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EAN : 9782351786376
288 pages
Gallmeister (07/02/2019)
4.06/5   563 notes
Résumé :
En évoquant la lente dégradation des relations entre deux frères, que vient troubler l'arrivée d'une femme, Thomas Savage signe un huis clos d'une rare intensité psychologique, un western littéraire d'avant-garde qui scandalisa la critique lors de sa sortie en 1967 pour avoir porté atteinte au mythe du rude et viril cow-boy de l'Ouest.

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4,06

sur 563 notes
Montana 1924, entre Grandes Plaines et Rocheuses. La toile de fond est conforme aux « clichés » : paysages démesurés, immenses ranchs, climat rude , isolement total, tout est parfaitement décrit avec une attention particulière pour le quotidien des hommes qui peuplent ces territoires à ce moment charnière de bascule où l'arrivée de la modernité déstabilise ces modes de vie à l'ancienne.

Mais cela s'arrête-là pour les stéréotypes, ils sont justes là pour poser un décor. Ce qui est très fort avec ce roman, c'est comment l'auteur parvient brillamment à déconstruire le mythe du Far West en misant sur une psychologie des personnages finement analysée.
Qu'est-ce qu'être un homme , ici ou ailleurs ?

Les Burbank sont les plus riches propriétaires fonciers – éleveurs de la région, deux frères que tout oppose, comme une relecture d'Abel et Cain, avec Phil, le dominant, brillant mais surtout autoritariste, sadique, raciste, un misanthrope haineux menant d'une main de fer son ranch et la vie de son frère. Tout bascule lorsque ce dernier, pourtant si falot, se marie quasi en douce avec une veuve, mère d'un adolescent dont la cérébralité et la délicatesse – jugées efféminées - détonne dans cet Ouest. Phil veut détruire ce mariage, cette femme et ce garçon si peu viril qui ne peut qu'être homosexuel.

Thomas Savage présente ce bras de fer de façon très subtile, sur un tempo lent, très lent où chaque micro-événement déploie une infinité de camaïeu de sentiments, des détails sensibles que le lecteur doit précieusement collecter pour s'immerger dans ce drame qui avance à pas de loup.
J'ai beaucoup pensé à Tennessee Williams pour la description de ses intérieurs intimes cassés, pour la sensibilité de l'analyse psychologique qui explose dans ce huis clos familial.
Les personnages sont tous formidablement campés, surtout les deux qui finissent par s'affronter : Peter, le jeune homme "différent" mais empli d'une force invisible aux yeux des autres, malgré les vexations et les humiliations ; Phil, bien évidemment, dont la dureté terrible vacille aux souvenirs d'un certain Bronco Henry, le cow-boy qui l'a initié à la vie du ranch, qu'il semble avoir beaucoup aimé … Pas un hasard que cela soit Annie Proulx, l'auteure du Secret de Brokeback Mountain, qui préface ce roman dans son édition actuelle.

La tension monte, chapitre après chapitre, sans fracas, jusqu'à la révélation de la signification du mystérieux titre « the power of dog », magnifique. Plus je repense à ce roman, plus je le trouve magistral dans sa mise en scène à la fois ouatée et percutante.
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« À partir du souvenir que son enfance lui a laissé d'un homme odieux, Savage a créé, par sa virtuosité, un des personnages les plus fascinants et les plus pervers de la littérature américaine. »
Annie Proulx

