maritimes, de pirates, de capitaines sombres et ténébreux à l'influence tentaculaire… devraient se régaler. A fortiori s'ils apprécient également les histoires dans l'histoire avec un narrateur qui n'hésite pas à anticiper nos questions en nous remettant gentiment à notre place, à intervenir et à commenter aussi bien les événements que son propre rôle. Un rôle particulier à l'image d'un personnage haut en couleur qui n'a cessé de m'amuser et dont le sens de l'absurde est un pur régal. Je suis d'ailleurs un peu frustrée, puisqu'il semble qu'il va me falloir lire d'autres romans de l'auteur pour mieux saisir la genèse de cet être hors norme.
En plus de ce narrateur qui est l'un des atouts phares du roman,
Brandon Sanderson a su créer et développer une galerie de personnages atypiques dont chaque membre possède assez de personnalité pour nous marquer. J'ai aimé le chirurgien zombie obsédé par les parties du corps de ses camarades qu'ils pourraient acheter et/ou ingurgiter, le cuisinier sourd pas très doué mais au grand coeur, l'amoureuse des armes et des canons incapable de viser, le rat qui parle et qui va se montrer bien plus utile que sa petite taille ne le laisse présager… Chaque personnage a ce petit quelque chose de différent, de touchant et d'attachant qui pousse le lecteur à s'impliquer inconditionnellement dans ses (mes)aventures. À travers cette équipe éparse et bienveillante, l'auteur nous offre un beau message sur l'amitié et les tempêtes qu'elle permet de traverser. J'ai adoré le groupe dans son ensemble, la solidarité qui l'anime et sa belle synergie, mais j'ai encore plus été impressionnée par Tress.
Une jeune fille ordinaire sans histoire, que certains qualifieraient bien trop rapidement d'ennuyeuse, qui, par amour, endosse la cape de chevaleresse. Certes, c'est confondant de naïveté de croire pouvoir sauver sans aucune préparation l'élu de son coeur d'une abominable sorcière crainte par tous, mais c'est aussi touchant de détermination et d'optimisme. Deux qualités que notre héroïne possède. Et puis, ne dit-on pas qu'à coeur vaillant, rien d'impossible ? J'aime, en tout cas, à le croire. Tress est l'archétype de la gentille jeune fille que l'on pense sans talent particulier, si ce n'est celui déjà admirable d'être elle-même. Toutefois, au fil de l'aventure, la jeune fille timorée des débuts, qui s'excusait presque d'exister, gagnera en force et en caractère. Il faut dire que les difficultés rencontrées et les épreuves traversées lui ôtent progressivement le vernis de la bienséance pour révéler un coeur déterminé et une âme de battante.
J'ai eu un quasi coup de coeur pour cette héroïne à la personnalité rafraîchissante qui est bien plus intelligente audacieuse, débrouillarde et courageuse qu'elle ne le pense. L'auteur ne la rend pas pour autant parfaite : ses actions sont souvent guidées par ce qu'elle pense savoir et encore plus par ce qu'elle ne sait pas, et son courage est pétri de cette naïveté qui permet d'avancer quand il aurait été plus sage de reculer. Mais grâce ou en dépit de ses doutes qui la rendent très humaine, Tress devient une sorte d'héroïne de conte, mais surtout un beau symbole d'espoir.
Et de l'espoir, les membres du navire de la capitaine
Corneille vont avoir besoin… En effet, l'auteur nous brosse le portrait d'une femme particulièrement retorse, même si j'ai eu le sentiment qu'il aurait pu aller bien plus loin avec cette antagoniste. Sans coeur, la capitaine fascine autant qu'elle horrifie, encore plus à l'aune des révélations expliquant les raisons de sa force et de la terreur qu'elle inspire aux membres de l'équipage. J'ai presque eu pitié d'elle, mais j'ai surtout apprécié la manière dont l'auteur utilise cette figure de capitaine sans concession pour nous présenter un phénomène absolument glaçant, que je vous laisserai le plaisir de découvrir ! Je vous laisserai également le plaisir de découvrir son incroyable travail autour des spores, de leurs variétés, de leurs « sympathiques » caractéristiques, notamment une fois en contact de l'eau.
Les spores tiennent une place de premier plan dans la quête de Tress qui m'a complètement happée, malgré ses quelques longueurs, mais qui s'est révélée moins épique que je ne l'avais escompté. Ainsi, le roman est bourré de dangers et comporte sa part de drames, mais l'humour grinçant et impertinent omniprésent dans la narration met la douleur et l'horreur à distance. Cela ôte une bonne partie du potentiel dramatique et annihile tout effet de tension, rendant l'histoire parfois trop facile. Notre héroïne a, en effet, tendance à se sortir sans grand dommage de bien difficiles situations pour lesquelles elle n'était pourtant nullement préparée. Mais cela ne m'a pas dérangée outre mesure, ayant adoré l'effet presque doudou que le roman a eu sur moi, ainsi que la manière dont l'auteur nous laisse toucher du doigt un univers incroyable. Un univers ici effleuré mais dont le potentiel suffit à nous enchanter.
On sent qu'avec ce roman, l'auteur s'est fait plaisir, forçant le trait pour mettre en lumière certaines facilités, jouant sur les coïncidences bien pratiques et tellement grosses qu'elles en deviennent brillantes, renversant les codes, entretenant une certaine connivence avec les lecteurs, proposant des retournements de situation savoureux à souhait, des dialogues incongrus, des passages narratifs bourrés d'humour et empreints d'un absurde plein de bons sens. Avec facétie, il s'amuse même à désamorcer les éventuels reproches qu'on pourrait lui faire, tout en véhiculant avec mordant des messages importants entre deux dangers et deux répliques qui font mouche. J'aurais néanmoins apprécié que la fin témoigne de son grand sens du spectacle et de la mise en scène. Or, en plus d'être expéditive, elle m'a semblé manquer de ce panache revigorant qui rend la lecture du roman si savoureuse et divertissante. La fin nous offre toutefois un beau et émouvant message et nous prouve le chemin parcouru par Tress depuis le départ de son rocher.
En conclusion, expérience de lecture complète, drôle, immersive et divertissante, Tress de la mer Émeraude offre une belle bouffée d'oxygène aux lecteurs en quête d'une aventure pleine de magie, dans laquelle une héroïne extraordinairement ordinaire va accomplir l'impossible. Elle pourra compter pour cela sur sa chance insolente, une force de caractère insoupçonnée, un rat qui parle et des membres d'un équipage au sein duquel elle trouvera sa place. Multipliant les références et les clins d'oeil et renversant les codes,
Brandon Sanderson s'est amusé et a veillé à ce que ses lecteurs participent à ses côtés à cette grande aventure. Une aventure qui prend la forme d'un conte, où merveilleux et cinglante ironie se mêlent, et dans lequel l'héroïsme n'a besoin ni de cape ni de pouvoir, si ce n'est celui d'essayer et de croire…
Lien :
https://lightandsmell.wordpr..