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Geneviève Leibrich (Traducteur)
EAN : 9782020403436
384 pages
Seuil (09/03/2000)
4.13/5   1325 notes
Résumé :
Un homme devient soudain aveugle. C'est le début d'une épidémie qui se propage à une vitesse fulgurante à travers tout le pays. Mis en quarantaine, privés de tout repère, les hordes d'aveugles tentent de survivre à n'importe quel prix. Seule une femme n'a pas été frappée par la "blancheur lumineuse." Saura-t-elle les guider hors de ces ténèbres désertées par l'humanité ?
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Critiques, Analyses et Avis (209) Voir plus Ajouter une critique
4,13

sur 1325 notes
Saramago, ce diable de Saramago… On comprend aisément à la lecture de L'Aveuglement que cette oeuvre ait marqué celles et ceux qui l'on lue. BLAM ! la claque ! Parce que ce petit pépère, avec ses grosses lunettes et son air de ne pas y toucher, nous envoie en pleine face l'immonde, l'indicible vérité ; la puanteur ensevelie en chacun de nous et qu'on juge totalement inavouable.

Inavouable parce qu'on a honte de nous même, parce qu'on a honte de se savoir fait de cette argile-là. Argile qui vue d'ici ressemble comme deux gouttes d'eau à de la merde. Oui, le mot est cru mais il n'en existe pas d'autre pour exprimer avec autant de force tout le dégoût qu'il contient. Fange, c'est trop joli, ça rime avec ange, alors que l'autre, il ne rime qu'avec lui-même ou bien des dérivés comme " emmerde ", " démerde " et, à la rigueur certaines formes conjuguées du verbe " perdre ".

Bon, je l'avoue, ce n'est pas tout à fait un hasard si j'ai choisi ces quatre mots car ils résument à eux seuls tout ce qui attendrait une communauté frappée d'aveuglement. D'abord ils perdent, puis viennent les emmerdes, alors il faut qu'ils se démerdent et finalement, ils pataugent tous dans leur … bon, bref, je vous laisse imaginer la suite.

Ce livre est vraiment étonnant et incroyable, car avec rien ou presque, en étant pourtant complètement dans le réel, en introduisant simplement une toute petite variable, il nous plonge dans la science-fiction pure et dure : c'est implacable.

Un truc tout bête : une personne tombe aveugle subitement en pleine rue au volant de sa voiture. En soi, même si c'est peu probable, on se dit que ça pourrait arriver. L'élément narratif qui modifie tout, c'est que cette pathologie est contagieuse ; toute personne approchant de cet aveugle le devient elle aussi en quelques minutes ou quelques heures.

Si bien que ce cas isolé ne tarde pas à devenir une épidémie sans précédent. Voilà, la science-fiction s'arrête ici, ensuite, il suffit juste de laisser agir l'humain sur cette mixture pour voir ce qui arrive. (Vous qui avez des yeux, profitez-en.)

Et là, c'est l'apocalypse ! Pas besoin d'être particulièrement clairvoyant pour s'apercevoir que José Saramago a une assez piètre opinion de l'humain en général et, malheureusement, nous ne saurions totalement lui donner tort. Se recrée alors un univers concentrationnaire, se recréent alors l'enfer pestilentiel des lazarets ou les ravages imaginables des villages de cholériques, tels qu'ont pu nous les décrire Albert Camus ou Jean Giono.

Toutefois avec cette nuance supplémentaire, à savoir qu'ici, le mal ne tue pas et donc qu'il autorise toutes les sauvageries, toutes les bestialités, toujours présentes en l'humain, en chacun de nous, et que le vernis social n'a qu'assoupi, conjoncturellement assoupi. L'histoire des camps de la Seconde guerre mondiale prouve, à qui en douterait encore, qu'en situation extrême les victimes se transforment facilement entre-elles en abjects bourreaux, en bêtes immondes dénuées de toute " humanité ".

José Saramago nous rappelle avec amertume que c'est pourtant " ça ", l'humain. Eh oui, on n'ose pas y croire, on en a honte, on ne veut pas le voir, et pourtant, c'est sans doute ce qu'il y a de plus universellement " humain " dans l'humain : la bestialité de son instinct de survie.

Cette première partie du livre, au sein du centre fermé destiné à recevoir les personnes frappées de cécité tandis que le reste de la société continue à fonctionner m'a littéralement enthousiasmée. Je la trouve horrible, absolument écoeurante mais je la trouve juste, bien sentie, très crédible, en tous points exceptionnelle. En revanche, j'ai été moins séduite par le second temps du roman, hors du centre fermé.

