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Critique de vincentf


S'agit-il d'un roman philosophique ? Un être-au-monde dévoilé, celui de l'existant, de l'homme qui sent juste qu'il est de trop, qu'il est matière sans justification, que sa vie n'est pas, qu'il n'a pas de passé, tout ça, c'est sans doute la philosophie de Sartre, le fameux existentialisme, mais ce qui rend cette philosophie intéressante, c'est le fait qu'elle s'incarne d'abord dans le roman, dans la description d'un rapport concret de l'individu au monde qui l'entoure, qu'il ne parvient pas à comprendre mais qui est là, pire, qui existe, et, comme lui, est de trop, au point de foutre la nausée. Faire naître une philosophie de la nausée, du corps, voilà la richesse de Sartre.

Ce roman n'est pas une chef-d'oeuvre littéraire. Il est parfois barbant, écrit souvent de manière banale, mais il y a des passages, ceux où l'être-au-monde nouveau est brusquement découvert, qui parlent au lecteur, qui se voit sommé de sentir, lui aussi, qu'il existe, et ce que ça implique. le lecteur de la nausée ne doit pas, pour comprendre ce qu'il lit, se contenter de déchiffrer la théorie philosophique de l'existentialisme, il doit ressentir dans sa chair ce qu'est l'existence, ce qui se passe quand Roquentin est dégoûté par un galet parce que ce galet n'est, comme tout le reste, que de l'existence sans raison, absurde, comme l'homme. Les choses, dans le monde de Sartre, sont le véhicule de la révélation de ce qui est notre identité, la simple existence toute nue, à chaque instant niée parce que le temps passe, que le passé n'existe pas, qu'il n'y a pas de rédemption par la grâce de l'habitude bachelardienne, qu'à tout instant notre langue peut devenir "un énorme mille-pattes tout vif", que nous pouvons à tout instant devenir un cafard ou un cadavre.

Que faire, alors ? Sartre esquisse une solution, l'écriture, mais sans trop y croire. Que faut-il écrire ? Des romans ? Mais n'est-ce pas créer de l'existant en plus, charger encore plus la barque déjà pleine ? Faut-il alors nier l'évidence perceptive et reconstruire malgré tout une cohérence du monde ? Peut-on vivre sans nous mentir à nous-même, sans faire semblant de croire que le monde, les choses et nous, avons une justification, un sens, un rôle à jouer ? Peut-on vivre sans inventer un Dieu qui ferait de nous des êtres et non pas uniquement des existants ? La nausée est bien un roman philosophique, puisqu'il pose à chaque individu des questions qui remettent en cause jusqu'à sa propre identité, mais il est un roman, qui fait s'incarner cette remise en cause dans un personnage, ce qui a pour effet de donner un impact sur le lecteur beaucoup plus grand que n'importe quel traité de philosophie. Après la lecture de la nausée, je suis cependant obligé de reconnaître un double scepticisme, d'abord parce que cette expérience décrite par Roquentin n'est qu'une expérience de papier vécue par un individu qui, paradoxalement, n'existe pas, et que je n'ai pas moi-même eu cette révélation charnelle de l'existence qui a pour effet de rejeter l'individu dans la solitude, ensuite parce que je ne saisis pas vraiment le fondement philosophique de ce roman, n'ayant pas (encore) lu l'oeuvre proprement philosophique de Sartre, qui m'effraye un peu, comme toute réflexion purement abstraite. La lecture de la nausée va peut-être me permettre de me lancer à l'eau, à faire le pas de lire enfin, comme je le désire depuis longtemps, de vrais textes philosophiques. A suivre.
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