Citations sur Moi, Jean Gabin (55)
Flairer le danger à distance est une prérogative de nous autres rebelles.
La grande liberté de soi-même et de ses propres pensées n’est-elle pas quelque chose de plus douloureux qu’on ne saurait le dire ?
Chez moi tout le monde avait toujours tant à faire. Tant et tant qu'on était contraint soi-même aussi de s'inventer mille choses à trafiquer, à mener à bien, lire, jouer, parce que jouer et imaginer étaient eux aussi considérés, chez moi, comme un "faire".
Allez, allez à l'école, vous ! Que pouvez-vous faire d'autre sinon vous trouver un petit ou grand emploi de fonctionnaire et engraisser obscènement en compagnie de tous les parasites, voleurs légalisés, de l’État fasciste ! Moi, au moins, j'avais un père rebelle, même s'il n'était pas de la stature de Jean [Gabin], et une mère aussi, qui, ce n'est pas pour dire, avait également été – et à plusieurs reprises – en prison pour le bien des pauvres et des opprimés.
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Tu vois, Goliarda, le professeur Jsaya a une grande vertu par rapport à nous tous, petits Italiotes faits de grands idéaux et de pensées abjectes. Il ne cache jamais ses contradictions. Lui les vit et les montre avec un courage de lion. C'est cela qui le rend complètement fou mais magnifique.
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« Qu'est-ce que je m'en fous, moi, de la couleur qu'avait le soleil au crépuscule ou du vent qui soufflait... choses obscènes et inutiles qui salissent le monde... paysagiste de quatre sous ! Va, écris-les au moins ces cochonneries, qu'elles deviennent des mensonges véridiques sur le papier... »
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« Alessandro, là-haut devant la ferme, il y a ces messieurs [des milices fascistes] avec leurs matraques qui terrifient nos paysans, vas-y et vois ce que tu peux faire ». Alessandro remonta à l'air libre, ôta la matraque des mains de l'un de ces messieurs et avec cette même matraque leur fracassa le crâne, à lui et à ses camarades. Quand Alessandro eût fini de donner une leçon à ces messieurs, sa grand-mère, tenant, de son bras tendu la lampe haut au-dessus de sa tête pour éclairer la scène – la nuit était tombée entre-temps -, cria aux paysans qui avaient assisté en cercle, muets et tremblants, au combat : « Et maintenant, nettoyez le terrain de toute cette saloperie qu'Alessandro a dû faire à cause de votre lâcheté. Allez, au travail ! »
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Elle le dit avec un tel désir de confirmation que je ne me sens pas de la décevoir. Jean ne le ferait jamais, de décevoir une femme fragile sans défense. Un petit mensonge est toujours préférable à une vérité cruelle, comme dit mon père, et je m'entends dire :
-Eh oui, je suis triste que tu t 'en ailles.
J'avais l'intention de dire un mensonge mais, complexité de la nature humaine !, en le disant je comprends que c'est vrai, ça me rend triste, et en un clin d’œil, exactement comme au cinéma, je me retrouve enlacée à ses énormes épaules – on dirait des coussins, oh -, à sangloter et, chose vraiment honteuse, à l'implorer de ne pas partir, de ne pas nous laisser dans la poussière qui à chacun de ses départs s'accumule sur le sol, sur les meubles, sur mon corps même.
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J'ai éprouvé d'autres fois ce vide terrible de ne pouvoir communiquer un enthousiasme.
Voilà comment la bourgeoisie émissaire du pouvoir corrompt ceux qui les divertissent, les corrompt avec des gâteaux de riz. Ce n'est pas qu'elle vous dire : si tu me racontes ce que je veux de façon à ce que ça m'amuse, je te donne, mettons, mille lires... Comme ça ce serait facile parce que toi, l'artiste, tu répondrais : eh non ! Je te raconte ce qui m'amuse, moi, et je ne me vends pas. Mais avec le croquant frit passé ensuite dans le miel fondu doré comme la soie...
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