Séduisant, ambigu, fascinant et pervers, tel est en effet Phil Burbank, rancher intransigeant dont les yeux bleu ciel vous transpercent jusqu'au fond de l'âme, y discernant des choses dont vous n'avez pas même conscience. Ses mains, dotées d'une intelligence et d'une vie propres, aussi bien capables de castrer 1.500 veaux en une demi-journée que de jouer divinement du banjo ou de tresser une corde en cuir brut, lui ressemblent. Puissantes, agiles, dotées d'une patience infinie, effrayantes.
Lorsqu'il chevauche au pied des Rocheuses aux côtés de son frère George, son associé et son faire-valoir, il est difficile d'imaginer un couple plus dissemblable. Phil, longiligne et anguleux, droit sur sa selle, les sens toujours à l'affût, attentif au « toc-toc-toc des pas du bétail, au craquement des armoises écrasées par les sabots fendus, au grincement du cuir des selles et au tintement des gourmettes de mors en argentan », voit ce que personne ne voit. Dans la nature elle-même, il voit le surnaturel, « dans l'affleurement rocheux, sur la colline qui s'élevait devant la maison du ranch, dans le fouillis des buissons d'armoises qui défiguraient le versant de la colline comme de l'acné, il voit la forme étonnante d'un chien en train de courir. » Quand George, trapu, placide et imperturbable, affaissé sur un cheval également trapu et imperturbable, ne semble rien sentir ni ne rien percevoir.
Portant son regard loin en direction des montagnes et du passé, un passé mythifié qui bat lentement mais inexorablement en retraite face à l'avancée des années vingt, Phil se souvient. Si l'on rompt toujours les chevaux sauvages à la selle comme à l'époque des pionniers, les cow-boys de la trempe de Bronco Henry, l'idéal indépassable de la jeunesse de Phil, les vrais cow-boys, pas ceux qui font de l'esbroufe et portent des gants en peau achetés par correspondance, ont une fâcheuse tendance à disparaître. Phil lui, ne porte jamais de gants, ni ne fait la moindre concession à la modernité, préférant vivre à la dure, en totale osmose avec l'âpreté, la rudesse de ce pays de montagnes et de plaines éternellement balayées par le vent où l'on brûle l'été et où l'on gèle l'hiver.
Phil au fond ne désire qu'une chose : que rien ne change. Que son frère et lui dorment pour l'éternité dans la même chambre comme chaque nuit depuis toujours, qu'ils conduisent chaque automne que Dieu fait le bétail à Beech comme chaque automne depuis vint-cinq ans, qu'ils vivent à jamais seuls dans le ranch que leur ont légué leurs « vieux », sans s'encombrer d'une femme et d'une tripotée d'enfants.

Alors quand se présente la fin du monde tel qu'il l'a toujours connu en la personne de Rose, une veuve flanquée d'un gosse que George, dans un sursaut d'indépendance aussi soudain qu'incongru, vient d'épouser, Phil entre dans une rage froide. Toute sa haine, tout son mépris contre l'espèce humaine en général et contre les femmes en particulier se concentrent et se cristallisent sur la trop belle, trop sensible et douce Rose. Il est inconcevable qu'une « sale intrigante » qui a jeté le grappin sur « son imbécile de frère » s'installe ici au ranch. de même qu'il est parfaitement exclu que son rejeton, un garçon pâle aussi efféminé que son prénom, Peter, affligé d'un zézaiement et d'une démarche peu naturelle qui le fait ressembler à un automate, vive sous le même toit que Phil Burbank. Car s'il y a bien une chose que Phil abhorre plus que tout, ce sont les « sissies », les femmelettes, les chochottes, et aussi sûr que deux et deux font quatre, ce gosse de seize ans avec ses manières, ses jeans neufs et ses chemises impeccablement repassées, c'en est une, de chochotte.
« Bon, il y a des gens qui peuvent s'entendre avec eux, de même qu'il y a des gens qui peuvent s'entendre avec des Juifs ou avec des négros, mais ça les regarde. Phil, lui, ne pouvait pas les supporter. Il ne savait pas pourquoi, mais ils créaient en lui un malaise qu'il sentait jusque dans son ventre. »