On sent que l'auteur a cherché à atténuer un peu son propos, à rendre l'humain un peu plus fréquentable, à ne pas passer pour un pur misanthrope. Selon moi, c'est une erreur : je trouve qu'il fait perdre un peu de sa puissance au livre. Mais cela n'engage que moi, comme je l'écris souvent.

Il faut maintenant en venir au message de cette seconde partie d'ouvrage, qui me semble intéressante aussi, mais dont j'ai moins aimé le traitement. En deux mots, le fait que nous sommes aveugles en croyant voir. Nous survolons, nous croyons connaître en ne faisant qu'effleurer, tant les choses, que l'organisation sociale à laquelle nous appartenons, que les gens que nous côtoyons. Nous nous figurons les connaître en n'examinant que leur " épiderme " psychique.

Nous sommes tellement, tellement plus complexes ; le monde dans lequel nous évoluons est tellement, tellement autre chose que ce que nous croyons qu'il est après un examen rapide, trop rapide, ce à quoi nous nous arrêtons communément.

On peut très certainement y lire aussi une forme d'avertissement d'ordre plus politique. La notion floue " d'intérêt général " qui pousse les états à parquer des hommes comme des bêtes dans un centre clos dénué de tout, même de l'essentiel. Et si l'aveuglement c'était ça aussi ? Notre cécité à percevoir la tyrannie dans ce qui se donne des airs démocratiques au-dessus de tout soupçon ?

Donc, prenons le temps… Explorons, avec tous nos sens si possible… Détachons-nous de notre aveuglement, et… lisons Saramago. Mais ce n'est bien évidemment qu'un modeste avis, qui n'y voit que d'un oeil, c'est-à-dire, pas grand-chose.

N. B. : Je tiens à remercier chaleureusement André qui m'a offert et permis de découvrir ce livre. Cette critique lui est amicalement dédiée ; il se reconnaîtra.
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Jose Saramago, prix Nobel de littérature en 1998 signe ici avec l'aveuglement une fiction ahurissante car de sa plume, il fait de l'inimaginable une réalité plausible mais combien effrayante.

Un homme perd la vue à un feu rouge. C'est le début d'une pandémie où chacun perdra la vue en très peu de temps. Une seule femme sera épargnée, la femme du médecin. Car ici, nul n'est nommé. le filou voleur de voitures, l'enfant louchon, la femme aux lunettes teintées, l'homme au bandeau noir. Saramago ne les nomme pas comme s'ils n'existaient déjà plus. C'est d'ailleurs là que se trouve le poumon de ce livre: être privé de la vue c'est être privé de la vie. Être privé de la vie, c'est être banni des règles de civilité, du respect, de savoir vivre et savoir être.

Ce premier petit groupe d'aveugles sera reclus en quarantaine dans un vieux dortoir désaffecté. Enfermés, privés de liberté, affamés et souillés. Ils devront faire face aux diverses humiliations suprêmes, la merde est partout, l'odeur devient pestilentielle. Quand arrive le second groupe de plus de deux cent personnes, les conflits s'annoncent.
Survivre est l'unique but pour ces aveugles. Si la solidarité permettait une certaine stabilité à dix, celle-ci éclate quand centuple le nombre. Car l'homme sait se montrer primaire, bestial, égoïste, tortionnaire pour assouvir sa faim. Certaines scènes ont été très éprouvantes. Quand un leader se forme et bascule dans l'ignominie. Inutile de vous faire un dessin, l'homme est d'une cruauté sans égale quand la société et ses jolies règles s'effondrent.

Ce roman d'anticipation est brillant, entraînant et addictif. Oppressant et nauséabond à souhait. Fourmillant de messages existentiels à la pelle.
L'écriture est intelligente et sait nous tenir en haleine.
On reprochera peut-être à l'auteur de ne pas s'attarder sur l'origine du fléau, sur les angoisses des uns et des autres de vivre dans le noir du jour au lendemain. Ce roman est une plongée en autarcie dans l'enfer humain. L'enfer c'est les autres disait Sartre, on nage en plein dedans.

