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EAN : 9782072988769
103 pages
Gallimard (18/08/2022)
3.59/5   28 notes
Résumé :
De petits débris flottent et se déplacent dans le vitré projetant parfois des formes sur la rétine. Ce que l’œil perçoit est l’ombre de ces corps flottants. Comme dans un cosmos, certains se satellisent et s’agrègent. J’ai vécu mon adolescence à Phnom Penh de 1967 à 1970. J’en ai si peu de souvenirs que j’ai laissé toute la place à ces traces, des ombres projetées. En résille, des silhouettes apparaissent, font signe, celles des parents, de mes camarades de lycée, d... >Voir plus
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Mon premier livre de la Rentrée littéraire 2022 : c'est sur « Corps flottants » de Jane Sautière que je me précipite. Elle est tellement rare, cette écrivaine, que c'est un pur délice de se plonger dans ce récit tant attendu.

Et comme on sait qu'elle est née à Téhéran, pourtant française, de parents français, qu'elle a aussi vécu au Cambodge, entre autres pays « exotiques », elle dévoile enfin le pourquoi de ses vies d'enfance et d'adolescence passées aussi loin, et c'était le secret de son père, qu'elle dévoile pour la première fois.
Les secrets de ses parents, de la famille de son père, les secrets de sa mère, encore cachés dans « Mort d'un cheval dans les bras de sa mère« ….

Jane, qui constate que ses yeux vieillissent, décide d'affronter ce vieillissement et part dans ses souvenirs, ce qui a été dit dans sa famille, et surtout le Cambodge qui est le pays où elle a vécu son adolescence.

Avec la délicatesse de ses mots choisis, elle raconte les couleurs, l'éden, le soleil et le fleuve, à Phnom Pen, le fleuve où l'on pouvait nager, et croiser des serpents tête hors de l'eau. Les innombrables fruits inconnus d'elle jusqu'alors, leur goût, leur odeur. Les bêtes de la nuit, margouillats geckos, grenouilles…. Marcher pieds nus, libre.

Et être inscrite au lycée français, où elle découvre l'école mixte, et aussi mixte du fait du mélange d'élèves d'expatriés français et de khmers de bonne famille. C'est la découverte des garçons, du désir, de l'amour, et c'est par petites touches que l'on ressent cette vie adolescente, dans un endroit qui semble un paradis.

Mais au-delà de sa vie là-bas, lorsqu'on dit aux expatriés de repartir vite dans leur pays, c'est la guerre, les massacres, l'histoire en marche, l'histoire atroce qu'elle découvrira bien plus tard, rentrée en france depuis longtemps…. les horreurs des Viet Cong, des Khmers rouges, et elle retrouvera, dans ses recherches, une amie de lycée, sur une des photos que les tortionnaires prenaient avant de tuer leurs prisonniers. L'histoire du Cambodge, les corps flottant dans les rizières… alors que les français, les enfants et ados des familles expatriées sont totalement inconscients de ce qui se passe.

La rencontre avec les livres de Marguerite Duras, qui évoque ce pays, ces mots qui résonnent en elle comme elle le ressent, tout ce monde, cet éden détruit, en cendres, c'est ce qu'évoque Jane fragment par fragment, cette juxtaposition de moments si éloignés mais qui se chevauchent, l'amour et la mort, le paradis et la guerre.

La « guerre d'Indochine », comme on disait, avant, et ce vieux vietnamien qui savait que d'ordinaire les Anglais et les Américains attaquaient les nuits de pleine lune, pour y voir clair, et qui avaient cette fois-là attaqué avec des fusées éclairantes : « Ils sont venus avec leur lune »..

La poésie et la mort, les cendres, des mots sans liens apparents, mais pourtant…….la délicatesse de l'écriture de Jane Sautière nous porte d'un monde à l'autre, par des ponts entre les vies et les morts, les petites anecdotes, les souvenirs de mémoire d'enfant, puis de mémoire d'adulte. Des vies qui se croisent, brodées au petit point, ou des familles qui gardent de sombres secrets, c'est délicat comme une dentelle parfois noircie.