Comment un personnage aussi odieux est-il capable d'exercer une pareille fascination sur les autres ? Car outre le lecteur, ce sont tous les protagonistes de l'histoire qui tombent sous son charme, qui semblent incapables de lui résister. C'est que Phil est le genre d'homme dont la seule présence, dont un seul regard ont le pouvoir rare de modifier la texture de l'air alentour. Phil est d'une intelligence et d'une sagacité hors du commun, il est de la race des « aristocrates », de ceux qui peuvent se permettre d'être eux-mêmes, de ceux qui imposent, non pas même leur volonté, mais leur vision aux autres.
« Comment un homme, un seul homme, peut-il avoir le pouvoir d'obliger tous les autres à voir en eux-mêmes ce qu'il y perçoit, lui ? »
Et comment l'auteur parvient-il à faire en sorte que le lecteur voie le monde à travers les yeux de Phil? Ou plutôt, comment s'y prend-il pour mettre en place un subtil mouvement de balancier entre sa vision à lui, Savage, une vision humaniste, généreuse, compassionnelle et celle de Phil, intransigeante, cruelle, dépourvue d'humanité? le lecteur, suffoquant dans ce huis-clos oppressant, impitoyablement balloté entre ces deux visions, finit par ne plus savoir où il en est. À l'instar de Rose, pourtant dotée d'une identité, d'une personnalité et d'une volonté propres avant de tomber sous l'emprise de Phil mais qui, à mesure que le temps passe et que se précise l'entreprise de destruction insidieuse et méthodique dont elle est l'objet, perd pied.
« Quand Rose parlait de Phil, sa bouche devenait sèche, sa langue épaisse. Penser à lui dispersait tout ce qu'elle pouvait avoir d'agréable ou de cohérent à l'esprit et la ramenait à des émotions infantiles. »

Pourtant, il se pourrait bien qu'une personne, une seule, au regard aussi perçant que Phil, perçoive non seulement ce que Phil fait à Rose, mais encore bien davantage.
Dès lors, un combat implacable et larvé, tissé de non-dits, de séduction et de répulsion mêlées, un combat entre le bien et le mal, entre la bonté et la cruauté, entre deux visions de l'humanité, se met en place sous les yeux du lecteur médusé, tenu en haleine jusqu'à l'ultime paragraphe qui clôt magistralement le livre.
Thomas Savage, en observateur pénétrant de la condition humaine, campe une histoire qui, bien qu'ancrée dans une époque, les années vingts et en un lieu, le Nord-Ouest du Montana, clairement identifiés, accède au rang de mythe. Puisant dans sa biographie la matière d'un livre virtuose dont la dimension psychologique, ou plutôt psychanalytique tant le refoulé imprègne chaque page, est indéniable, il nous livre une tragédie intemporelle, un conte moral à la portée universelle et à la beauté renversante.

J'ai découvert le pouvoir du chien il y a une vingtaine d'années alors qu'il venait seulement d'être traduit en français. L'occasion m'a été donnée de le relire en compagnie de Bernard (Berni_29), mon fidèle ami. Entretemps, j'ai vu la sublime adaptation qu'en a réalisée Jane Campion. À chaque fois, ma fascination fut totale.
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Montana, 1924. Phil et George Burbank sont deux frères au caractère opposé. le premier est grand et anguleux, autoritaire, froid, intelligent. le second est trapu et lourd, timide, discret et un peu gauche. Bien que différents, ils s'accordent parfaitement quant à la gestion du ranch familial, le plus gros du sud-ouest du Montana, leurs parents étant partis s'installer à Salt Lake City. Quand Phil assure l'élevage du troupeau et dirige avec fermeté les cow-boys et les aides saisonnières, George, lui, s'occupe de la comptabilité et des tâches administratives. La petite quarantaine, célibataires endurcis, un lien très fort les unit. Aussi, lorsque George rencontre Rose, une jeune veuve tenancière d'un restaurant à Beech, et en tombe amoureux, l'équilibre de leur vie routinière va basculer...

