Tu me plais, je crois que je t’aime, dit honnêtement José Anaiço. Tu me plais aussi, et je crois que je t’aime aussi, c’est pour cette raison que je t’ai embrassé hier, non, non, ce n’est pas tout à fait ça, je ne t’aurais pas embrassé si je n’avais déjà senti que je t’aimais, mais je peux t’aimer encore bien davantage. Tu ne sais rien de moi. Si pour aimer quelqu’un il faut attendre de le connaître, la vie entière n’y suffirait pas. Tu doutes que deux personnes puissent se connaître. Et toi, tu y crois. C’est à toi que je pose la question. Dis-moi d’abord ce que c’est que connaître. Je n’ai pas de dictionnaire. Si tu en avais un, tu apprendrais ce que tu sais déjà. Les dictionnaires ne disent que ce qui peut être utile à tout le monde... (p.148)
Dans le bureau de tourisme une employée leur demanda s’ils étaient des archéologues ou des anthropologues portugais, qu’ils étaient portugais, ça se voyait tout de suite, mais anthropologues ou archéologues, pourquoi donc. Parce que, généralement, il n’y a qu’eux qui se rendent à Orce, il y a plusieurs années on a découvert tout près de là, à Venta Micena, l’Européen le plus ancien. Un Européen entier, demande José Anaiço. Juste un crâne, mais très vieux, il doit se situer entre un million trois cent mille et un million quatre cent mille ans. Et on est sûr qu’il s’agit d’un homme, s’informa, subtilement, Joaquim Sassa, ce à quoi Maria Dolores répondit, avec un sourire entendu. Quand on trouve des vestiges humains aussi anciens, ce sont toujours des hommes, l’Homme de Cro-Magnon, l’Homme de Néanderthal, l’Homme de Steinheim, l’Homme Swanscombe, l’Homme de Pékin, l’Homme de Heidelberg, l’Homme de Java, en ce temps-là il n’y avait pas de femme. Ève n’avait pas encore été créée, elle n’est venue qu’après. Vous êtes ironique. Non, je suis anthropologue de formation et féministe par irritation. (p.73)
Je n’habite pas à Lisbonne mais je connais. Ah, vous n’habitez pas à Lisbonne, répéta inutilement José Anaiço. Ils descendaient la rua do Alecrim, il portait la valise et le bâton., les passants n’auraient pas manqué de penser des choses bien peu aimables de lui s’il n’avait pas porté la valise, et des choses bien peu décentes d’elle si elle avait porté le bâton, tant il est vrai que nous sommes tous d’implacables observateurs malicieux plus souvent qu’à notre tour. (p.114)
L'après-midi est d'une si grande douceur que la gorge se serre d'une émotion qui ne s'adresse à personne, sinon à la lumière, au ciel pâle, aux arbres qui ne s'agitent pas, à la quiétude de la rivière qu'on devine, et qui apparait soudain, miroir lisse que traversent les oiseaux
Ce qu’il y a de bien avec les mots, n’est-ce pas nous qui les inventons, c’est qu'à peine prononcés, ils nous libèrent de nos craintes et de nos émotions, pourquoi, parce qu’ils les dramatisent.
Les bourgs que traverse Deux-Chevaux ont cet air endormi qui est, dit-on, propre aux terres du Sud, des indolents, disent les tribus du Nord, mépris facile, arrogance d’une caste qui n’a jamais eu à travailler avec un pareil soleil sur l'échine.
Por que diz isso, O que tem de ser, tem de ser, e tem muita força, não se pode resistir-lhe, mil vezes o ouvi à gente mais velha, Acredita na fatalidade, acredito no que tem de ser.
…voilà à quoi sert véritablement le silence, à entendre que ce qu’on dit n’a pas d’importance.
…on ne compte pas le nombre de réponses en attente de questions.
…et dire qu’il y a encore qui ne croient pas aux coïncidences, alors que les coïncidences sont ce qu’il y a de plus répandu et de plus programmé au monde, et si ce ne sont pas les coïncidences, alors la propre logique du monde.
... pour que les choses existent il faut que deux conditions soient remplies, que l’homme les voie et qu’il leur donne un nom.