"De petits débris flottent et se déplacent dans le vitré projetant parfois des formes sur la rétine. Ce que l'oeil perçoit est l'ombre de ces corps flottants. Comme dans un cosmos, certains se satellisent et s'agrègent. J'ai vécu mon adolescence à Phnom Penh de 1967 à 1970. J'en ai si peu de souvenirs que j'ai laissé toute la place à ces traces, des ombres projetées. En résille, des silhouettes apparaissent, font signe, celles des parents, de mes camarades de lycée, d'un grand amour. Celles aussi auxquelles la violence de l'Histoire nous attache.
Ici, à Paris, le temps est blême, c'est l'hiver, il est 17 heures, il fait huit degrés. Là-bas, à Phnom Penh, la nuit est totale, il est 23 heures et il fait vingt-six degrés. J'ai voulu écrire dans les deux fuseaux horaires, dans les deux latitudes. Écrire au crépuscule qui est avant tout la survivance de la lumière après le coucher du soleil. J.S. » (4e de Couverture)

L'AUTEURE :

Jane Sautière est née le 12 juin 1952 à Téhéran. Elle a vécu son enfance et son adolescence à l'étranger avant d'achever des études de droit à Assas (Paris). Par la suite, elle est devenue éducatrice pénitentiaire (en Seine-Saint-Denis, à La Santé, dans un service d'accueil de SDF ex-détenus, dans une prison « neuve » du Beaujolais…). Après avoir été longtemps lyonnaise d'adoption, Jane Sautière habite et travaille aujourd'hui à Paris. Elle a publié des nouvelles et des articles dans diverses revues et co-signé Zones d'ombres avec Jean-Marie Dutey (Gallimard, « Série Noire », 1998). Elle est l'auteur de « Fragmentation d'un lieu commun », un premier texte paru aux éditions Verticales en 2003, dans la collection « Minimales », qui a connu un succès critique et public et qui remporte le prix Arald 2003 et prix Lettres frontière 2004.
Lien : https://melieetleslivres.fr/..
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Un livre bouleversant !

Bien sûr des images…
Bien sûr des sensations…
Ce titre, « Corps flottants » n'est-il pas déjà cela : une image et une sensation ?

En évoquant l'oeuvre de Marguerite Duras, l'écrivaine Jane Sautière que j'ai eu l'heur de rencontrer par le passé, écrit : « Il me faut exprimer mon amour […] je ne peux pas faire autrement. Je le fais avec des mots superlatifs sans relief, on voit bien qu'on trahit dès lors qu'on parle des livres essentiels. »
Alors trahirais-je « Corps flottants » en affirmant que ce livre m'a bouleversée ? Sans aucun doute. Tant pis. Je ne trouve pas de vocable plus original, ni plus juste pour dire mon émotion, mon plaisir, ma délectation… mon « retournement » à la lecture de ce livre.

Bouleversée je le suis. Mais pourquoi ?

Parce que je me retrouve, dans ce « défaut de présence au monde » vécu par la narratrice, parce que je me reconnais dans cette mémoire mutilée qui floute le passé et n'en laisse que des « traces, des « ombres projetées » ?
Parce que je suis happée par l'exotisme, par cette adolescence extra-ordinaire vécue au Cambodge, là où « tout migre et fluctue » ? Ravie de déguster ces fruits à nom d'oiseau, « longanes […], ramboutans […] sapotilles… » et ces « pommes-cannelles, fruits du dragon… » qui sont à seuls un voyage et un arc-en-ciel ?
Parce que la jeunesse, la sensualité, l'apprentissage de la séduction, « l'exaspération du frottement », « le puissant dieu Éros » ?
Parce que je suis sensible à la conscience sociale de la narratrice, à son humanité, à la femme adulte qui se retourne sur son passé de jeune expatriée (« Les petits Blancs, jusqu'à la caricature ») et en comprend « trop tard », les enjeux. Mais peut-être, écrit-elle, « peut-être n'y a-t-il jamais rien de trop tardif pour réaliser les horreurs de l'Histoire ? » ?
Parce que les corps flottants, tour à tour tâches, cigarettes, cicatrices ou fantômes… créent tout autour de moi un halo persistant qui colore ma lecture d'une émotion nouvelle ? Parce qu'à flotter avec l'autrice dans « la fumée du rêve », j'ai cette vision, personnelle et singulière, d'une silhouette dissimulée par des voiles vaporeux, une mariée endeuillée – tulle blanc, crêpe noir – trainant dans son sillage des lambeaux de silence, des souvenirs effilochés, des regrets à la pelle ?
Parce que le romanesque d'une mère qui brode sa vie dans « son théâtre d'ombres », l'alcool, le besoin de plaire « par-dessus les deuils » et aussi le désir interdit à sa fille : « le désir tue » ?
Parce qu'un jour, le silence tombe ? Parce que je me sens nue, démunie, effarée, assommée tandis que se déroule devant la narratrice « la pelote des spectres » ? Parce que la perte, parce que les liens du corps, les « liens du sang », parce « survivre est fatalement une faute » ?
Parce qu'il y a cette langue-là, enfin, semblable à aucune autre, cet art de ciseleuse cultivé par Jane Sautière, ces expressions, ces mots sans cesse questionnés sur leur sens premier, ces phrases si affûtées qu'elles atteignent le coeur sitôt qu'on les effleure ?
Parce que…

