Le cheval trembla et s’arrêta pour écouter. Car Huchté lui parlait toujours avec une voix douce et calme.
Ce n’était plus la voix aigüe d’un enfant malheureux, mais une voix qui montait du fond de lui-même comme une chanson, la voix du vrai Huchté. Huchté qui avait le pouvoir de calmer un cheval sauvage, Huchté qui serait un jour le plus grand dompteur de chevaux de toute la tribu.
Il revit soudain l’homme de son rêve, l’homme aux yeux calmes, sans armes et sans peintures. Et il comprit que l’homme de son rêve, c’était lui-même.
Huchté rêva. Dans son rêve il vit une très haute montagne. Et en haut de la montagne, il y avait la silhouette d’un homme.
Huchté se mit à grimper avec l’agilité d’un cerf. Il ne boitait plus. Il faisait de grands bonds et son coeur était joyeux.
En s’approchant du sommet, il s’aperçut que l’homme lui tournait le dos. Il crut reconnaître son père. Il l’appela par son nom :
Tabloka !
L’homme se retourna. Mais ce n’était pas son père. Il n’avait pas de peintures sur le visage, ni d’armes à la main. Huchté regarda le visage de l’homme : ses yeux étaient calmes comme un ciel d’été. Il ne l’avait jamais vu et pourtant il avait l’impression de le connaître. Huchté regarda le corps de l’homme et il vit qu’il avait un pied déformé. A nouveau, Huchté regarda le visage. Il tendit la main vers l’homme aux yeux calmes. Et l’homme dit :
- Je suis là.
Autrefois, sur la grande Prairie américaine, vivaient des hommes à la peau rouge. Ils ne restaient jamais très longtemps au même endroit car ils suivaient les troupeaux de bisons.
Ils s’habillaient avec la peau du bison et ils mangeaient sa viande.
Leurs maisons, les tipis, se démontaient en quelques minutes. Ils les plantaient en formant un grand cercle ouvert à l’est, là où le soleil se lève.
Ils s’appelaient les Dakotas, ce qui veut dire les alliés. Mais on les connaît mieux sous le nom de Sioux. C’est dans une de leurs tribus que vivait Huchté, un enfant qui ne ressemblait pas aux autres.
Avec un cri aigu, Huchté s’arracha du cercle de lumière. Il courut avec sa drôle de démarche vers l’ombre, à l’extérieur du village. Il courut plus loin encore, boitillant, boitillant, jusqu’à ce que sa douleur éclate. Il se jeta sur le sol boueux de la rivière. Et là, il sanglota tout haut :
- Jamais je ne serai un grand guerrier ! Jamais je ne danserai dans la lumière du feu avec les hommes. Je suis Huchté-le-Boiteux que personne ne remarque, Huchté-le-Boiteux, faible et inutile.
Le soir sous le tipi, son père, Tabloka, le tirait souvent près de lui.
- Ne rêve pas d’une vie impossible pour toi, mon fils, disait-il alors. Ton coeur deviendra froid comme une pierre à force de penser constamment à ton pied. Le monde est grand, Huchté ouvre tes yeux. Observe la vie autour de toi. Elle te montrera ton chemin.