Toute la complexité de ce roman tient à mon humble avis sur le message d'alerte et sur toute la symbolique visuelle que nous assène l'auteur. Pour voir, il faut être humain. Nous passons notre vie ensemble sans nous voir et pire, sans même nous comprendre. Sans nos yeux, territoire de l'âme, clés de la compréhension, de l'humanité, de l'ouverture, du monde, il nous est bien impossible de vivre de manière éclairée.
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L'Aveuglement” est le roman le plus captivant qu'il m'ait été donné de lire depuis longtemps mais aussi celui que j'ai refermé avec le plus grand soulagement. Son atmosphère oppressante et nauséabonde, rien que d'y penser j'en ai la chair de poule !

Imaginez une pandémie qui, en quelques semaines, frappe de cécité la population dans son ensemble ! La dimension extraordinaire et brutale du cataclysme empêche la mise en place de la moindre organisation salvatrice et engendre un chaos absolu.
Sans eau, sans électricité, les aveugles errent en groupes disparates à la recherche de nourriture qui jour après jour se raréfie dans les magasins saccagés. Les personnes les plus vulnérables expirent dans la rue au milieu des voitures abandonnées et des déjections de toutes sortes. Les cadavres encore chauds sont la proie de chiens faméliques, de rats énormes, d'oiseaux nécrophages...
Le lecteur accompagne un groupe d'une dizaine de personnes, les toutes premières victimes du fléau mises en quarantaine, qui dans son malheur a la chance inespérée de compter en son sein une femme qui voit encore. Cette dernière par prudence feint la cécité et seul son mari, médecin ophtalmologue, est au courant de cette heureuse anomalie du destin.

Avec “L'Aveuglement”, paru en 1995, le futur Nobel José Saramago signe une fiction incroyablement réaliste dans laquelle la bestialité prend rapidement le pas sur toute humanité. Heureusement le comportement altruiste et l'intelligence de la femme du médecin atténuent quelque peu la noirceur ambiante !
L'étrangeté de cette fiction est encore accentuée par la syntaxe singulière de l'écrivain portugais chez qui la virgule est reine.

Constamment collé aux basques des protagonistes dans leurs déplacements à tâtons, le lecteur sidéré par le degré apocalyptique de l'intrigue fera jusqu'au dénouement... les yeux ronds.
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Réglez vos mirettes !
Ni vu, ni connu, imaginez qu'un bonhomme, puis deux, puis trois, puis beaucoup, les enfants, les femmes, les construits, les déconstruits, les mal construits, les reconstruits et les bien foutus, everybody en body ou en peignoir, perdent subitement la vue au volant de leur voiture, pendant une séance chez un ophtalmo ou en beurrant des tartines.
Pas vu pas pris ? Et bien si. le gouvernement tente d'enrayer l'épidémie en réquisitionnant un hospice abandonné pour enfermer les victimes et les cas contacts. Quelques aveugles de naissance égarés sont également enfermés, principe de précaution oblige. L'armée est chargée de les rationner avec ordre de tirer à vue en cas d'évasion.
Dans cette quarantaine forcée, à la solidarité initiale entre victimes va succéder le pire et le meilleur de l'humanité. Pour ne pas abandonner son mari devenu aveugle, une épouse, bon pied bon oeil, s'est laissée enfermer avec les obtus de la cornée et va tenter de sauver son mari et ses anciens patients : un enfant bigleux, une jeune fille aux lunettes teintées, un vieillard au bandeau noir, le patient 0 et un voleur de voitures en bonus.
Comme la cécité a touché aussi bien de bons samaritains que de viles crapules, la loi du plus fort s'instaure au sein de cette communauté fortiche à Colin-maillard, où s'entassent plusieurs centaines de malades. En mode survie, revenus à l'état de nature, les besoins primitifs de chacun priment peu à peu sur toute humanité. C'est oeil pour oeil. Tout le monde peut se garer sur les places pour handicapés.
Je vous conseille d'acheter cette fable immorale du prix Nobel Portugais les yeux fermés. Ce texte, paru en 1995, n'est pas seulement dérangeant et passionnant, il nous rappelle de la façon la plus crue, dans un récit qui n'épargne aucun détail, qu'il est plus important d'observer que de voir sans regarder. L'auteur tape aussi comme à son habitude sur les pouvoirs autoritaires et sur l'individualisme.
Je n'ai pas suivi cette histoire en confiance comme un aveugle suit son labrador sur un passage piéton. José Saramago m'a fait traverser une autoroute les yeux bandés derrière un caniche. Il fait du lecteur un voyeur, détaillant ce que les personnages ne peuvent plus voir, les impudeurs, la saleté, l'oubli de soi et un rapport au corps débarrassé du regard des autres. Pratique pour se balader à poil dans son jardin mais un brin humiliant quand il s'agit de fréquenter les toilettes publiques en nocturne. Cette cécité protège finalement ses personnages de l'ignominie qu'ils supportent.
Ce roman, adapté au cinéma dans un film que Julianne Moore ne parvient pas à sauver malgré son talent ( « Blindness – 2008), prend une dimension de récit post apocalyptique quand les personnages quittent leur prison et tentent à tâtons de parcourir une ville où la recherche de nourriture constitue l'unique raison de vivre.
L'auteur portugais n'a jamais été tendre avec la religion mais ce roman a une résonnance biblique avec la parabole du Christ pour les pharisiens : « Ce sont des aveugles qui guident des aveugles. Or si un aveugle guide un aveugle, ils tomberont tous les deux dans la fosse. » Source Evangiles selon Luc, Matthieu et Wikipédia qui marche aussi avec les moutons. Brueghel en a fait un tableau, forcément très gai.
Il faut croire qu'il n'y a pas que l'amour qui rend aveugle.
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Science-fiction et Prix Nobel peuvent cohabiter et même faire bon ménage : L'Aveuglement est un roman de José Saramago, prix Nobel de littérature en 1998, et seul auteur portugais à avoir eu cet honneur.