Thomas Savage plante son décor, qu'il prend soin de dépeindre, dans un Montana sauvage, aux paysages démesurés et soumis à un rude climat. L'auteur décrit aussi parfaitement la vie quotidienne au ranch et les dures conditions de travail des éleveurs de bétail. Phil et George sont de ceux-là. Différents aussi bien physiquement qu'intellectuellement, ces deux frères sont pourtant indissociables. Mais, au fil des pages, l'on se rend compte de leur véritable nature, d'autant que cette dernière sera révélée dès lors que Rose et son fils, Peter, font soudainement irruption dans leur vie. Veuve d'un médecin qui s'est suicidé et enfant "différent", surnommé La chochotte par Phil, ces deux-là ne sont guère appréciés par l'aîné. L'auteur brosse des portraits magnifiques et vivants, parfois sombres, que ce soit les deux frères, les Indiens ou les prostituées, et installe un climat de tension, voire de malaise, palpable. Finement analysé et fouillé, diaboliquement et insidieusement amené, au final inattendu, ce roman, aux allures de western sauvage, se révèle tout aussi bouleversant que surprenant.
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Ça se passe dans les grands espaces américains dans les années vingt, au milieu des beuglements du bétail, mais l'histoire que nous conte Thomas Savage se noue entre les murs d'un ranch cossu tenu par deux frères.
Leur tempéraments fort dissemblables pourraient suggérer un conflit larvé entre l'ainé brillant, implacable, animé d'une profonde exigence de vie qui a laissé une empreinte silencieuse au sein de la famille et George, plutôt effacé et débonnaire. Mais c'est par une femme que le trouble survient : le mariage du plus jeune agit comme une mèche que l'on allume et qui provoque des explosions dans les soubassements du texte.
Pas de colère outrageuse ni de déflagration tonitruante ici, tout le talent de l'auteur est de donner aux brusques variations de tension un visage lisse. Il diffuse lentement le venin d'un frère qui refuse l'arrivée d'une veuve trop orgueilleuse à ses yeux et de son fils «la chochotte».

Les silences qui figent les visages, les remarques cinglantes, Thomas Savage sonde tout : la haine méthodique qui avance masquée, la menace insidieuse qui dévore à petit feu...il saisit l'intensité d'un mot ou l'angoisse qui mûrit avec le temps.
La mécanique de l'auteur est d'autant plus convaincante qu'il rend compte avec justesse des comportements et des sentiments des protagonistes en tournant le dos à toute analyse psychologique : attentif aux mouvements infimes, à des détails tels le cliquetis des loquets de porte ou les bruits de pas sur le palier, il préfère recourir à des symptômes et des biais qu'il laisse résonner au fil des pages. Je suis véritablement admirative de la patience avec laquelle Savage construit ses personnages.