Je ne sais pas vraiment pourquoi ce livre m'a bouleversée. Je n'ai pas envie de le raconter – je ne saurais pas. Mais je pense qu'il s'agit d'un de ces livres essentiels qui marquent leurs lecteurs ; et leurs lectrices.

« Corps flottants » Jane Sautière, éditions Verticales. Chronique à retrouver sur atout-ecriture.fr / mon coin lecture
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"J'ai vécu mon adolescence à Phnom Penh de 1967 à 1970. J'en ai si peu de souvenirs que j'ai laissé toute la place à ces traces, des ombres projetées."

C'est ce que l'autrice nous dit en quatrième de couverture. Un postulat de départ et une intention. Suivront, dans un court texte, ces ombres de souvenirs, ces corps flottants, comme dess formes imprécises qui se projettent sur la rétine.
On se perd un peu, le fil ne tisse pas un canevas précis. Il y a des sensations du Cambodge. Des lieux. Les bruits de la nuit. Une forêt immense. Et puis les gens autour. Ses camarades de classe, les premières amours. L'éveil du désir dans un pays qui va sombrer.

L'évocation politique est là. Les Khmers rouges arrivent. de ses camarades de classe combien finiront leur vie sous les mains d'un bourreau ? Se mêle alors l'oeuvre de Rithy Panh, "l'image manquante". Comme ces ombres. Ces corps flottants.

C'est un texte personnel, assez labyrinthique. Lu dans le cadre du prix Fnac en une soirée, je l'ai refermé en étant un peu perplexe. Comme il s'agit d'un prix, il fallait bien que je me pose la question fatidique : est-ce que j'avais aimé cette lecture ? Et bien, je n'en savais rien. Quelques mois après, en le reprenant pour laisser quelques mots ici, je me dis que finalement, je l'ai aimé plus que je ne le pensais. Parce que l'intention ne l'emporte pas sur la forme. Et que celle-ci me plaît. Une forme flottante, diffuse. Une ombre. Il y a une grâce à chercher à dire des souvenirs qui ne sont plus tout à fait là.

"Écrire au crépuscule qui est avant tout la survivance de la lumière après le coucher du soleil."
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Ce livre à pique. La vieillesse seule n'entraîne pas les spectres vitrés. La maladie radiée détruit la rétine. Et la peur déforme l'eau sous paupières.
Les corps flottants et armés se dissolvent dans les lacunes de la mémoire, des traces jaunis racornis comme la cornée ébruitée de trop de chocs.

Jane Sautiere évoque son passé je plonge dans le mien à côté pas de bourrés resserrés sur ma peau un souffle rauque, tiens-toi tranquille, des lignes se cognent et font pont.
La mémoire vient quand elle veut dit Louise Bourgeois via Lola Lafon « La mémoire est un lieu dans lequel se succèdent des portes à entrouvrir ou à ignorer ; la mémoire, écrit Louise Bourgeois, « ne vaut rien si on la sollicite, il faut attendre qu'elle nous assaille » ».
La mémoire s'attarde où.