Un homme au volant de sa voiture ne redémarre pas au feu vert. Concert de Klaxons et protestations n'y feront rien : l'homme est subitement devenu aveugle! C'est inquiétant et intrigant, mais très vite on comprend que c'est le cas index d'une série interminable de cécités subites : le seul contact visuel avec une personne atteinte par ce « mal blanc » (ces aveugles-là ne sont pas plongés dans les ténèbres mais dans un vide blanc), provoque la maladie.

Rapidement les autorités réagissent et parquent les sujets atteints dans un hôpital psychiatrique désaffecté. Les conditions sont ultra-précaires et rapidement les parias sont confrontés à des obstacles de toutes sortes, et à des conditions d'hygiène épouvantables. Et une femme parmi eux s'en rend compte de manière plus aiguë que les autres puisqu'elle est la seule à ne pas être atteinte. Elle a juste feint le handicap pour accompagner son mari.

Lorsque les cas se multiplieront au dehors, l'existence des reclus, plus de trois cent dans des locaux destinés à recevoir nettement moins de pensionnaires, les conditions de survie deviendront inhumaines. Et c'est alors que se manifeste la part animale de l'homme.


Autant dire que le récit est terrifiant et l'empathie nous fait souffrir avec eux. Peu importe que l'idée de départ soit peu crédible. Les conséquences, elles, sont totalement plausibles. Et l'horreur de la dégradation physique et des souffrances charnelles est amplifiée par l'infamie des outrages psychologiques. C'est glaçant.

Le style est particulier et demande une attention soutenue : les dialogues ne sont pas séparés du récit, les phrases, juste sépares par des virgules, ce qui oblige à s'interroger sur qui dit quoi. Difficile de juger de la traduction, mais le style m'a plu parfois bizarre.

D'autres particularités rendent ce récit singulier, comme l'absence d'identité des personnages, nommés en fonction des circonstances qui les ont introduits dans le roman : la femme du médecin, le premier aveugle, le chien des larmes…