Progressivement, je me suis passionnée pour cette fiction parfaitement orchestrée qui se déploie dans les ombres. Une histoire servie par des traits narratifs, psychologiques, des distracteurs capables de donner au sentiment amoureux des contours délétères et de rendre l'hostilité et la peur palpables. Même si l'auteur accumule par endroit des détails trop manifestes, la valeur du texte est exhaussée par la qualité de son regard, mélange d'acuité mordante et de clairvoyance.
Très belle lecture.
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Sans l'invitation d'une fidèle amie Anna (@AnnaCan) que je tiens à remercier pour cette lecture commune, je ne serais pas allé de sitôt à la découverte de cet auteur américain Thomas Savage que je ne connaissais pas, ni de ce livre qui est peut-être son roman-culte, le pouvoir du chien. S'il fallait définir le genre littéraire de ce livre, j'évoquerai celui de western, encore que ce ne soit pas tout à fait un western littéraire au sens propre du terme.
Ici les grands espaces du Montana sont bien au rendez-vous, ils occupent une place prépondérante dans le récit, se dessinant avec les Rocheuses comme ligne d'horizon et les premières collines couvertes d'armoises.
Les cow-boys sont bien présents, c'est un univers masculin qui prévaut dans une ambiance rude et virile qui sied à ce décor hostile et majestueux et qui façonne les caractères, avec des chevaux, des vaches, des veaux, des chiens, des fusils, des clôtures et des propriétés. À certains endroits existent encore des territoires non clôturés où les Indiens peuvent revenir à leurs terres ancestrales, célébrer la mémoire des anciens.
L'arrivée de l'automobile marque juste le changement de l'époque, la conquête de l'Ouest américain est déjà bien accomplie.
Pourtant les cavalcades furieuses qu'on rencontre d'ordinaire dans les westerns laissent place ici à des paysages d'une plus grande intériorité mais tout aussi vertigineux, puisqu'il s'agit de l'âme humaine et de ses tréfonds ; nous allons approcher ce paysage au travers des relations interpersonnelles des personnages centraux du récit.
Le ton est donné dès le début.
L'histoire qui nous est racontée débute en 1924 et nous faisons la connaissance de deux frères qui tiennent un ranch, Phil et George Burbank. Pendant de longues années, ce sont les parents de Phil et de George, ceux qu'on appelle « le Vieux Monsieur » et « la Vieille Dame » qui l'ont dirigé. Venus de l'Est, ils ont fait fortune dans ce coin de l'Ouest. Quand le roman commence, ils passent une retraite paisible à Salt Lake City. Les Burbank sont les éleveurs les plus riches, les plus puissants de la région.
Phil et George ont la quarantaine. Bien que frères, ce sont deux modèles d'opposition. Phil est l'archétype du cow-boy, beau, macho, brillant, extrêmement doué, mais méprisant et brutal aussi envers tous ceux qui ne partagent pas ses valeurs et son mode de vie, c'est-à-dire les Indiens, les Juifs, les « Négros », les femmes et ceux aussi qu'il ne cessent de nommer les « chochottes ». À l'inverse de son frère, Georges est beaucoup moins flamboyant, il est effacé, flegmatique, presque terne, il apprend les choses avec lenteur, il a de la compassion pour les gens, ne les jugeant jamais. On pourrait dire de lui que c'est un brave homme. Bien que différents, les deux frères pourraient s'entendre. En apparence Phil et George s'entendent bien, en apparence seulement car il faut tenir le ranch, gouverner les hommes et les bêtes.
En apparence seulement...Longtemps après le départ de leurs parents pour Salt Lake City, ils continuent cependant de partager la même chambre...
Seraient-ce les figures de Caïn et Abel revisitées à la manière d'un western ? Pourtant, Ce serait trop simple de n'y voir que les oppositions manichéennes du bien et du mal, entre la cruauté et la bonté, c'est bien plus subtil.
Nous allons suivre la relation de ces deux personnages, entremêlée à deux autres, quand George s'éprend de Rose la veuve d'un médecin et l'épouse, elle vient habiter au ranch avec son fils Peter, un être doté d'une grande sensibilité artistique et qui aime les fleurs comme sa mère.... C'est à ce moment-là que les choses vont commencer à se dégrader, mais ne l'ont-elles pas commencé déjà depuis longtemps ?
La tension est peu à peu latente, qui invite ces quatre protagonistes sombres et magnifiques à entrer comme sur une scène théâtrale, la dramaturgie se met en place dans une sorte de huis-clos à la rare intensité psychologique, au milieu des grands espaces du Montana.
À ce stade de ma lecture, j'ai aimé observer des personnages campés avec beaucoup de sobriété mais aussi d'intensité. Ils sont peints avec justesse, dans le choix des mots, dans des scènes quotidiennes qui offrent beaucoup de réalisme. L'écriture joue pleinement son rôle dans ce chemin narratif construit pas à pas.
Thomas Savage sait trouver le mot juste pour dire un coeur jaloux ou épris de haine, l'attente et la peur, le bruit des pas de celui qui marche dans la pièce d'à côté, le désir terré dans le ressentiment, un geste apprenant qui tresse un lasso de cuir, des mains calleuses qui sont éprises de caresses, le souvenir du temps d'avant et qu'on voudrait immuable, celui d'une amitié particulière, le rêve abîmé d'un enfant Indien, les aubes palpitantes, les crépuscules enflammés, le vent dans le paysage et le paysage dessinant la fuite d'un chien parmi des buissons d'armoises... Ce sont souvent des scènes qui évoquent plus qu'elles ne disent, rendant encore plus belle et plus forte la puissance d'évocation.
