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Critique de Fabinou7


Rendez-vous avec Goliarda,

Sapienza est aujourd'hui une écrivaine reconnue mais l'actrice et activiste anarchiste italienne fut totalement ignorée de son vivant, ce qui est de l'ordre du mystère pour moi…

“Ce n'est pas cette façon de se rouler, matière et âme, dans une mer huileuse de lascivité… même les montagnes, c'est incroyable, ont l'air de corps voluptueux en attente d'étreintes furieuses, seins tendus, cuisses grandes ouvertes, dos étendus sur le sable en attente de caresses.”

“Avoir des enfants vous rend froid envers les autres”. Sans doute commencerez-vous par entrer prudemment dans les eaux de Positano, vous mouillant un peu la nuque, parce qu'on vous a appris à vous méfier des chocs thermiques (et littéraires), marcherez sur la pointe des pieds, par peur des histoires vaseuses et pour éviter que l'écume des vagues opaques d'un style inconnu, préjugées peu hospitalières, ne rencontrent votre timoré nombril ; la structure du livre, de petits chapitres ramassés et tous essentiels, vous aidera dans cette immersion progressive… Mais lorsque vous vous rendrez à cette évidence que le charme opère, ce sera trop tard, vous n'aurez déjà plus pied…

Car, dans Rendez-vous à Positano, paru en 1984, il y a tout ce qu'on peut aimer dans la littérature : la vie matérielle et psychologique poétiquement, ironiquement, sensuellement traduites dans tout ce qu'elles peuvent avoir de machinal, d'inconscient et que la littérature révèle, brocarde et sublime. Cela dans un style d'une fluidité totale, sans aucune barrière, en dépit des fulgurances stylistiques et réflexives. Comme souvent avec un bon livre, ce n'est pas tant ce qui est narré qui rend l'expérience de lecture singulière et prenante mais l'art et la manière de réinventer la narration. C'est un livre qu'il faudrait pouvoir savourer, mais si l'on n'y prend garde, on finit par le dévorer… Tout n'est pas gai dans cette histoire, loin s'en faut, mais tout est livré d'une façon à la fois légère et dense, c'est peut-être là ce fameux “art de la joie” que l'écrivaine italienne portera en gestation de nombreuses années et qui sera le ciment de sa gloire posthume.

“Personne ne peut garder le silence sur soi-même toute sa vie, sous peine de folie.” C'est un roman qui nous parle parce que c'est un roman qui parle. Les dialogues dominent quantitativement l'ouvrage, et le mélange entre les pensées, les mots et les descriptions est coloré, rythmé et imagé, le moins que l'on puisse attendre de celle qui triompha au théâtre dans sa jeunesse et travailla des années pour les cinéastes, notamment Visconti.

Intimité, promiscuité ; la narratrice est une sorte de conducteur entre le lecteur et la confession d'Erica. Cette bourgeoise magnifique au destin romanesque qui envoute complètement la narratrice, entre amitié indéfectible et candide flirt saphique. Mais c'est par le retrait, l'effacement apparent de “Luzza” que finalement le lecteur apprend à connaître véritablement Sapienza, telle qu'elle se donne à lire. Notamment ses pensées souterraines, derrière les discussions avec son amie et l'exigence permanente de l'écrivaine, de nous faire sentir l'état intérieur dans lequel la narratrice s'exprime, observe, réplique ou garde le silence.

“Les maisons les plus belles, comme les personnes, peuvent devenir odieuses si on ne s'en éloigne pas de temps en temps”. Les lieux et les liens contribuent à tisser une atmosphère familière et nourricière pour le lecteur : le village pittoresque, la maison d'Erica, la barque, les rituels de l'été, les chassés-croisés amoureux et même les réflexions sur la littérature (des références au Dieu gardien des flâneurs Oblomov : allez quatre étoiles rien que pour ça…) et à ce que la littérature peut consigner de la vie, comment elle peut prolonger l'existence et la mémoire.

"Le soleil apaise un peu la douleur, au moins ce qu'il faut pour la rendre supportable." On peut sans mièvrerie qualifier “Appuntamento a Positano” d'étincelant, l'étincelle dans les yeux de Goliarda lorsqu'elle admire Erica pareille à celle que les reflets du soleil donnent aux perles d'écumes sur les eaux lancinantes de la cote amalfitaine.

Bel été,
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