En finir avec plusieurs légendes en s'appuyant sur les textes et les faits, tel était l'objet de ce livre. Des dizaines de biographies de Jeanne présentaient Charles VII comme un roi sans personnalité, influençable, entouré de favoris, qui abusaient de son manque de caractère pour influer sur le cours des événements dans le sens qu'ils voulaient lui donner. Charles VII, d'après les biographes de la Pucelle, ne serait devenu ce qu'il devait être et n'aurait exercé son "métier" de roi qu'après avoir fait sa mue en prenant maîtresse en la personne d'Agnès Sorel. Jeanne, capturée par les Bourguignons en 1430, livrée aux Anglais puis suppliciée sur un bûcher à Rouen en mai 1431, aurait donc été la victime d'un souverain médiocre, qui aurait manqué de reconnaissance envers cette jeune femme qui avait pourtant stoppé l'avance anglaise en rendant impossible la prise d'Orléans en mai 1429 et à qui Charles devait la couronne, déposée sur sa tête le 17 juillet 1429.
Tout ceci est le résultat d'une courte vision de l'Histoire.
Rétablissons les faits simplement :
- en 1420, Charles VI et Isabeau de Bavière écartent de la succession dynastique française leur fils, le futur Charles VII, et lui préfèrent le vainqueur de la bataille
D Azincourt (livrée le 25 octobre 1415), le roi d'Angleterre, Henry V de Lancastre, qu'ils marient à leur fille, Catherine de France ;
- le futur Charles VII en conçoit des doutes sur sa naissance légitime, car le bruit courait qu'Isabeau avait des amants, notamment Louis d'Orléans assassiné en 1407, le pauvre mari de la reine, Charles VI, étant devenu fou et ayant été écarté de sa couche ; la duchesse d'Anjou, Yolande d'
Aragon, avait pris le jeune Dauphin, futur Charles VII, sous sa protection et avait fait de lui son gendre en lui donnant comme épouse Marie d'Anjou ; en octobre 1428, les doutes taraudèrent encore un peu plus l'esprit du jeune Charles car les Anglais vinrent mettre le siège devant Orléans ; si la ville tombait, le verrou de la Loire sautait et c'en aurait été fini de l'existence du royaume de Bourges, car les villes et forteresses de Loches et de Chinon, où Charles résidait très souvent auraient été directement menacées ; désespéré, Charles entra en prière dans son oratoire et demanda un signe au ciel pour écarter de lui cette menace ; il confia sans doute ses craintes à son confesseur, Gérard Machet ; comme on ne savait plus quoi faire, on accepta de faire venir à Chinon une jeune habitante du Barrois mouvant, Jeanne la Pucelle, qui affirmait pouvoir aider le roi si on la plaçait à côté des troupes de ce dernier ; je suis pour ma part persuadé que c'est Gérard Machet qui a mis la jeune fille dans la confidence de l'oraison faite par Charles VII à la Toussaint 1428, et ceci expliquerait le rayonnement du roi à l'issue de son entretien avec la Pucelle ;
- dans ce livre, que j'ai écrit de 2010 à 2014, j'ai voulu mettre en évidence un point qui explique le différend entre le roi et Jeanne : celle-ci avait vu son village natal, Domremy, saccagé et incendié par les troupes bourguignonnes d'Antoine de Vergy, capitaine de Philippe le Bon, duc de Bourgogne, et elle n'avait donc que griefs à l'égard des Bourguignons ; Charles VII, au contraire, voulait faire oublier l'épisode dramatique de l'assassinat du père de Philippe le Bon, Jean Sans Peur, duc Bourgogne, sur le pont de Montereau, en 1419, meurtre que l'on pouvait lui imputer ; il n'avait donc en tête que de faire la paix avec le fils de Jean Sans Peur, Philippe le Bon, de détacher celui-ci de son alliance avec les Anglais, de mettre fin à la désastreuse querelle des Armagnacs et des Bourguignons qui permettait aux Anglais de "diviser pour régner" en France ; Charles VII avait raison : couronné et oint en juillet 1429 dans la cathédrale de Reims grâce à Jeanne, il perdit tous ses doutes, et mit en route son projet de réconciliation avec Philippe le Bon ; Jeanne ne comprit rien à ces affaires et continua sa lutte contre les Bourguignons devant Paris en septembre 1429, et ce fut l'échec, puis devant Compiègne en 1430, et ce fut la capture ; mais Charles VII ne perdit pas de vue son objectif, et, quatre ans après la mort de Jeanne, il obtint de Philippe le Bon la signature d'un vrai traité de paix connu sous le nom de traité d'Arras (1435) ; cela permit aux partisans du roi et aux Bourguignons de réunir leurs forces et de chasser les Anglais de Paris en 1436 ; la politique de retour aux bonnes relations franco-bourguignonnes était donc bien la bonne méthode pour chasser les Anglais du sol de France, et ce fut la condition de la reconquête ; Charles VII était donc un grand roi, et, à l'époque, il n'avait pas encore fait d'Agnès Sor
el sa conseillère sur l'oreiller.
Voilà qui remet les pendules à l'heure et qui montre que Jeanne, emportée dans son élan, a surtout été victime de la fougue de sa jeunesse, et que c'est ainsi que s'explique sa capture et son martyre, et non à la suite d'une trahison.
Les faits parlent, cela n'enlève rien à la valeur de Jeanne mais cela valide aussi ce que je regarde comme l'intelligence politique de Charles VII.
François Sarindar (
François Sarindar-Fontaine), auteur de :
Jeanne d'Arc, une mission inachevée (2015), et de :
Lawrence d'Arabie. Thomas Edward, cet inconnu (2010)