C'est un roman marquant. Merci à Gwen21 pour ce cadeau.
Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Citations et extraits (207) Voir plus Ajouter une citation
À partir de ce moment-là, à l'exception de quelques commentaires isolés, inévitables, le récit du vieillard cessera d'être écouté attentivement et sera remplacé par une réorganisation de son discours en fonction du vocabulaire utilisé, dans le but d'évaluer l'information reçue. La raison de ce changement imprévu d'attitude est à chercher dans l'emploi du verbe maîtriser, passablement recherché, par le narrateur, qui faillit presque le disqualifier de sa fonction de narrateur complémentaire, important, certes, car sans lui nous n'aurions aucun moyen de savoir ce qui s'est passé dans le monde extérieur, de sa fonction de narrateur complémentaire, disions-nous, de ces événements extraordinaires, alors que chacun sait que la description d'un fait, quel qu'il soit, a tout à gagner de l'utilisation de termes rigoureux et appropriés. […] Un commentateur de télévision trouva la métaphore appropriée et compara l'épidémie, ou quel que soit le nom du phénomène, à une flèche lancée très haut dans les airs qui, ayant atteint l'apogée de son ascension, s'arrête un moment comme en suspens et commence aussitôt après l'inéluctable descente que la gravité s'efforcera d'accélérer avec le consentement de Dieu jusqu'à la disparition du terrible cauchemar qui nous tourmente, et avec cette invocation le commentateur revenait à la trivialité des échanges humains et à l'épidémie proprement dite. Une demi-douzaine de mots de ce genre était constamment utilisée par les grands moyens d'information qui finissaient toujours par former le vœu pieux que les infortunés aveugles retrouvent promptement leur vue perdue, et en attendant ils leur promettaient la solidarité de l'ensemble du corps social organisé, tant officiel que privé. […] Malheureusement, l'inanité de pareils vœux ne tarda pas à être démontrée, les espoirs du gouvernement et les prédictions de la communauté scientifique s'en allèrent tout bonnement en eau de boudin. […] L'effet conjugué de l'inutilité manifeste des débats et de certains cas de cécité subite en plein milieu des séances où l'orateur s'écriait, Je suis aveugle, je suis aveugle, mena les journaux, la radio et la télévision à cesser presque entièrement de rendre compte de ces initiatives, à l'exception du comportement discret et à tous égards louable de certains organes d'information qui, faisant leurs choux gras du sensationnalisme sous toutes ses formes, des heurs et des malheurs d'autrui, n'étaient pas prêts à manquer la moindre occasion de raconter en direct, avec tout le tragique exigé par la situation, la cécité subite, par exemple, d'un professeur d'ophtalmologie.
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Le mal dont souffrait la jeune fille aux lunettes teintées n'était pas grave, elle avait juste une conjonctivite des plus simples que le topique en doses légères prescrit par le médecin guérirait en quelques jours. Et vous le savez sûrement déjà, pendant ce temps-là, n'ôtez vos lunettes que pour dormir, lui avait-il dit. La plaisanterie était loin d'être nouvelle, on peut même supposer que les ophtalmologues se la transmettaient de génération en génération, mais l'effet se répétait à chaque fois, le médecin souriait en la disant, le patient souriait en l'entendant, et en l'occurrence cela valait la peine car la jeune fille avait de jolies dents et savait les montrer. Par misanthropie naturelle ou pour avoir connu trop de déceptions dans la vie, un sceptique ordinaire qui eût connu les détails de la vie de cette femme eût insinué que la beauté du sourire n'était que rouerie professionnelle. […] En simplifiant donc, l'on pourrait inclure cette femme dans la catégorie des prostituées, mais la complexité de la trame des relations sociales, tant diurnes que nocturnes, tant verticales qu'horizontales, de l'époque ici décrite invite à mettre un frein à la tendance aux jugements péremptoires et définitifs, défaut dont nous ne parviendrons peut-être jamais à nous débarrasser en raison de notre suffisance excessive. […] Sans doute cette femme va-t-elle au lit contre de l'argent, ce qui permettrait vraisemblablement de la classer sans autre considération dans la catégorie des prostituées de fait, mais comme il est avéré qu'elle ne le fait que quand elle le veut et avec qui elle le veut, il est probable que cette différence de droit doive déterminer à titre de précaution son exclusion de la corporation. […] Si l'on ne veut pas la réduire à une définition primaire, ce qu'il faudra finalement dire d'elle, sur le plan général, c'est qu'elle vit comme bon lui semble et qu'en plus elle en tire tout le plaisir qu'elle peut.