Thomas Savage est un formidable peintre impressionniste dans sa manière d'agencer ces images, saisir la condition humaine, suscitant ainsi sans doute cette émotion qui m'a emporté.
Le tour de force de Thomas Savage est de nous faire appréhender ces personnages de l'intérieur, avec leurs forces et leurs faiblesses, leurs doutes et leurs contradictions.
Parmi ces personnages, je me suis parfois surpris à être séduit, fasciné par celui qui est de toute évidence le plus odieux, Phil. Est-ce parce qu'il est brillant d'intelligence ? Est-ce parce qu'il sait exercer un pouvoir sur les autres, ses proches, sur les lecteurs aussi, sur moi ? Parfois j'ai été affolé de me retrouver dans sa tête et dans inconfort...
Le ressort de la personnalité complexe de Phil se dessine peu à peu par petites touches suggestives. C'est fait avec brio. Ce personnage est ambigu à plus d'un titre.
Pourquoi Phil éprouve-t-il de la haine et du mépris pour certaines personnes souvent des personnes faibles ou fragiles ?
Que cachent ses propos blessants, sous les traits d'un éleveur viril et homophobe, rustre et crasseux ?
Thomas Savage a fait porter la méchanceté sur le personnage qui paraît le plus « éclairé ». C'est l'une des nombreuses subtilités du roman.
Ce serait trop facile de juger ainsi Phil, sans deviner l'autre partie, le versant de ce rustre malodorant qui se cache derrière cette image. Qui est-il vraiment ? C'est peut-être là aussi un des chemins intéressants du livre, derrière cet éleveur viril et homophobe ? Où sont ces failles ?
« Il avait détesté le monde par crainte que le monde ne le déteste le premier. »
En face, j'ai été touché par le désarroi et la douleur de Rose qui perd pied dans le décor, qui perd pied parce que Phil n'accepte pas qu'elle soit là. J'aurais voulu la retenir par mes bras avant qu'elle ne trébuche, qu'elle ne tombe...
Les non-dits traversent ce roman de part en part, de manière souterraine et Thomas Savage se plaît à les égrener sous nos yeux, à nous offrir en même temps ce pouvoir magique de les comprendre, ces non-dits, ces gênes, ces faux-semblants, ces questions restées sans réponses dans le silence des regards, ce qu'on voudrait refouler, cacher à jamais...
C'est une tragédie puissante, intemporelle, il y a ici le ressort narratif d'une tragédie antique. J'ai rencontré dans ce texte un sens aigu de la dramaturgie qui vient fixer le décor et ses personnages dans un imaginaire qui nous prend par la main, que dis-je - nous happe, nous offrant l'opportunité de saisir la sensualité et l'humanité dans cette noirceur humaine.
J'en suis ressorti chaviré.
Pour mon plus grand plaisir, le western s'est transformé en thriller psychologique de toute beauté.
C'est beau, c'est grandiose, jusqu'au dénouement qui est d'une sidération totale et qui obligerait presque à relire le livre pour comprendre mieux l'enchaînement des faits.
Cassant les codes du genre, ce western littéraire s'est imposé contre toute attente en tant que classique de la littérature américaine et c'est merveilleusement mérité.
Je referme la dernière page de ce roman que j'ai trouvé fascinant et poignant de bout en bout, c'est comme une porte qui continue de battre dans le vent des Rocheuses. Il y a peut-être là-bas encore un chien qui court parmi le fouillis des buissons d'armoises. Je suis sûr qu'en me penchant au-dessus des pages, j'arriverai à saisir son haleine, moi aussi.
Le pouvoir du chien est une lecture qui continue de résonner en moi et qui restera inoubliable, je le sais déjà.
Merci Anna pour cette découverte.
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Citations et extraits (76) Voir plus Ajouter une citation
- Je te dirai, Peter, de ne jamais te soucier de ce que racontent les gens. Les gens ne peuvent pas savoir ce qu’il y a dans le cœur des autres.
- Je ne me soucierai jamais de ce que racontent les gens.
- Peter, s’il te plait, ne le dis pas tout à fait comme ça. La plupart des gens qui ne s’en soucient pas, oui, la plupart d’entre eux deviennent durs, insensibles. Il faut que tu sois bienveillant, il faut que tu sois bienveillant. Je crois que l’homme que tu es capable de devenir pourrait faire beaucoup de mal aux autres, parce que tu es si fort. Est-ce que tu comprends ce qu’est la bienveillance, Peter ?
- Je n’en suis pas sûr, père.
- Eh bien, être bienveillant, c’est essayer d’ôter les obstacles sur le chemin de ceux qui t’aiment ou qui ont besoin de toi.
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Dans l'affleurement rocheux, sur la colline qui s'élevait devant la maison du ranch, dans le fouillis des buissons d'armoises qui défiguraient le versant de la colline comme de l'acné, il voyait la forme étonnante d'un chien en train de courir. Les pattes de derrière, sveltes, projetaient vers l'avant les épaules puissantes; le museau tout chaud était baissé dans la traque de quelque pauvre chose effrayée - de quelque idée - qui s'enfuyait en franchissant les ravines, les bosses et les ombres de ces collines du nord. Mais, dans l'esprit de Phil, il n'y avait aucun doute sur la manière dont se terminerait la traque. Le chien aurait sa proie. Phil n'avait qu'à lever les yeux vers les hauteurs pour sentir l'haleine du chien. Mais si vivant et saisissant que fût cet énorme chien, seule une autre personne l'avait vu, et ce n'était en aucun cas George.
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Les soirs d'été [...]
la disparition du soleil était aussitôt suivie d'un calme stupéfiant ,
d'un calme surnaturel dans lequel se glissaient de petits bruits [...]

