Un roman qui date du temps où on visionnait des cassettes VHS et où il n'y avait pas de téléphone portable ! L'intrigue est assez vite posée, c'est un professeur d'histoire vaguement dépressif qui remarque dans une vidéo un acteur secondaire qui a tout l'air d'être son double parfait. Commence alors une investigation qui devrait conduire fatalement à une rencontre, mais grâce à un style qui lui a valu le prix Nobel (je suppose que dans ses autres titres, il n'en a pas changé),
José Saramago retarde page après page ce moment, en tissant une toile de considérations et de banalités quotidiennes qui fixe le lecteur (sauf s'il décroche, c'est un risque) en maintenant le suspense et en le privant de la liberté de remettre en cause certains aspects du récit.
On s'étonne cependant que le professeur d'histoire du récit à aucun moment n'évoque les déclinaisons passées et présentes du thème du « Doppelgänger », qui fait notamment partie des traditions nordiques, que l'on retrouve chez les frères Grimm, ainsi que dans un lied de Schubert sur un poème de
Heinrich Heine dans le cycle Schwanengesang. Il apparaît par ailleurs chez Dostoïevsky (le Double), ou encore chez
Poe (
William Wilson, d'où
Louis Malle a tiré son segment dans le film à sketches
Histoires extraordinaires sorti en 1968). La SF, la littérature fantastique a aussi largement exploité les thèmes du double, du jumeau, du clone, etc.
José Saramago parvient encore à postposer le dénouement au moment où il semble imminent et réussit (sauf si on se lasse) à redonner de l'intensité, du malaise et de la profondeur à ce genre en restant dans le cadre ordinaire du quotidien, avec cet humour et ce ton légèrement sarcastique qui m'ont rappelé
Mario Levrero, l'auteur uruguayen du Roman lumineux et du Discours vide.
Je dois avouer que le dénouement proprement dit m'a un peu déçu mais comme il n'intervient que très tard, c'est finalement dans tout ce qui précède que j'ai trouvé la valeur de ma lecture.