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Ils traversent une place où des groupes d'aveugles s'amusaient à écouter les discours d'autres aveugles, à première vue aucun ne semblait aveugle, ceux qui parlaient tournaient la tête avec véhémence vers ceux qui écoutaient, ceux qui écoutaient tournaient la tête avec attention vers ceux qui parlaient. L'on proclamait les principes fondamentaux des grands systèmes organisés, la propriété privée, le libre-échange, le marché, la Bourse, la taxation fiscale, les intérêts, l'appropriation, la désappropriation, la production, la distribution, la consommation, l'approvisionnement et le désapprovisionnement, la richesse et la pauvreté, la communication, la répression et la délinquance, les loteries, les édifices carcéraux, le code pénal, le code civil, le code de la route, le dictionnaire, l'annuaire téléphonique, les réseaux de prostitution, les usines de matériel de guerre, les forces armées, les cimetières, la police, la contrebande, les drogues, les trafics illicites autorisés, la recherche pharmaceutique, le jeu, le prix des cures et des enterrements, la justice, l'emprunt, les partis politiques, les élections, les parlements, les gouvernements, la pensée convexe, la pensée concave, plane, verticale, inclinée, concentrée, dispersée, fuyante, l'ablation des cordes vocales, la mort de la parole. Ici on parle d'organisation, dit la femme du médecin à son mari, J'ai remarqué, répondit-il, et il se tut.
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Vous êtes-vous heurté violemment la tête, aujourd'hui ou hier, Non, docteur, Quel âge avez-vous, Trente-huit ans, Bon, nous allons examiner vos yeux. L'aveugle les écarquilla tout grands, comme pour faciliter l'examen, mais le médecin le prit par le bras et l'installa derrière un appareil dans lequel quelqu'un doué d'un peu d'imagination eût pu voir un confessionnal d'un nouveau modèle, où les yeux eussent remplacé les paroles et où le confesseur eût regardé directement dans l'âme du pécheur, Appuyez le menton ici, recommanda-t-il, et gardez les yeux ouverts, ne bougez pas.
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Tu n'as encore rien fait qui soit vraiment répréhensible. Comment peux-tu le savoir, tu n'as jamais vécu avec moi. Oui, je n'ai jamais vécu avec toi, Pourquoi répètes-tu mes paroles sur ce ton, Quel ton, Le ton que tu as pris. J'ai seulement dit que je n'avais jamais vécu avec toi, Le ton, le ton, ne fais pas celui qui ne comprend pas, N'insiste pas, je t'en prie, Si, j'insiste, j'ai besoin de savoir, Revenons aux espoirs, Bon, revenons-y. L'autre exemple d'espoir que j'ai refusé de dire c'est ça, Ca quoi, La dernière autorécrimination de ma liste, Sois plus clair, s'il te plaît, je ne comprends rien aux charades, Le désir monstrueux que nous ne recouvrions pas la vue, Pourquoi, Pour continuer à vivre comme ça, Tu veux dire tous ensemble, ou bien toi avec moi, Ne m'oblige pas à répondre, Si tu étais juste un homme tu pourrais éluder la réponse, comme font tous les hommes, mais tu as dit toi-même que tu étais un vieillard, et un vieillard, si avoir vécu aussi longtemps a un sens, ne devrait pas tourner le dos à la réalité, réponds, Moi avec toi, Et pourquoi veux-tu vivre avec moi, Tu veux que je le dise devant tout le monde, Nous avons fait les uns devant les autres les choses les plus sales, les plus laides, les plus répugnantes, ce que tu as à me dire n'est sûrement pas pire, Eh bien si tu le veux, soit, parce que l'homme que je suis encore aime la femme que tu es, Ca t'a donc tant coûté de faire une déclaration d'amour, A mon âge, le ridicule fait peur, Tu n'as pas été ridicule, Oublions ça, je t'en supplie, Je n'ai pas l'intention d'oublier ni de te laisser oublier. C'est absurde, tu m'as obligé à parler, et maintenant, Et maintenant c'est mon tour, Ne dis rien que tu puisses regretter, rappelle-toi la liste noire, Si je suis sincère aujourd'hui, qu'importe que je doive le regretter demain, Tais-toi, Tu veux vivre avec moi et je veux vivre avec toi, Tu es folle, Nous vivrons désormais ensemble ici comme un couple et nous continuerons à vivre ensemble si nous devons nous séparer de nos amis, deux aveugles doivent pouvoir voir plus qu'un aveugle, C'est de la folie, tu n'es pas amoureuse de moi, Qu'est-ce que c'est cette histoire d'être amoureuse, je n'ai jamais été amoureuse de personne, j'ai juste couché avec des hommes, Tu me donnes raison, Ce n'est pas vrai, Tu as parlé de sincérité, dis-moi donc s'il est vraiment vrai que tu m'aimes, Je t'aime assez pour vouloir être avec toi, et c'est la première fois que je dis ça à quelqu'un... (...)
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Charlotte Ortiz, traductrice de "Traité sur les choses de la Chine" de Frei Gaspar da Cruz (ouvrage à paraître) nous fait le plaisir de nous parler de deux livres importants pour elle. "L'aveuglement" de José Saramago, roman parlant d'une pandémie ... elle vous en dira plus et, "Européens et japonais, traité sur les contradictions et les différences de moeurs" de Luís Froís où il est question, entre autres, de genre, de cuisine et de belles perspectives ;) !
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