Jane je vous lis et aime depuis la fragmentation prisonnière des lieux.
L'hommage aux vies avortées me touche, _A la ligne_ tiens l'ombre d'un néo breton enseveli, je pense à lui aussi et depuis que je sais, plus encore, j'espère que la mienne ne sera pas trop tôt dévorée.

La langue se pose forte sur les coins de lumière à l'assaut de nos cicatrices et c'est beau.
Une grande force dans ce récit et des fils générés avec le dernier livre de Lola Lafon : _ Quand tu écouteras cette chanson _.
L'histoire se rappelle à nous, détour insoluble. Douloureux parfois d'y rester, écrire pour expurger aviser. Un récit coule un récit déposé dit encore parce qu'il faut témoigner que le monde fou souvent et doux quand veut.

Autour si:
Un documentaire: L'image manquante de Rithy Panh (En ce moment sur Arte)
Un livre : Avant la longue flamme rouge de Guillaume Sire
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Dans ce très beau récit, Jane Sautière replonge dans les quelques souvenirs qu'il lui reste du Cambodge. Elle y est restée trois ans, de 1967 à 1970, lycéenne à Phnom Penh. Une ombre, une voix, une odeur, quelque chose de bref la fait replonger dans ses souvenirs. Elle en garde si peu, comme si une partie d'elle était restée sur place. Alors elle nous raconte ces corps flottants, ces bribes de mémoire qui passent et disparaissent, elle narre le lycée, les saveurs de la cuisine locale, les premiers émois, ses parents puis la terrible Histoire des Khmers rouges. Qu'est-ce qui fait qu'un souvenir en apparence anodin reste gravé en nous des décennies plus tard ? Comment la mémoire sélectionne-t-elle les souvenirs restants ?
.
D'une plume sensible et poétique, l'autrice revient sur son passé, affronte une histoire familiale tragique ainsi que ses remords liés à son départ du Cambodge lors des terribles événements des années 70.
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
Et je me demande souvent ce qui, dans notre organisme, nous fait continus. Toutes nos cellules se renouvellent, est-ce qu’elles se passent le message de ce qui a été vécu par les cellules ancêtres ? Ont-elles seulement une mémoire, ou simplement une fonction à laquelle elles s’appliquent exclusivement ? J’apprends qu’on n’est pas totalement renouvelé. Je savais déjà que le nombre d’ovocytes est strictement limité, quand il n’y a plus, il n’y a plus, contrairement aux spermatozoïdes. Comme les dents, existences uniques dans nos bouches. Et les neurones du cortex, pareil. Je n’arrive pas à croire que toutes nos autres cellules, les reconductibles, ne gardent pas quelque chose de ce qui a été vécu, que toute la mémoire soit l’affaire du néocortex.
D’ailleurs la peau porte la trace des blessures, les cicatrices. Peut-être les corps flottants sont des cicatrices. Des cicatrices vivantes, animées.
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Il y a, dans ces hallucinations brèves, que nous n’osons pas évoquer, parce qu’elles nous mettent en rupture avec les autres – précisément parce qu’elles sont l’écrasement de l’individu dans sa singularité, dans son impossibilité d’être relié –, il y a dans ces moments quelque chose qui se substitue à ce qui devrait être et qui devient pire que la disparition même. Des corps flottants.
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Car ici, tout est esprit, peuplement par la nuée, la migration des éléments, le fluide et l’instable, et pourtant forces irrépressibles. Ce qui est mort l’est-il vraiment ? Alors pourquoi le poteau télégraphique reprend-il racine et se couvre-t-il de feuilles ?
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J'attends ce que j'appelle le coche d'au, un bateau électrique qui me conduit au Carrefour d'Aubervilliers depuis la Villette, le long d'une darse du canal Saint-Denis.
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Videos de Jane Sautière (3) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Jane Sautière
À l'occasion de la rentrée littéraire 2022, Jane Sautière vous présente son ouvrage "Corps flottants". Parution le 18 août aux éditions Verticales. Rentrée littéraire automne 2022.
Retrouvez le livre : https://www.mollat.com/livres/2639845/jane-sautiere-corps-flottants
Note de musique : © mollat Sous-titres générés automatiquement en français par YouTube.
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