AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Antyryia



Rien que le titre fait froid dans le dos.
Cinq doigts sous la neige.
Des multitudes de questions germent aussitôt dans nos esprits retors.
Ces doigts sont-ils éparpillés ou encore attachés à leur main d'origine ? A leur corps d'origine ?
Ou est-ce que ce sont des doigts de pied ?
Ce ou ces corps sont-ils encore en vie ou ou atteints de la rigidité cadavérique post mortem ?
D'ailleurs, est-ce que ce sont les doigts d'une seule personne ou ceux de cinq personnes différentes ?
Sont-ils brûlés, ensanglantés ? Les ongles ont-ils été arrachés ?
Est-ce que ce sont de gros doigts boudinés, tâchés de nicotine ?
Ou de jolis doigts féminins manucurés et vernis de bleu ciel et d'or, avec des paillettes ?
Est-ce que mettre des doigts dans la neige pendant qu'on dort provoque le même réflexe de la vessie que lorsqu'on plonge une main dans l'eau tiède ?
Autant de questions lancinantes qui m'ont poussé à me procurer le nouveau roman de Jacques Saussey et à le lire aussitôt.
Et croyez-le ou non, depuis que j'ai entamé ma lecture, la température a chuté de dix degrés.
Et je ne crois pas aux coïncidences.

Malgré ses quelques rebondissements, je qualifierais davantage Cinq doigts sous la neige de roman noir ou de roman à l'atmosphère pesante que de thriller.
Angoissant à souhait, il peut rappeler au début Shining de Stephen King ou Vertige de Franck Thilliez pour son côté tempête de neige et huis-clos.
Avec une touche d'Inexorable de Claire Favan, tant pour cet engrenage machiavélique qui se met en place que parce que le livre parle notamment de tout ce qu'un père serait capable de faire pour son fils. Jusqu'à quelles extrémités il serait prêt à aller pour le protéger.
Un sujet peut-être discutable en l'occurrence, mais comme vous le verrez protéger son fils n'est pas juste un instinct paternel mais aussi un acte contenant une part d'égoïsme, d'intérêt personnel.

L'histoire se déroule en septembre 1974, dans les Vosges.
Valérie Giscard d'Estaing avait fixé deux mois plus tôt la date de la majorité en France à dix-huit ans.
Jacques Saussey a volontairement choisi une date lointaine, quand la police ne disposait pas des mêmes moyens qu'aujourd'hui.

Marc Torres est un écrivain de science-fiction de renommée internationale, extrêmement riche.
Extrêmement veuf également, même si le fantôme de feu son épouse Véronique semble hanter sa villa, donnant une dimension parfois surnaturelle et même macabre au roman.
"Une terreur sourde, palpable, aussi tangible et étanche qu'un couvercle de cocotte-minute."
Son fils Alexandre souhaite inviter quelques camarades de classe chez eux afin de célébrer son anniversaire. le père finit par céder mais à une condition : Pas de drogue ni d'alcool.
Alexandre, qui avait envie de s'arracher la tête, insiste. Et son père finit par céder : plusieurs bouteilles de Mister Cocktail, parce que sans alcool la fête est plus folle.
Le jour J ses petits camarades sont conduits un à un par leurs parents. Michelle Morange déposera sa fille Mathilde, aussi jolie que manipulatrice. Jonathan Keller emmènera son fils Romain. Citons également l'inquiétant Pierre, mauvaise fréquentation ou Henri le fils du maire.
En tout dix garçons et cinq filles libres de leurs mouvements tandis que Marc écrit, inspiré, à l'intérieur.
Mais ces jeunes vont-ils pouvoir se contenter d'une fête sage sans qu'un joint ou une bonne bouteille ne circulent entre eux ? Sans que certaines libidos ne se réveillent ?
D'autant qu'une brusque tempête de neige vient perturber la soirée, que les flocons viennent inonder les routes menant chez les Torres, et qu'aucun chasse neige ne passera ce soir pour dégager ces routes devenues impraticables.
"Les milliards de queues de lapin qui tombent du ciel sans discontinuer commencent à recouvrir les traces qu'il a creusées dans le tapis immaculé."
"Les flocons, lourds comme des morceaux de coton congelé, s'abattaient avec une densité qu'il n'avait jamais vu depuis qu'ils étaient venus habiter dans le secteur."

Ce qui se passera exactement cette nuit-là, je vous laisse le soin de le découvrir.
Sachez simplement que Jacques Saussey va doucement placer ses pions tout au long de ses très courts chapitres.
Si le roman est raconté majoritairement par Marc Torres, les narrateurs sont très nombreux et nous permettent de voir progressivement comment des histoires sans lien apparent entre elles finiront par se rejoindre.
Et bien sûr d'avoir les points de vue des différents protagonistes.
Mais seul le lecteur sait ce qui s'est réellement passé.
Par contre il ne sait pas tout non plus, sinon ça ne serait pas rigolo.

Si la dernière partie permet un final en apothéose jusqu'à l'épilogue amoral à souhait, on ne peut pas dire des trois autres qu'elles disposent d'un suspense à couper au couteau.
Leur qualité réside davantage dans leur tension progressive.
Une angoisse sourde, insidieuse, parce que le lecteur est déjà dans l'anticipation de ce qui risque de se passer.
Parce que le décor ( l'isolement, la nuit, les immenses forêts, cette température polaire et son manteau de neige ) se prête tout particulièrement à cette oppression.
Et parce que la peur de certains personnages piégés, qu'ils soient attachants ou non, est communicative. Qu'on la ressent, qu'on se met à leur place si inconfortable soit-elle.

Cinq doigts sous la neige ...
Une ancienne marque de gants qui a fait faillite ?
Des doigts humains, de primates ?
L'un d'eux avait-il un ongle incarné, une verrue, de l'arthrite ?
Sont-ils décomposés ou leur linceul de glace a-t-il permis de les préserver ?
Est ce que seul le majeur pointe tandis que tous les autres doigts sont repliés ?
Pour avoir les réponses à ces questions qui vous taraudent à votre tour, vous savez ce qu'il vous reste à faire.
En prime vous lirez un excellent roman sombre, où le malaise doucement distillé finira par vous envahir.
Seuls certains choix de personnages principaux ou secondaires m'ont parus extrêmes et peut-être discutables.
Ce qui n'a pas entaché mon plaisir pour autant.



Commenter  J’apprécie          537



Ont apprécié cette critique (45)voir plus




{* *}