les feuilles de saule qui chuchotent ,
les branches qui se frôlent et se touchent ,
l'eau qui caresse et câline les pierres lisses du ruisseau ,
les voix humaines paresseuses , rapprochées par l'amitié [...]

Ce soleil disparu suscitait une fraîcheur soudaine dans laquelle la brume se levait et ,
lourde d'une odeur d'herbe coupée ,
flottait à la manière d'un spectre au-dessus du ruisseau .
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Si le vent soufflait correctement et si vous aviez un bon odorat, vous pouviez sentir les parcs à bestiaux de Beech bien avant de les voir ; ils se situaient au bord de la rivière, presque à sec à cette période de l’année, rétrécie loin de ses berges et si tranquille qu’à sa surface se reflétaient la voûte du ciel vide, les pies qui battaient des ailes au-dessus en quête de charogne, de gauphres et de lapins morts de tularémie, ou d’un cadavre de veau boursouflé, victime de ce qu’ils appelaient dans la région la maladie du charbon. Oui, si le vent soufflait correctement et si vous aviez un bon odorat, vous perceviez l’odeur de l’eau, la puanteur de soufre et d’alcali dégagée par le ruisseau apathique qui se jetait dans la rivière devant les enclos et la polluait.
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Phil n’avait pas de notions romantiques au sujet des Indiens. Il laissait ce genre de sentiment aux professeurs et aux rigolos de l’Est avec leurs appareils photos extravagants. Les enfants de la nature, mon œil. Des conneries. En réalité, les Indiens étaient des feignants et des voleurs. On avait bien essayé d’employer des Indiens dans les champs au moment des foins, mais, pour ce qui était des machines, ils étaient complètement abrutis, incapables de colmater un trou de taupe avec du sable. Et médiocres avec les chevaux. Quand on avait voulu installer ces Indiens avec les autres hommes, dans des tentes dressées dans les champs, les hommes s’étaient plaints des odeurs, et il avait fallu choisir : soit eux, soit les indiens.
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